ISRAEL
AUSALON
DULIVRE
DEPARIS
Source : la newsletter d'Evene.fr
diffusée le 16 mars
L’hébreu en fête
Le 28e Salon du livre met à l’honneur la littérature israélienne en organisant rencontres et débats avec 39 écrivains. Diversité des thèmes, multiplicité des origines, humour et évocation de la mémoire viennent saluer une langue en pleine renaissance : l’hébreu. Revue succincte des auteurs présents du 14 au 19 mars.
Il souffle un vent de polémique et de déraison quelques jours avant l’ouverture de l’édition 2008 du Salon du livre. Une volonté de boycotter cette fête de la littérature anime un certain nombre d’organisations palestiniennes (l’Union des écrivains palestiniens notamment) et d’Etats arabes (Liban, Algérie, Arabie Saoudite, Iran, Yémen, etc.) au nom d’une remise en question de la légitimité de l’invité : Israël. Et sur quoi se fonde cette réprobation ?Sur une critique de la politique de l’Etat hébreu vis-à-vis de ses voisins palestiniens, le rendant ainsi de facto infréquentable. Si la cause palestinienne est évidemment légitime, l’idée du boycott semble, en revanche, relativement peu pertinente. Car l’objectif intangible des organisateurs du Salon n’est pas de soutenir un pouvoir ou de s’inscrire dans une prise de position géopolitique singulière, mais d’exalter la diversité culturelle, de découvrir des littératures méconnues, de promouvoir le dialogue avec les auteurs et de rendre hommage à la richesse des différentes langues du monde.
Et l’identité d’Israël, comme celle de toutes les nations, loin de se restreindre aux décisions de son gouvernement ou à l’obscurantisme de ses extrémistes, existe également grâce à la puissance créatrice, au foisonnement intellectuel, à l’éclectisme et à l’esprit critique de ses écrivains, universitaires, artistes ou poètes.Une littérature de la mémoire et de l’histoire
Il est certain que la littérature israélienne ne peut faire l’impasse ni sur un événement aussi dramatique que la Shoah ni même sur la genèse de l’Etat hébreu. Témoin de la sombre période du nazisme, l’inévitable Aharon Appelfeld présente son dernier livre, ‘La Chambre de Mariana’, où se dévoile sous les effluves du roman initiatique l’opposition entre l’intériorité d’une chambre de maison close et la barbarie de l’extérieur. Issue de la seconde génération, Lizzie Doron raconte sous forme d’anecdotes les souvenirs de sa mère rescapée des camps d’extermination dans ‘Pourquoi n’es-tu pas venue avant la guerre ?’. Zvi Yanai, dans ‘Bien à vous Sandro’, relate l’exil des juifs sous l’Italie fasciste à travers l’éclatement de sa propre famille.
On notera également l’originalité du livre de Amir Gutfreund ‘Les gens indispensables ne meurent jamais’ dans lequel le thème du témoignage est traité avec pudeur et sincérité. Quant à Michal Govrin, elle assure la transition et la transmission avec ‘Sur le vif’, un livre où se mêlent les thèmes du souvenir, de l’histoire d’Israël et de son actualité.Un décryptage de la société israélienne
Malgré son jeune âge, la société israélienne vacille insatiablement entre Jérusalem et Tel-Aviv, entre le poids d’une histoire millénaire composée de traditions religieuses et culturelles (le sionisme) et une modernité dramatique et pauvre en significations idéologiques pour les nouvelles générations. Ainsi, nombreux sont les écrivains qui utilisent l’écriture et le roman afin d’objectiver un réel angoissant et insurmontable - difficulté d’intégration des nouveaux immigrants, situation des Arabes israéliens, conflit interminable avec les Palestiniens, peur du terrorisme, crise sociale et économique, etc. - et de surmonter les difficultés. Amos Oz, représentant inégalable de la littérature israélienne, fut l’un des premiers à décrypter cette société malade de la guerre et privée de repères. Il présentera son dernier roman, ‘Vie et mort en quatre rimes’. Autre auteur de renommée internationale, David Grossman livre avec ‘Dans la peau de Gisela’ sa vision personnelle du conflit au Proche-Orient et ses conséquences sur les sociétés israélienne et palestinienne. Derrière lui, nombre d’auteurs effectueront ce travail critique ou cathartique sans complaisance ni cynisme. On citera le troublant ‘Ode à la joie’ de Shifra Horn, le très réussi ‘Hemingway et la pluie des oiseaux morts’ de Boris Zaidman évoquant les difficultés pour les immigrés russes et le lucide ‘Et il y eut un matin’ de l’écrivain israélo-arabe Sayed Kashua, proposant une représentation juste du dogmatisme de la société arabe et de l’intolérance de la société israélienne.
Le monde singulier de Tsahal n’est évidemment pas en reste avec, par exemple, le livre de Ron Leshem intitulé ‘Beaufort’ décrivant, à travers le journal d’un jeune officier envoyé au front durant la deuxième Intifada, un univers de violence, de tragédie et de courage. ‘Quatre maisons et un exil’ de Eshkol Nevo est l’occasion d’insister sur le ressentiment de plus en plus vif entre Israéliens et Palestiniens.Du singulier à l’universel
Mais, depuis quelques années, la littérature israélienne se transforme. Prisme de la modernité, essoufflement d’un décryptage répétitif et pesant, enivrement de l’individualisme, de plus en plus d’auteurs changent de préoccupations pour se concentrer sur la complexité de la conscience et les secrets du désir. Laissant de coté la spécificité de l’histoire et de la situation géopolitique d’Israël, ils universalisent l’objet de leur écriture en invoquant des problématiques plus introspectives, plus métaphysiques aussi. L’amour, l’homosexualité, la liberté, la nostalgie, la famille, autant de thèmes extranationaux qui viennent agrémenter, colorer une littérature et une langue insatiablement en actes. Entre autres, Amos Oz traite des arcanes de la création littéraire, Alon Hilu de l’homosexualité dans ‘La Mort du moine’, le grand Avraham B. Yehoshua de l’amour conjugal dans ‘Un feu amical’ et Judith Katzir de la passion amoureuse et des tabous de la société israélienne.
On notera également le développement de romans à suspense, entre intrigues et psychologie, avec ‘Radioscopie d’un adultère’ de l’auteur dramatique Edna Mazya et le troublant ‘Tiroirs’ de Youval Shimoni. Israël sera aussi représenté par sa poésie, son théâtre, sa bande dessinée avec, par exemple, Ronny Someck, le sulfureux et très populaire Etgar Keret ou Rutu Modan.Une littérature juive ?
La littérature israélienne n’est pas rivée à l’identité juive. De nombreux chrétiens ou Arabes israéliens (trop peu représenté au Salon) écrivent en hébreu et participent au foisonnement de la culture. Mais au-delà de la langue et du passeport, beaucoup de thèmes spécifiques à l’histoire et à l’identité juives se retrouvent dans le corpus littéraire israélien : l’humour juif, la critique souvent drôle de la religion juive, la mémoire autour de la Shoah, le polar autour de la mystique juive ou des secrets de la religion antique, etc. Ainsi, dans le monde, nombreux sont les écrivains qui participent à la persistance d’une culture à la fois tragique et gaie, patrimoniale et en rupture.
De Eliette Abécassis à Michael Sebban et Marek Halter en passant par Sagalovitsch pour la France, du cynique Néerlandais Arnon Grunberg aux Américains Philip Roth, Safran Foer et Woody Allen. La bande dessinée n’est pas en reste avec l’auteur de 'Maus' Art Spiegelman et le fameux 'Chat du rabbin' de Joann Sfar.Même si le Salon du livre n’a pas pour fonction d’être une tribune au sujet du conflit israélo-palestinien, on ne pourra pas négliger l’engagement de nombreux écrivains clairement hostiles et critiques à l’égard de la politique de l’Etat hébreu et luttant avec opiniâtreté en faveur de la paix et de la réconciliation avec les Palestiniens. Raison de plus pour discréditer le boycott d’un événement où seront présents, par exemple, les cofondateurs du mouvement “La Paix maintenant”, Amos Oz et Igal Sarna.A la lumière de ces auteurs, de leurs préoccupations, de leur écriture, de leurs engagements, il semble évident que leur rapport au monde est lucide, original et alternatif. Ignorer ou bafouer une telle initiative - le choix du Salon du livre - reviendrait à faire taire les forces vives du dialogue et de l’altérité.Car river des écrivains, des romanciers, des essayistes, des poètes aux choix et actions des gouvernants, aux idéologies extrémistes adeptes de la violence et de la haine de l’autre reviendrait à les absorber dans la totalité aveugle de la nation et de la realpolitik. Cela aux dépens de l’essence même de la culture conçue comme “Bildung”, c’est-à-dire comme expression universelle de la pensée et de la création humaine. Renoncer à cette alternative, ce serait dissoudre l’individu dans le collectif, confondre irréversiblement l’écrivain et son drapeau, c’est en cela que résident effectivement les prémices de la barbarie.
Thomas Yadan pour Evene.fr
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire