PASSERELLE
Source : lacroix.com
en ligne le 17 juin
100è ANNIVERSAIRE
DE LA REHABLITATION
DU CAPITAINE DREYFUS
Il y a cent ans, Dreyfus était réhabilité. Le 12 juillet 1906, les magistrats rendaient enfin justice au capitaine Dreyfus en cassant l'arrêt de sa condamnation. Ce fut une étape décisive, il y a juste cent ans, dans le processus d'indépendance de l'institution judiciaire
Le capitaine Alfred Dreyfus (2ème en partant de la droite) discute avec le Général Gillain qui vient de lui remettre la Légion d'honneur lors de la cérémonie célébrant sa réhabilitation, le 21 juillet 1906 dans la grande cour de l'Ecole militaire à Paris (photo AFP).
Ce 12 juillet 1906, devant une salle recueillie, le premier président de la Cour de cassation, Alexis Ballot-Beaupré, lit. Sans effet de manche, en magistrat méticuleux qu’il est. Il lit pendant une heure puis conclut, alors que l’émotion finit par pointer dans sa voix : « Attendu, en dernière analyse, que de l’accusation portée contre Alfred Dreyfus, rien ne reste debout, la Cour annule le jugement du Conseil de guerre qui, le 9 septembre 1899, a condamné Dreyfus à dix ans de détention et à la dégradation militaire ; elle dit que c’est par erreur et à tort que cette condamnation a été prononcée. »C’est fini. Douze ans après une première condamnation inique, la vérité est démontrée, la justice est rendue. Fêté chez les Dreyfus, l’événement sera salué comme il se doit par la presse nationale et étrangère. Puis il retombe dans une sorte d’oubli. « Cet arrêt a été longtemps sous-estimé dans l’historiographie, déplore Jean-Jacques Becker, professeur émérite à l’université de Paris X. On pensait communément que l’affaire s’arrêtait au procès de Rennes et à la grâce qui a suivi. Or, la grâce, ce n’est pas l’innocence. C’est cet arrêt qui met le vrai point final à l’affaire, en proclamant l’innocence de Dreyfus. »Le travail réalisé à l’époque par la Cour de cassation est considérable. Une enquête de plus d’un an, 300 dépositions, 5 000 pages de travaux. Il faudra cinq jours au conseiller rapporteur Clément Moras pour lire le rapport de l’instruction. Le procureur général Manuel Baudouin tiendra huit audiences avec son réquisitoire. Enfin, l’avocat de Dreyfus, Henry Mornard, plaidera trois jours durant. « Le travail d’enquête qui a été fait est tout à fait impressionnant, relève l’historien Vincent Duclert, qui vient de publier une biographie du capitaine Dreyfus (1). Tout, absolument tout, a été passé au crible des preuves. »
La Cour de cassation, seule contre-pouvoir efficaceMinutieusement, les magistrats vont reprendre une à une les charges supposées contre Alfred Dreyfus pour démontrer, sur la base de témoignages et d’expertises, leur inanité. Les aveux ? Une légende. Le « bordereau » qui prouverait les rapports de l’officier avec l’état-major allemand ? De la main d’Esterhazy, pas de celle de Dreyfus. Le « dossier secret », passé au fil du temps de 4 à près de 400 documents pour justifier a posteriori une première condamnation ? Un inextricable mélange de documents authentiques faussement attribués au capitaine et de faux fabriqués par des militaires convaincus, pour certains, de la culpabilité de Dreyfus et conduits, pour d’autres, par l’esprit de corps, l’antisémitisme ou le nationalisme. «Cet arrêt est la preuve que, quand la justice s’en donne les moyens, même face à des dossiers d’une grande complexité elle peut parvenir à la vérité», analyse Vincent Duclert.Encore faut-il que les magistrats se décident à jouer pleinement leur rôle, en toute indépendance. Dans le long chemin vers la réhabilitation d’Alfred Dreyfus, on peut faire ce crédit à la majorité des hauts magistrats qui composaient alors la Cour de cassation. Certes, tempère l’historien du droit Jean-Pierre Royer, tous les conseillers de la Cour (dont certains s’affichaient encore nettement anti-dreyfusards en 1899) ne se sont pas alors comportés en « soldats du droit ». D’autres rappelleront que le contexte de 1906, avec la victoire en 1902 du Bloc des gauches, était plus favorable à la proclamation de l’innocence de Dreyfus. Ou encore que c’est le combat acharné de Dreyfus lui-même qui lui vaudra de retrouver son honneur. Il n’empêche : « Ces magistrats ont fait preuve d’un grand courage », assure Jean-Jacques Becker. La Cour de cassation est apparue, à l’occasion de cette affaire, comme la gardienne du droit et le seul contre-pouvoir efficace, alors même, souligne Jean-Pierre Royer, « que l’armée paraît avoir imposé sa volonté à un pouvoir politique impuissant ou complaisant, et que le jury populaire avait manifesté sa faiblesse en condamnant Zola ».
Une campagne de diffamation s’abat sur la chambre criminelleCe fut particulièrement spectaculaire lors de la première révision de 1899. Cette dernière était devenue inévitable, malgré l’opposition farouche de l’armée et d’une grande partie du pays, quand le commandant Henry (ancien responsable de la section de statistique) avoua avoir fabriqué un faux pour accabler Dreyfus, avant de se suicider dans sa cellule du Mont-Valérien. La chambre criminelle de la Cour de cassation est alors saisie, ce qui provoque un déferlement de haine et d’antisémitisme. La vie privée, la religion, l’origine des 14 magistrats concernés sont scrutées, vilipendées. Une véritable campagne de diffamation s’abat sur la chambre criminelle, qui sera même dessaisie, par une scandaleuse loi de circonstance, au profit des trois chambres réunies de la Cour de cassation. Ces vents contraires n’empêcheront pas les hauts magistrats, après un an d’enquête, de se prononcer en faveur de la révision du jugement de 1894. « L’Affaire révèle une magistrature inattendue pour l’époque, qui fait preuve de son indépendance alors qu’on se la représentait avec l’échine courbée face au pouvoir », reconnaît Jean-Pierre Royer.Le calvaire d’Alfred Dreyfus n’est pas fini pour autant. Renvoyé devant ses pairs, il sera à nouveau condamné par le Conseil de guerre de Rennes, à l’issue d’un procès où se multiplient les entorses à la procédure. L’absurde verdict (dix ans de détention, avec des « circonstances atténuantes ») provoque un scandale et un appel au boycott de l’Exposition universelle, prévue à Paris en 1900. Devant la levée de boucliers, le président Loubet gracie Alfred Dreyfus dix jours plus tard. Il faudra encore attendre sept longues années pour venir à bout du monstre judiciaire. Sept ans pour que, comme le souligne Vincent Duclert, « la justice civile sorte victorieuse de son combat contre une justice militaire sans contrôle ».Étape essentielle dans l’histoire d’Alfred Dreyfus, l’arrêt de 1906 est aussi une référence pour la justice d’aujourd’hui. « L’Affaire montre à quel point il est indispensable que la justice se fasse au grand jour, qu’elle dise sur quelle base elle accuse et comment elle travaille », relève Vincent Duclert. Pour le premier président de la Cour de cassation Guy Canivet, qui a souhaité célébrer solennellement le centenaire de l’arrêt, la leçon est aussi « humaine » : « Nous formons des juges qui vont se trouver exposés au jour le jour à la justice ordinaire. Et puis, un jour, surgit une affaire Dreyfus, une affaire Clearstream, une affaire d’Outreau… Et là, il faut avoir la force morale de se mettre à la hauteur de la situation. »
Emmanuelle REJU
Le livre de Vincent Duclert Alfred Dreyfus, l’honneur d’un patriote, (Fayard, 1 258 p., 30 €), fera l’objet d’une recension dans notre supplément Lire & Idées du 6 juillet***
Un arrêt qui fait encore jurisprudence
Dans son arrêt du 12 juillet 1906, la Cour de cassation décide d’appliquer pour la première fois la possibilité, offerte par la nouvelle loi sur la révision de 1895, de casser un jugement sans renvoyer à une juridiction de première instance, et de juger par conséquent de manière définitive. L’interprétation qu’elle fit de la nouvelle loi figure toujours comme référence dans l’actuel code de procédure pénale. En revanche, il aura fallu attendre 1989 pour qu’une personne condamnée par une cour d’assises puisse saisir directement la Cour de cassation d’une demande de révision, sans passer par l’intermédiaire du garde des sceaux.***
Une année de commémoration Des colloques. Le colloque de la Cour de cassation, organisé en collaboration avec la Société internationale d’histoire de l’affaire Dreyfus, l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et l’ordre des avocats du Barreau de Paris, se déroulera le lundi 19 juin dans la grand’chambre où l’arrêt de réhabilitation de Dreyfus fut prononcé le 12 juillet 1906. À cette occasion, la Cour de cassation a contribué à la réalisation de l’ouvrage collectif sur le thème du colloque, De la justice dans l’affaire Dreyfus (Fayard, 416 p., 26 €). C’est la première fois qu’un ouvrage est consacré à l’aspect judiciaire de l’Affaire.Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) organise un colloque le 6 juillet à la mairie de Paris. Un autre colloque a par ailleurs eu lieu le 9 mai dernier, à l’initiative du Consistoire central israélite de France.Des expositions. Au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, du 14 juin au 1er octobre 2006. Dépositaire de nombreuses archives léguées par les héritiers de la famille Dreyfus, le musée présente près de 230 œuvres et documents, dont beaucoup sont montrés pour la première fois dans une exposition, « Alfred Dreyfus, le combat pour la justice ». Deux conférences sont prévues : « Dreyfus, une conspiration d’État », le 22 juin à 20 heures ;
« Les juifs et l’affaire Dreyfus », le 29 juin à 20 heures. Une lecture de la correspondance entre Alfred Dreyfus et sa femme Lucie est prévue le 3 juillet à 20 heures.Depuis le 28 mars, le Musée de Bretagne à Rennes propose une exposition permanente portant sur la chronologie de l’Affaire, les personnages et les soutiens apportés à Alfred Dreyfus.Un timbre représentant la réhabilitation du capitaine Dreyfus, promu commandant dans la cour des Invalides, et la remise de la Légion d’honneur qui lui fut attribuée sera mis en vente générale le 13 juillet prochain.Alors que, ce 22 juillet 1906, jour de la cérémonie, des témoins crient « Vive Dreyfus, vive l’Armée », le nouveau commandant rectifie « Vive la Vérité, vive la République ».
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire