LETATMORAL
DESJUIFS
DEGRANDEBRETAGNE
Source : la newsletter du CRIF diffusée
le 7 septembre
De l’inconfort de la communauté juive
à la définition
d’un nouvel antisémitisme
De l’autre côté de la Manche, la communauté juive de Grande-Bretagne, qui compte entre 300 000 et 350 000 membres, fait actuellement face à un paradoxe. La deuxième communauté juive de l’Union européenne est ainsi citée en exemple parmi les minorités britanniques pour sa bonne intégration. En même temps, elle se sent de plus en plus vulnérable face à des comportements antisémites et craint les impacts des attitudes anti-israéliennes. En 2005-2006, une enquête parlementaire réunissant tous les partis a analysé les incidents et les discours antisémites en Grande-Bretagne. Elle a recommandé d’approfondir la définition de l’antisémitisme afin de prémunir plus efficacement la communauté juive britannique contre la stigmatisation.
Une organisation en charge de la formation à la protection des Juifs anglais, le Community Security Trust (CST), analyse, dans ses rapports annuels, la présence de discours antisémites dans la sphère publique nationale. Les relevés des attaques contre des Juifs ou des organisations juives établis par le CST permettent de mieux comprendre les sentiments de peur et d’isolement que partagent les Juifs anglais.
C’est en montrant des figures récurrentes dans certains discours sur les Juifs que le dernier rapport du CST, portant sur « le discours antisémite en Grande Bretagne en 2008 [1]», entend définir les nouvelles limites de ce discours et ainsi faire partager ses définitions de l’antisémitisme. Ce rapport approche également la sociologie de la réception des médias, faisant prendre conscience de la variété des réceptions d’un discours donné. En effet, un discours peut affecter de manière différente des populations, plus ou moins sensibles à un sujet. C’est par les deux bords de la communication médiatique, de la production des discours à leur réception, que s’élabore le travail de diffamation d’une population, mais aussi – ce qu’évoque en creux l’analyse – le travail de rétablissement du dialogue autour de termes communs.
Discours antisémite :
l’antisionisme comme nouvelle figure
du discours
L’étude du discours antisémite dans la sphère publique britannique qu’a effectué le Community Security Trust relève, dans les médias destinés à un public large, les articles, figures, images et commentaires de rédacteurs ou des lecteurs par la voie des blogs. L’étude ne porte donc pas sur les publications de groupes marginaux, clandestins, extrémistes ou radicaux.
Elle met principalement en valeur les continuités thématiques entre le discours antisémite et le discours antisioniste contemporain. Si la critique d’Israël ne peut être considérée comme de l’antisémitisme, elle peut n’être parfois qu’un costume de l’antisémitisme, notamment si elle revêt les aspects suivants :
Concernant la motivation de la critique : l’insistance sur le caractère juif de l’état ou du sionisme
Concernant la forme de la critique : l’utilisation des thèmes ou des motifs antisémites ou racistes
Concernant la cible de la critique : la marginalisation de fait des Juifs locaux, qui deviennent alors la cible de critiques ou de préjugés procédant ostensiblement d’une hostilité anti-israélienne.
Il y a en effet beaucoup de continuité entre les thèmes antisémites traditionnels et l’antisionisme contemporain. Prenons l’exemple de certaines personnes, surtout dans la gauche politique, qui attendent des Juifs qu’ils déclarent leur position sur Israël avant d’être traité décemment. Cette pratique ne s’inscrit-elle pas dans la lignée des « conversions » du Juif à l’idéologie dominante ? Historiquement, les Juifs, lorsqu’ils se « convertissaient » à d’autres formes d’identité, comme le christianisme, le nationalisme ou le communisme, devaient montrer patte blanche et rejeter leur judaïté.
Production d’un discours :
les sens des mots
Le rapport constate que, dans bon nombre d’articles de la presse britannique, le mot « sionisme » est devenu une figure du discours antisémite contemporain. Pour beaucoup de personne se définissent comme « antisioniste », le mot même « sioniste » résonnant désormais avec une conspiration politique, financière, militaire et médiatique centrée à Washington et Jérusalem, qui s’opposerait aux intérêts locaux.
Beaucoup d’antisionistes sont sincèrement opposés à l’antisémitisme. Seulement, leur définition extrême du sionisme fait écho à des croyances antisémites anciennes sur les Juifs. Comme l’a affirmé l’enquête parlementaire de 2005 : « Un discours est en effet antisémite car il voit le sionisme comme une force globale d’un pouvoir illimité […] cette définition du sionisme ne comporte aucune relation avec la compréhension que la majorité des Juifs ont de ce concept, à savoir que le sionisme est un mouvement juif de libération nationale, né à la fin du 19è siècle avec un périmètre géographique limité à Israël. »
Réception des discours : les filtres sociologiques de l’interprétation
La compréhension des discours est inscrite dans une relation dialogique, d’un émetteur à un récepteur, lequel dispose de son propre filtre d’interprétation
Le rapport, en montrant que des impacts antisémites peuvent être provoqués par des situations tout à fait légitimes qui ne portent pas, elles, d’intention antisémite, suggère l’importance de la distorsion d’un discours à sa réception. La couverture médiatique ou le commentaire politique d’événements peuvent ainsi être complètement légitime et dans l’intérêt public du point de vue de la production, et cependant provoquer une réaction de haine. Dans le même temps, des membres de groupes ciblés peuvent se sentir vulnérables à cause de débats publics sur des sujets qu’ils perçoivent comme étant très liés à eux.
Le sondage du Pew Global Attitudes rappelle à ce propos que la perception des Britanniques à l’égard des juifs est plus favorable (73 % positive) que leur perception des musulmans (63 %) et moins favorable que celle des chrétiens (83 %). L’hostilité exprimée à l’égard des juifs est de 9 %, inférieure à celle envers les musulmans (23 %). Notons toutefois que 19 % des Anglais n’ont pas accepté d’exprimer leur sentiment vis-à-vis des juifs, ce qui peut révéler une ambigüité de sentiment à leur égard, en ne voulant pas être perçu comme antisémite ou au contraire philosémite[2]. Dans tous les cas, ce sondage permet d’évoquer le terrain des perceptions des groupes religieux en Grande Bretagne, et des auto-perceptions. L’antisémitisme est un important indicateur de la division, du degré de tolérance et de la présence d’extrémisme d’une société dans son ensemble.
Le sentiment de préoccupation des Juifs provoqué par le boycott anti-israélien fait comprendre la spécificité de leur sensibilité. Les groupes juifs britanniques sont en effet préoccupés par les effets actuels et potentiels des campagnes de boycotts anti-israéliens, tout en évitant de les catégoriser comme antisémites par nature, Mais en faisant disparaître des produits casher, le boycott aurait un impact négatif, physique et bien réel sur les Juifs britanniques. Le boycott aurait aussi bien évidement un impact psychologique sur le moral des Juifs : la mémoire collective convoque le souvenir du passé. Elle rappelle que le boycott fut la première action de stigmatisation des nazis vis-à-vis des Juifs, un pas important conduisant de l’isolation vers la Shoah. Même si les deux boycotts n’ont rien d’équivalent, les Juifs britanniques ont peur que le boycott conduise inévitablement à un nouveau degré de stigmatisation et d’isolement de la communauté juive. Il faut souligner que la Grande-Bretagne se singularise par la particulière apprêté des campagnes de boycott menées envers des universitaires israéliens. Ces campagnes ont entraîné une politique d’intimidation des étudiants juifs, sommés de dénoncer Israël et le sionisme.
Discours et vérité : de l’abus de la shoah à son déni
L’étude fait en outre apparaître la présence dans les médias britanniques de comparaisons entre Israël et l’Allemagne nazi, ainsi qu’entre le sort des Juifs et celui des Palestiniens, niant ainsi la spécificité historique de l’entreprise génocidaire nazi : son industrialisation.
Ainsi, Gaza est décrite avec les mots de la Seconde Guerre mondiale, comme « camp de concentration » ou « Ghetto de Varsovie ».
Le déni de l’existence même de la Shoah apparaît également dans les médias anglophones. Ainsi la chaîne Press TV, financée par le gouvernement iranien et animée entre autres par des anciens présentateurs de la BBC, fait place au discours négationniste.
En 2009, le nombre d’incidents antisémites a, en Grande Bretagne, encore une fois augmenté. Le rapport[3] du Community Security Trust portant sur le premier trimestre 2009 comptait ainsi 609 incidents sur la seule première partie de l’année (de janvier à juin 2009), contre 544 sur l’année 2008 entière. Rappelons qu’ils étaient inférieurs de moitié à la fin des années 1990. L’analyse des 286 incidents intervenus en janvier 2009, pendant la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza, montre clairement que l’antisionisme est la première motivation des actes antisémites.
L’importance du nombre d’incidents a duré « anormalement » longtemps pendant les semaines qui ont suivie la fin des combats à Gaza. Ce phénomène, qui peut être corrélé au degré d’exposition de l’information dans l’agenda médiatique, renforce l’intérêt d’étudier la relation entre les actes antisémites et les figures antisémites dans les discours des médias destinés au grand public. Les deux concourent à la mise en place d’un environnement intimidant, voire hostile, ce qui constitue bien la définition du harcèlement selon le Race Relations Act de 1976, voté par le Parlement anglais pour prévenir les discriminations.
1 CST Antisemitic Discourse Report 2008 », publié par le Community Security Trust, 2009.
2 Notons à ce propos que, en France, 79 % se déclarent favorables aux juifs et 20 % non favorables ; 62 % favorables aux musulmans et 38% non favorables ; 82% favorables aux chrétiens et 17% non favorables.
3 « Antisemitic Incidents, January-June 2009 », 2009
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