"LES MUSULMANS ET LE SEXE" de NADER ALAMI Editions GUMUS

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Recueil de Poésie en Hommage à Jenny Alpha

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Couv "LES PLEURS DU MÂLE" Recueil de Slams d'Aimé Nouma Ed Universlam

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CAMILLE CLAUDEL Naissance d'une vocation parJeanne Fayard Rivages Editions

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Sortie en librairie début mai 2013

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE
de GISELE SARFATI Editions PLUMES et CERFS-VOLANTS

jeudi, décembre 01, 2011

LEMAL-ÊTRE
DESJUIFS
ENFRANCE




UNE ANALYSE
DE DOV MAIMON
*
Fondateur de JEWISH PEOPLE INSTITUT



"Les Juifs de France en 2030"
Communication de Dov Maimon
Directeur de recherche
au
Jewish People Policy Institute (JPPI)
devant LA CONVENTION NATIONALE
DU C. R.I. F. LE 20 NOVEMBRE 2011



Chers amis,

C'est un grand honneur d'être avec vous ici pour entamer une discussion approfondie sur l'avenir des juifs de France. Je remercie Monsieur Richard Prasquier de m'avoir convié à ce débat qui commence aujourd'hui et qui, j'espère, débouchera sur un processus structuré de réflexion stratégique, rassemblant leaders communautaires et acteurs de la société civile pour apporter ensemble des réponses pragmatiques et originales aux enjeux internes et externes auxquels seront confrontés les juifs de France dans les années à venir.

D'emblée, je tiens à vous dire que ma perspective est quelque peu différente des autres participants à cette table ronde. En effet, étant directeur de recherche au JPPI, un centre d'étude stratégique basé à Jérusalem, qui se consacre aux problématiques liées à l'avenir du peuple juif dans sa globalité, mes perspectives sur la communauté juive de France sont d'abord et avant tout historiques, comparatives et internationales. Dans le même temps, mes travaux sont bien évidemment nourris d’un dialogue permanent avec les responsables communautaires et les membres de la communauté juive de France dont l’engagement, comme le témoigne votre nombreuse présence aujourd’hui, et l’attachement au Judaïsme et à Israël surprend par son intensité.

Ce que je voudrais évoquer avec vous aujourd'hui est le fruit d'un travail long et réfléchi réalisé par le JPPI. A la demande du premier ministre israélien, nous avons rédigé, après de nombreuses interviews d'acteurs majeurs juifs issus du monde entier, un rapport pour essayer de voir ce que pourrait être en 2030 le peuple juif en général et le judaïsme européen en particulier. Vous pouvez trouver ce rapport et sa méthodologie, ce qui peut être utile, sur le site internet du JPPI (1)

Parce que la crise institutionnelle française se répercute nécessairement sur les institutions juives il nous paraît nécessaire, dans un premier temps, de dresser un tableau de la situation - la polarisation - pour ensuite proposer des orientations.

Commençons par un état des lieux:

Les juifs de France sont la troisième plus importante communauté juive au monde, après Israël et les Etats-Unis. La culture juive semble avoir une place importante dans le monde intellectuel français, que ce soit au niveau littéraire, philosophique, cinématographique ou musical, et Paris s'est imposé comme un lieu de créativité juive. De plus, le monde religieux juif est en pleine effervescence. Nous trouvons tous les soirs plus de cent cours de Torah et de Talmud. Le 17e arrondissement à lui seul est le plus grand rassemblement de juifs d'Europe. Enfin Francité oblige, Paris est devenu en vingt ans la capitale mondiale de la gastronomie cachère. Ce dernier point illustre mon premier constat :


1. l’avenir des juifs de France est d’abord et avant tout lié à l’avenir de la France

La préparation de notre rapport nous a montré de manière assez surprenante une différence majeure entre les dirigeants français et les dirigeants américains, australiens ou anglais. Alors que ces derniers ont des équipes indépendantes, qui observent les développements majeurs, construisent des scénarios et proposent des plans d'intervention intégrés, les juifs français – comme l'ensemble de leurs concitoyens – sont inquiets pour le futur, se plaignent et critiquent les dirigeants, mais prennent peu d'initiatives personnelles pour lancer des projets novateurs.

En somme, les Français pensent que les plus belles années sont derrière eux (je me réfère à différentes études et notamment à la grande étude de l'INSEAD eLab sur "l'état de la France"), et sont inquiets pour leur avenir. Par delà la crise de l’Europe qui aura un impact déterminant sur les communautés juives, personne ne sait si la France va faire le choix du métissage et de la société multiculturelle ou si au contraire, elle va, comme plusieurs de ses voisins, revenir à une identité nationale forte et exclusive. Dans un tel contexte d'incertitude, les juifs choisissent la prudence et ne prennent pas position dans ce débat national essentiel. Malheureusement, quand on ne prend pas de décision, les choses se font tout de même et cette stratégie du laisser-faire n'est pas forcément la meilleure.

La fracture sociale qui caractérise la politique française se retrouve également dans la communauté. Une majorité des juifs ne se reconnaissent pas dans ses institutions et ont fini par ne plus y mettre les pieds. Leur judaïté s'affirmera par des lectures, l'écoute de la fréquence juive, la vision de quelques programmes d'Akadem et au mieux par des voyages en Israël. Il n'est pas facile d'assumer publiquement son identité juive tout seul en France et on ne peut pas attendre de nos adolescents qu'ils affirment leur identité juive dans les universités sans accompagnement institutionnel.

Selon les études statistiques précitées, les Français en général, et les juifs français en particulier, ne se pensent pas dans 20 ans et un grand nombre n’est pas convaincu que leurs enfants continueront à vivre en France. Dans un tel contexte, il n’y a bien entendu pas de réflexion sur le long terme, pas de plans de carrière pour les cadres communautaires et les rabbins - et cela n'encourage pas les vocations des plus brillants de nos jeunes – et les organisations – toutes bien intentionnées – n'ont pas d'ordre du jour commun.

Les symptômes dont la rue juive se plaint (absence d'activités pour les 18-30 ans, manque de représentativité des institutions, guerres internes, absence de plans de carrière pour les professionnels, blocage des initiatives de terrain, désaffection de 70% des jeunes) témoignent d'une absence de projet.

Si nous constatons un manque de vision, notre première recommandation sera donc de mettre en place un processus pour définir un projet fédérateur capable de rassembler les vocations et les énergies qui sont loin de faire défaut dans la communauté juive française. Nous reviendrons sur ce point dans un instant.


2. Polarisation – deux publics juifs différents dont un seul trouve sa place dans les institutions

Le deuxième constat dont je parlerais aujourd'hui est celui qui est le plus critique pour l'avenir des juifs de France. Si les juifs qui étudient le Talmud et fréquentent les synagogues sont de plus en plus nombreux – et on ne peut que se réjouir de ce revivalisme – ils ne totalisent qu'une petite minorité des 700.000 ou 500.000 juifs de France. On estime, sur la base des chiffres du SPCJ, que le nombre de juifs qui ont un lien même ténu avec la synagogue, à savoir ceux qui viennent à la prière de la Ne'ila du jour de Kippour, s'élève à 160.000. On observe donc en France, plus que partout ailleurs, un phénomène de polarisation. La minorité visible ne dépasse pas les 100.000 personnes et les 80% d'autres ne trouvent pas leur place dans les institutions. Pour l'observateur extérieur, il semblerait que ce choix de privilégier le noyau communautaire au détriment des autres modes d'engagement juif constitue le principe organisationnel qui régit les institutions juives de France. Ce modèle, s'inspirant du projet centralisateur hérité de Napoléon et développé après la guerre, n'est pas forcément approprié à la postmodernité : il ne l’est en tout cas manifestement plus.

Ce modèle où les enfants de mariage mixte sont les laissés pour compte des structures éducatives juives était probablement un moindre mal quand le taux de mariage mixte était infinitésimal mais cette politique est-elle adaptée aujourd'hui ? Les solutions qui furent excellentes par le passé ne sont plus forcément pertinentes aujourd'hui.


3. Un choix entre quatre positionnements existentiels

Quatre grandes options s'offrent au judaïsme français et chacune de ces options présente des avantages et des inconvénients. Pour éviter les terminologies galvaudées, j'ai choisi d'utiliser des paradigmes bibliques tirés du Livre de la Genèse (que nous lisons actuellement dans les synagogues). Aucun choix n'est meilleur que l'autre dans l'absolu. Les juifs suisses, italiens, brésiliens choisissent la stratégie du profil bas, les juifs de Bne-braq et de Mea Shearim l'arche de Noé et les juifs de Los Angeles la tente d'Abraham qu'ils appellent Tikkun Olam[2]. J'ai décrit comment le public associé avec l'arche de Noé est bien desservi en services par la communauté. Le noyau communautaire des juifs de France et ses institutions sont aujourd'hui dans l'arche de Noé.


Malheureusement, les autres 80% sont bien moins lotis et, pour des raisons historiques, on ne leur propose pas de services qui puissent les satisfaire. Nos études montrent qu'ils s'intéressent à leur identité mais veulent du judaïsme en environnement non-juif, ne veulent pas être séparés des non-juifs, et l'identité juive centrée sur le culte, la Shoah, l'antisémitisme et la défense d'Israël ne les motive que moyennement. Un grand nombre de jeunes juifs ont du mal avec ce modèle et à défaut d'une tente où on les accepterait tels qu'ils sont, ils choisissent par défaut ou par choix, l'assimilation.

Le judaïsme français va se trouver confronté dans les années à venir à des enjeux très sérieux qui concerneront en particulier les résidents de l'Arche. L'interdiction de l'abattage rituel en Hollande, de la circoncision en Scandinavie et les examens les jours de fêtes sont les prémices d'un phénomène plus large lié aux changements démographiques et socioculturels en Europe. Si demain les juifs de France ne sont plus que 150.000, car beaucoup se seront sentis à l'étroit dans l'arche et auront préféré choisir d'autres horizons, alors l'influence politique, électorale et morale d'un tel judaïsme qui s'intéresse surtout à lui-même et se désintéresse des questions sociétales sera réduite (… et il n'y aura plus de dîner du CRIF).

Les juifs orthodoxes britanniques ont compris que s'ils ne s'alliaient pas avec les réformés et les juifs laïques, ils ne pourraient pas défendre les financements publics de leurs écoles et de leurs synagogues et ils ont formé le Jewish Leadership Council. L'histoire nous a appris que nous sommes tous dans un même bateau et que rien ne nous garantit que les résidents de l'arche seront mieux protégés que les autres des intempéries.

La tente d'Abraham est un modèle à développer dans le contexte français. Si aujourd'hui presque rien n'est fait pour les jeunes juifs de 18 à 35 ans, si l'on n'encourage pas ni ne finance les initiatives les plus audacieuses d'engagement juif – à l'exemple de Birthright-Taglit, Limmud, Jhub, ROI, PresenTense, KolDor et Moishe House qui ont transformé le judaïsme anglophone – nous avons toutes les chances de perdre les forces d'influence du judaïsme français. Je noterais simplement que les communautés qui ont fait le choix d'un judaïsme moins exclusif et plus diversifié ces quinze dernières années, celles qui ont fait le choix de diversifier l'offre d'engagement juif et de faire de la place aux jeunes, ont vu leur taux de mariage mixte baisser. Tel est le cas en Angleterre, au Canada et en Australie alors qu'en France tout semble indiquer que les mariages mixtes deviennent de plus en plus fréquents. Une des recommandations du JPPI se dénomme 35/35/35 : 35% des membres des comités centraux des organisations doivent être âgés de moins de 35 ans et que 35% des budgets doivent être dédiés à cette population. Tant en Angleterre qu'aux Etats-Unis, les jeunes ont montré que quand on leur fait confiance ils savent monter des projets novateurs qui correspondent à leurs besoins réels et à leur mode de vie.

Deux dernières remarques sur le choix que vous, et vous seuls, pouvez faire :

- le choix par défaut – c'est à dire continuer par inertie ce qui a été fait par le passé, – est aussi un choix.

- il est fondamental que tous s'accordent sur un choix existentiel commun. Chaque vision porte en elle des implications institutionnelles, des priorités d'allocation de ressources et des modes de fonctionnement totalement différents. De même qu'on ne peut imaginer une armée victorieuse où l'infanterie irait vers le Nord, l'aviation vers le Sud et les tanks vers l'Est, il est fondamental que dans une communauté les objectifs du social, du religieux et du politique soient coordonnés autour d'une même vision existentielle.

En guise de conclusion : comment commencer le processus de réflexion stratégique.

Je souhaite partager avec vous quatre méthodologies de réflexion que j'ai pu observer attentivement. Bien entendu les juifs de France devront choisir le modèle qui leur convient. L'important est que le groupe de réflexion stratégique, le thinktank ou la commission fonctionne selon un mode non-partisan, indépendant et inclusif, qu'il s'impose comme une plateforme neutre où tous se sentiront respectés et en confiance, où toutes les options seront pesées pareillement. L'objectif étant qu'à la fin du processus émerge un ordre du jour commun, partagé et apte à fédérer le plus grand nombre.

1. Le modèle britannique. L'ensemble des institutions juives anglaises ont mandaté une commission qui a interrogé les principaux acteurs et examiner les données existantes. Elle a identifié six enjeux majeurs et a publié un livre blanc qui est en fait un appel aux avis des uns et des autres. Au bout d'un an de travail, elle a proposé des solutions qui ont été soumises aux décideurs et à un débat public. Cette méthode consensuelle a eu un immense succès. Les propositions ont été adoptées par les institutions, des budgets ont été trouvés par delà le noyau communautaire et des institutions appropriées aux différents publics ont été créées. La fréquentation des écoles juives anglaises est passée de 25% à 85% et les initiatives se sont multipliées.

2. Le modèle américain. Le JPPI organise régulièrement des séminaires stratégiques avec les dirigeants des principales organisations juives américaines. Le JPPI produit des documents de synthèses qui résument les enjeux et options d'intervention dans le domaine en question et les participants américains et israéliens, accompagnés de quelques grands donateurs, lancent des projets du futur.

3. Le modèle italien. L'organisation UCEI, principale organisation juive nationale, a organisé au début du mois une série de quatre séminaires. Elle a décidé de faire travailler sur une vision du futur, dans un même lieu mais séparément dans quatre ateliers parallèles, l'ensemble des rabbins, l'ensemble des présidents de communautés, l'ensemble des professionnels communautaire et l'ensemble des jeunes leaders. Pendant deux jours, en début novembre, j'ai animé la partie développement de vision selon une même méthodologie pour faire accoucher chaque groupe de sa propre vision du futur. J'ai ensuite rassemblé les différents groupes d'acteurs pour faire converger leurs visions. C'est un processus long mais très intéressant, qui est aussi essayé en ce moment au Brésil.

4. Le dernier modèle est celui d'un groupe de réflexion indépendant. Le JPPI accompagne dans plusieurs grandes capitales de tels exercices de prospective et le groupe parisien qui se réunit depuis plusieurs mois s'annonce exceptionnel. Leurs premières analyses sont passionnantes et extrêmement prometteuses. Certains des membres de ce groupe sont dans la salle et je les invite, quand nous ouvrirons le débat à l'assistance tout à l'heure, à partager avec nous la nature de leur démarche et leurs premières réflexions.

Directeur de recherche au Jewish People Policy Institute (Jérusalem), Dov Maïmon est notamment l’auteur d’une étude portant sur « le judaïsme européen en 2030 », où s’esquissent divers scénarios possibles pour le devenir communautaire. Ingénieur formé au Technion (Haïfa), diplômé en management de l’Inséad (Fontainebleau), professeur aux Universités de Ben Gourion (Beer-Shéva) et du Mont Scopus (Jérusalem), Dov Maïmon travaille également sur les rapports entre histoire, religions et politique. Son doctorat, consacré aux convergences entre mystiques juive et musulmane, a été récompensé du prix du Chancelier des Universités 2005, attribué chaque année au meilleur doctorat français en sciences humaines.



[2] Le sociologue Max Weber différencie le modèle sectaire caractérisé par l'exclusivisme de la "communauté religieuse" qui est plus inclusif. Les rabbins traditionnels séfarades, depuis l'immense Rav Shalom Messas, père du Rav David Messas décédé aujourd'hui, le Rav Raphael Berdugo et jusqu'au Rav Obadia Yossef יבדל"ט et au Rav Haim Amsalem יבדל"ט, ont toujours cherché à rencontrer le juif depuis le lieu où il est pour le ramener à son peuple et à son identité. Tel est également le positionnement du Rabbi de Loubavitch et de nombreux autres maîtres ashkénazes. Traduire l'être au monde et le quant à soi d'une telle attitude dans le contexte français exige une créativité, un courage et une écoute attentive de nos plus grands maîtres. Puis-je me permettre une suggestion ? Je vous invite à publier dans l'année qui vient, à la mémoire du grand rabbin de Paris, une édition française annotée des Responsa du Rav Shalom Messas, lequel illustre plus que tout autre une attitude d'accueil inconditionnel depuis un lieu de hauteur morale sans concession. Il se trouve justement que certains des rabbins qui ont publié des études scientifiques en hébreu sur ce grand maître écrivent très bien en français.


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