DESBONNESREGLES
DUDEBATDIDEES
Source : le blog de Renaud Revel sur
lexpress.fr en ligne le 25 mai
Badiou et Finkielkraut chez Taddéi :
un grand Soir...
Par
Philippe Gavi.
Décidément, Frédéric Taddéi n’a pas son pareil pour mener un débat. Doit-on parler de débat ? Le dialogue, la semaine dernière, entre Alain Badiou et Alain Finkielkraut à « Ce soir (ou jamais !) » fut un festin. Quel mets rare que l’intelligence servie sur un plateau, surtout quand elle est teintée de passion, d’engagement. Car Badiou le « révolutionnaire » communiste, le radical, le marxiste maoïste universaliste veut réinventer une société communiste idéale, et Finkielkraut, l’amoureux de la tradition occidentale, de l’identité française, de la littérature, des Lumières et des libertés individuelles, de la République, veut réinventer une société pleinement démocratique.
L’un ni l’autre ne cherchent à prendre le dessus, ni à convaincre. Ce n’est pas un match, c’est une soutenance de réflexion. Chacun écoute l’autre argumenter, sans interrompre Les interventions sont concises, denses, brillantes (quoiqu’un peu trop émaillées de citations érudites qui n’apportent rien). Je réfléchis, j’énonce, je rentre sans complexe dans la complexité, je ne cherche ni à plaire, ni à déstabiliser, moquer, railler, accuser. « Temps de parole » prend tout son sens. Quand il est non pas épuisé mais quand l’un a achevé de dire ce qu’il a à répondre, il s’arrête de parler, point, et passe la parole à l’autre. S’ils se réfutent, ce n’est pas dans le format polémique. Selon l’angle, il leur arrive d’être d’accord, ce qui ne leur déplait pas, et, en fait, ne les surprend pas. Tous deux refusent l’argument démagogique. Sur l’hystérie des foules, la dictature du nombre, et du moment, sur le refus du « tous pourris », sur la laïcité, ils sont sur un terrain d’entente. Ils critiquent l’empire de la satyre, du rire systématique, de la dérision facile. Ils éprouvent la même aversion pour la société de consommation, et la médiatisation.
Ce n’est pas pur jeu de l’esprit. Le ton est grave, car les enjeux sont dramatiques. Somme toute, ils parlent du monde, de la France, de la démocratie, des souffrances, du drame que vit la Grèce, du capitalisme, des marchés, du mercantilisme, des luttes des peuples, d’Israël et des Palestiniens.
Il est difficile de les départager. Même par l’Histoire. Le communisme a eu ses infamies, le nationalisme et la République également. Ils ne le nient pas mais relativisent, cherchent un sens à l’Histoire en se rattachant à un prométhéisme de l’idée. Chacun puise dans son interprétation symphonique du passé les ressources d’un renouvellement de l’avenir enchantant. Ils s’accordent sur un point : il manque au nouveau siècle une grande idée motrice qui ouvre des perspectives politiques.
Le spectacle fut magique. Le spectateur balloté eut le sentiment d’en sortir plus intelligent, c’est-à-dire plus critique, puisqu’obligé de se dire qu’ils ne pouvaient pas avoir raison tous les deux, ni tout à fait tord. Badiou fait peur mais est plus social, plus révolté. Finkielkraut est un peu pompeux mais il est plus douteur, plus soucieux des libertés.
Le rôle joué par Taddéi a été crucial. Il ne cherche pas les petites phrases, ne provoque pas, ne fait pas un show. Toujours placide, aérien, aimable, il demande des éclaircissements, sur ce qui les oppose, sur ce qui peut les rapprocher. De toute évidence, l’animateur connaît son Badiou et son Finkielkraut ; il a lu « l’Explication ». A ce « Ce soir (ou jamais !), il a su adapter à la télévision cet échange livresque entre les deux grands intellectuels (brillamment orchestré par Aude Lancelin) qui vient de paraitre aux Editions Lignes. Voilà ce qui s’appelle « animer », respect !
PG
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