LECTURE
Source : lemonde.fr en ligne
le 1er octobre
Sur les traces du Yiddishland",
d'Alain Guillemoles :
dans un monde perdu
Elle monte en effluves de chaque page tournée, la mélancolie ! Elle irradie les chapitres de ce livre consacré à un monde délavé, largement englouti, "comme l'Atlantide" : le Yiddishland. Un monde sans périmètre précis, autrefois réparti sur plusieurs pays au centre de l'Europe, si foisonnant à l'orée du XXe siècle, qui vit naître le sionisme. "Il n'est pas facile d'explorer un vide", dit l'auteur, Alain Guillemoles, en maniant l'euphémisme. Il y rappelle ce fait démographique : "Dans les années 1930, les juifs ont représenté de 30 % à 70 % de la population des villes de Pologne ou d'Ukraine de l'Ouest. En tout, 11 à 12 millions d'habitants."
Journaliste à La Croix, Alain Guillemoles connaît bien ces contrées d'Europe orientale et de l'ex-URSS, en particulier l'Ukraine. Dans cet ouvrage, il satisfait un intérêt, une curiosité, autres que professionnels : familiaux. Dans la conclusion, intitulée "Au nom des survivants silencieux", il évoque avec pudeur ses ancêtres, arrivés en France de Roumanie au début du XXe siècle, déportés au moment de la rafle du Vél'd'Hiv. Le grand-père d'Alain Guillemoles fut le seul survivant.
Pourquoi est-ce important de le signaler ? Parce que l'auteur représente une génération élevée dans le silence que leur imposaient les survivants sur ces douleurs insurmontables de l'Holocauste. "Marié à une catholique, dans le sud de la France, il s'est tu toute sa vie sur ce qu'était ce monde d'avant", écrit Alain Guillemoles.
Dans ce livre qui fait justice au passé avec une certaine tristesse, il est question à la fois de redécouverte et d'oubli. Les populations vivant sur l'ancien Yiddishland sont accablées par la modernité, la crise économique, les crispations identitaires, le poids du passé. L'auteur visite les vieux quartiers juifs, à Budapest et à Prague. Il assiste au retour des juifs religieux Hassidim en Ukraine. A Lublin, en Pologne, ou bien à Lviv, en Ukraine, il rappelle le détail de l'extermination de la population juive, puis la chape de plomb tombée sur ces événements.
Dans l'ouvrage, les nombreuses photographies semblent parfois superflues. Elles racontent en moins bien ce que disent les textes et les affadissent. La grande majorité montre des bâtiments ou des monuments, accentuant l'impression que le livre parle davantage du passé que du présent ou de l'avenir. On se sent dans une excursion touristique mais avec le recueillement d'une procession.
Transmettre une histoire
Une certitude émane du livre : le temps passe et ses dommages sont irréparables. Les murs conservent, davantage que les hommes, la mémoire des plaies et des morts. Cela dit, tout fout le camp : les hommes émigrent vers Israël ou les Etats-Unis, les murs s'effritent ou bien sont mis à bas pour faire place à des bâtiments modernes, des "salles de boxe" ou des "maisons de la culture".
Bien sûr, comme le raconte Alain Guillemoles, il reste ici ou là des héros anonymes, des hommes et des femmes obstinés qui se battent pour transmettre une histoire et une culture, au nom de leurs aïeux ou juste par humanité. Comme Dalia Epstein, en Lituanie, mémoire vivante de la présence juive dans le pays, qui "parle joliment de sa "judéité suspendue" durant le régime soviétique". Ou bien le metteur en scène polonais Tomasz Pietrasiewicz, à Lublin, qui n'est pas juif mais consacre son travail à "mener une conversation sérieuse sur le passé". Mais cette conversation, aujourd'hui, ressemble souvent à un questionnement individuel. Le Yiddishland existe surtout dans les voyages intérieurs.
---------------------------------------------------------
SUR LES TRACES DU YIDDISHLAND
d'Alain Guillemoles.
Les Petits Matins, 194 p., 27 €.
Piotr Smolar
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire