PASSERELLE
Source : la newsletter d'EVENE.FR
diffusée le 15 février
SERGE MOATI, ANIMATEUR-PRODUCTEUR
DE L'EMISSION "RIPOSTES"
PROJETE LA REALISATION D'UN FILM
SUR MITTERRAND A VICHY
L’empathie comme subjectivité
INTERVIEW DE SERGE MOATI
Serge Moati, producteur, réalisateur, animateur sur France 5 a accepté de nous recevoir sur son lieu de travail afin de répondre aux questions d’Evene autour de la télévision, de l’image et de sa carrière. Interview dans les locaux de sa maison de production Image et Compagnie.
Une rencontre avec Serge Moati contribue à définir à la fois l’homme et le professionnel des médias par un seul mot : l’empathie. Car, même lorsqu’il est interviewé, l’animateur de ‘Ripostes’ vous interpelle sans jugement ni agressivité mais avec le souci sincère de comprendre qui vous êtes. Il serait en quelque sorte un paradoxe dans l’altérité. Soucieux d’identifier l’autre afin d’éclairer ses discours et d’interpréter ses actes, il ne tente, malgré tout, jamais de le réduire, de le figer. Ainsi, un dialogue avec lui devient inéluctablement une espèce de confession pudique sur fond humaniste. Peut-être doit-il cette singularité au fait de n’être pas journaliste mais à ce principe qu’il revendique lui-même : “Mon métier, c’est d’écouter l’autre.”
Découvrez la vidéo de Serge Moati
Comment vous est venu l'envie de devenir
producteur, réalisateur ou écrivain ?
L’instinct de survie. J’ai perdu mes parents quand j’avais 11 ans en Tunisie et quand je suis arrivé à Paris, je n’avais plus rien, ni repère ni argent. Je me suis mis alors à travailler très tôt, à 17 ans. Depuis longtemps je voulais faire des films, me raconter des histoires. Je me suis donc acharné. Une petite annonce cherchant un réalisateur pour une télévision scolaire en Afrique m’a permis de commencer. Je leur ai montré des petits courts métrages que j’avais réalisés auparavant. J’ai pu partir au Niger où j’ai réalisé des films très importants pour moi et qui m’ont permis d’intégrer l’ORTF à l’âge de 21 ans.Vous avez une vraie fascination pour l’image ?C’est ma culture. Les nombreux films que j’ai vus, enfant, au cinéma de Tunis, m’ont marqué. Je n’ai jamais cessé de les regarder, je dévorais également Ciné-Revue et Cinémonde. Quand je suis arrivé à Paris, j’ai eu cette rencontre primordiale avec François Truffaut qui m’a traité comme un petit frère en m’emmenant au cinéma, en me faisant lire des scénarios. J’ai une fascination pour le fait non pas de raconter des histoires mais de les “montrer”.
Quelle différence entre fiction et documentaire ?
Je n’ai jamais hiérarchisé mes passions. J’ai toujours fait les deux et ça ne me paraît pas être différent. Je raconte en images des choses réelles ou tirées de l’imaginaire. Mais en définitive, que veut dire “fiction” ? Vous filmez toujours de la réalité, les comédiens sont en chair et en os. D’ailleurs, quand vous faites des documentaires, c’est quelquefois tellement romanesque que le réel semble fictionnel, inconcevable. Aujourd’hui, j’ai surtout la chance de pouvoir faire les deux. L’image peut-elle répondre aux exigences de la réflexion ? Par exemple, pensez-vous que votre documentaire ‘La Haine antisémite’ a permis au spectateur de dépasser le stade de l’émotion ?C’est vrai que ce documentaire s’adresse plus à l’émotion, par le choc qu’il produit, qu’à la réflexion. Mais je ne crois pas, pour prendre votre exemple, au combat contre l’antisémitisme par la médiation d’un documentaire. Je crois au ridicule de la situation, au ridicule de ce qu’est la haine. Tout mon travail consiste à dénuder, c’est-à-dire à rendre pitoyable le discours. J’ai été voir les chefs nazis à travers le monde et je leur ai demandé : pourquoi vous me détestez autant ? Ils étaient étonnés de me voir tout seul avec ma petite caméra. Un gars qui se revendique juif, qui vient les interviewer dans leur antre, ça étonne. Ils se méfiaient les quinze premières secondes, puis rapidement, leur haine était tellement forte, qu’ils en oubliaient la caméra et le fait que je sois juif. Ce qui m’intéressait, c’était la brutalité du rapport. C’est curieux de filmer la haine, de la voir aussi incandescente.
Avec ‘Ripostes’, comment définiriez-vous
la singularité de votre approche ?
C’est sûrement que je ne suis pas journaliste. Je ne suis pas dans la connivence, je ne cherche pas le scoop, à avoir une information inédite. Mes préoccupations sont également différentes. J’ai des rêves de prochains bouquins, de mises en scène de théâtre… Je ne suis pas obsédé par les élections municipales même si je prépare un film à ce sujet. Ce qui m’intéresse, c’est l’émotion sous l’émotion. Je mets les gens le plus à l’aise possible sur le plateau afin que ça advienne. Je suis dans l’écoute empathique de l’autre. Je suis tout le monde à la fois sur le plateau et je ne me sens jamais en accord ou en désaccord avec les gens qui parlent. C’est étrange comme sentiment car quand je les entends parler, je les comprends tous. Et la parole de l’autre m’enrichit profondément. En réalité, il y a toujours quelque chose à capter dans l’autre même si vous ne partagez pas son opinion. D’ailleurs, on vous a reproché cette attitude avec Jean-Marie Le Pen, argumentant que la frontière entre l’empathie et la complaisance est assez difficile à fixer. Ceux qui ont dit ça se sont repentis. Ils ont compris que c’est une méthode qui permet de dénuder les choses. Je n’ai jamais cru que Jean-Marie Le Pen allait prendre le pouvoir en 2002, qu’avec lui le fascisme allait passer. J’ai compris que c’est un leader populiste - comme il y en a beaucoup dans le monde - et qu’il convenait d’entendre son discours. J’ai été le premier à débloquer ça, à la télévision, en refusant de le figer dans son image de fasciste ou de raciste sans tenter d’entendre. Par exemple, il a posé des questions très intéressantes sur l’identité, la désespérance des classes moyennes. Au lieu de faire preuve de cécité à son égard, on aurait mieux fait de l’écouter pour se réapproprier ces questions fondamentales.
Finalement vous préférez tenter
de comprendre les hommes plutôt que les idées ?
C’est vrai. Je pense que ça apporte une forme de connaissance pour les téléspectateurs au sujet des hommes politiques, par exemple. Qui est cet homme ? Comment se comporte-t-il ? Qu’est-ce qu’il pense vraiment ?… C’est fondamental. On ne peut pas combattre ou aimer quelqu’un si l’on ne sait pas qui il est. Diaboliser les gens, ça n’a jamais été une bonne politique. Il faut toujours se sentir en position d’avocat lorsque vous faites une interview et non de procureur. Je ne peux pas admettre l’exclusion. Il ne faut pas considérer a priori l’autre comme un ennemi. Ça n’empêche en rien d’avoir vos convictions ou vos sentiments. C’est parce que vous jouez à l’avocat que vous faites parler votre client.Donc l’objectivité n’est pas votre propos ? L’objectivité, je n’ai jamais compris ce que c’était. Je ne crois pas à l’objectivité, encore moins dans le journalisme. Je crois plutôt à la passion, à la curiosité citoyenne, à l’honnêteté mais toujours en revendiquant ce que l’on est. Mon métier - qui n’est pas celui de journaliste - est d’écouter l’autre, d’essayer de sentir et de faire sentir, même aux dépens de l’analyse politique. Ce choix de méthode, depuis quarante ans de métier, fait sens. C’était toujours le même qui écoute les autres et qui essaie de révéler un moment de vérité. Que ce soit en fiction, en documentaire, en émission, c’est toujours le même qui ne cache jamais ce qu’il est mais qui écoute sans vouloir être plus intéressant que la personne qu’il interviewe. Ce procédé explique-t-il votre prédilection pour les coulisses ?Je ne supporte pas les apparences. Je n’aime pas quand les hommes ont un système de communication très au point qui altère les rapports avec les autres. J’essaie de briser l’artifice de l’image médiatique ou alors je mets carrément en scène leur communication. Il faut montrer toute la machine électorale, ce que j’ai fait durant la présidentielle avec Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Il faut dévoiler la réalité du “non-dialogue”. Ce qui m’intéresse quand je filme les candidats c’est de savoir comment on devient Le Pen ou Sarkozy. Je n’aime pas les journalistes qui croient avoir le monopole du savoir. Il faut, avant tout, être curieux. Si vous prenez de grands chroniqueurs politiques comme Alain Duhamel ou Jean-Michel Apathie, ce sont des gens qui s’intéressent énormément à la personnalité des hommes politiques. S’ils parlent souvent des idées, ils restent extrêmement attentifs à l’identité de l’autre.
Vous avez écrit quelques romans.
Quel Moati s’exprime à travers ses livres ?
Les livres sont une façon pour moi d’exprimer une dichotomie. Je ne suis pas le même. En écriture, je suis engagé, créateur ; derrière la caméra je suis à l’écoute. C’est un peu comme jouer du piano de la main droite ou de la main gauche, ce n’est pas tout à fait pareil.Mais l’un enrichit l’autre. Dans ‘Villa Jasmin’, il y a un type d’extrême droite qui vient arrêter mon père pour l’envoyer en camp de concentration. J’ai eu besoin de savoir ce qu’était un mec d’extrême droite. J’ai donc passé beaucoup de temps au Front national à rencontrer des gens. Vos prochains projets ?Image et Compagnie, l’entreprise que je dirige, réalise énormément de fictions et documentaires. En ce moment, on travaille sur la fuite de de Gaulle à Baden en 1968, on continue la série ‘Mafiosa’. Je prépare également un projet sur Mitterrand à Vichy d’après le livre de Pierre Péan…
Propos recueillis par Thomas Yadan
pour Evene.fr
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