LESVIOLENCECONJUGALES
ENPLEINEEXPANSION
CHEZLESPALESTINIENS
Source : lemonde.fr en ligne
le 23 novembre à 15h 31
sur Diasporablog à 16h 20
Un film sur les violences conjugales
libère la parole de Palestiniennes
Jérusalem
Correspondance
Le directeur de cabinet du chef de la police de Tulkarem, dans le nord de la Cisjordanie, n'en revient toujours pas. A la fin du mois d'octobre, en l'espace de quarante-huit heures, il a reçu quatorze appels de jeunes femmes, victimes de harcèlement sexuel au sein de leur propre famille. "En un an, on récolte d'habitude moins de dix confessions de ce genre, explique le lieutenant Emad Salameh. Dans une société aussi traditionnelle que la nôtre, les femmes préfèrent se taire." Le déclencheur de cette vague d'appels au secours est un documentaire de quinze minutes, intitulé Graines de grenade dorées, diffusé quelques jours plus tôt par Al-Fajer TV, la chaîne de télévision de Tulkarem et consacré au tabou de l'inceste.
Produit par Shashat ("écrans" en arabe), une ONG palestinienne de promotion du cinéma au féminin, ce court-métrage s'intègre dans un projet de l'Union européenne baptisé "Masarat" ("itinéraires") qui a vocation à susciter le débat sur la place de la femme dans la société.
Quatre films ont ainsi été réalisés, puis projetés durant l'automne dans plusieurs dizaines d'associations, de centres culturels et d'universités des territoires occupés, dont Graines de grenades dorées, mis en scène par la documentariste palestinienne Ghada Terawi. Cette oeuvre belle et douloureuse entremêle des interviews de jeunes femmes qui racontent leur calvaire aux mains d'un père libidineux et d'une mère qui détourne le regard, avec la présentation d'un conte folklorique sous forme de dessin animé.
C'est l'histoire d'une jeune fille nommée "Graines de grenades dorées", martyrisée par le cheikh de son village qu'elle a surpris en train de dévorer un enfant, mais qu'elle refuse de dénoncer. Le film se conclut sur la supplique d'une des femmes qui témoigne, le visage dans l'ombre pour qu'on ne la reconnaisse pas : "Ne restez pas silencieuse. Parlez... Même au vent s'il le faut... Mais parlez, parlez..."
Le message a été reçu au-delà de toute espérance. Deux heures après la projection du film dans l'amphithéâtre d'une université de Cisjordanie, deux élèves ont fait irruption dans le bureau du directeur des études et lui ont parlé des attouchements auxquels leur père se livre. Après la diffusion du film sur Gamma TV, la chaîne locale de Naplouse, Abir Kilan, la directrice, a reçu une demi-dizaine d'appels, principalement de mères de famille. Mais c'est à Tulkarem que l'impact a été le plus fort. Le portable du lieutenant Salameh, qui avait participé au débat télévisé suivant la projection du film et qui avait communiqué son numéro à cette occasion, n'a pas cessé de sonner. "Parmi les appels, il y avait celui d'une jeune fille violentée par son frère et son oncle en même temps ; celui aussi d'une mère de famille soumise aux assauts de son père, parce que son mari est emprisonné en Israël et qu'elle a dû revenir vivre chez ses parents", raconte-t-il.
Dans les bureaux de Shashat, à Ramallah, la directrice Alia Arasoughly demeure pantoise devant la réaction, quasi cathartique, générée par ce film de quinze minutes. "Nous avons l'habitude de nous attaquer aux tabous de la société, mais je n'imaginais pas que nous déclencherions un phénomène pareil, affirme-t-elle. C'est comme si nous avions ouvert sans le savoir la boîte de Pandore."
Et pourtant, la mise en route du projet a été laborieuse. Deux universités, celles de Tulkarem et d'Hébron, ont immédiatement boycotté le film, arguant que la mise en cause d'un "cheikh" par l'une des femmes interviewées risquait de heurter le conservatisme ambiant. Beaucoup d'autres structures initialement partantes ont été ébranlées par les critiques rituelles accusant Shashat de "promouvoir un agenda occidental".
Il a fallu la caution de la prestigieuse université An-Najah de Naplouse, bastion de l'orthodoxie palestinienne, pour que le cycle des projections démarre. "Les comptes rendus des débats nous sont parvenus au fur et à mesure et nous nous sommes alors rendu compte que dans la plupart d'entre eux une femme faisait état d'abus contre elle ou bien contre une proche, dit Alia Arasoughly. C'est comme une immense souffrance qui nous gifle. A quoi donc ont servi les millions d'euros investis dans ces colloques et autres conférences sur les droits de la femme ?"
Maha Abou Dayeh, la directrice du principal centre d'aide juridique pour les femmes en Cisjordanie, reconnaît l'urgence. Selon elle, le chaos économique et social entraîné par la répression de la seconde Intifada a aggravé le fléau des violences domestiques, commun à toutes les sociétés patriarcales. "Un homme qui est humilié, privé des moyens de subvenir aux besoins de sa famille, traumatisé par les tortures subies en prison, peut être tenté de rasseoir sa virilité bafouée sur le dos de sa femme et de ses enfants", dit-elle.
En dépit du travail de sensibilisation entamé, auprès des forces de police notamment, elle concède que la loi du silence bâillonne les femmes encore trop souvent. "La cellule familiale est le ciment de notre société face aux coups de boutoir des sionistes, affirme Maha Abou Dayeh. Beaucoup de familles préfèrent étouffer le scandale, maintenir un semblant d'unité, plutôt que d'aller au tribunal."
Que va-t-il advenir à cet égard des quatorze rebelles de Tulkarem ? "J'ai peur qu'elles n'aient parlé pour rien, que personne ne se risque à les écouter vraiment", souffle Ghada Terawi, la réalisatrice. Pour l'instant, seulement deux d'entre elles ont osé franchir la porte du commissariat pour porter plainte officiellement.
Benjamin Barthe
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
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