CAMPAGNE
ELECTORALE
AMERICAINE
Source : liberation.fr en ligne le 8 août
Les Européens attendent-ils trop d’Obama ?
Barthélémy Courmont
chercheur à l’IRIS,
et responsable du Bureau IRIS à Taïwan
La tournée de Barack Obama en Europe a pris les allures d’une marche triomphale, dont le discours de Berlin fut le symbole. A Paris, Nicolas Sarkozy a même déclaré que «la France sera très heureuse» s’il est élu en novembre, affichant clairement, et de manière inédite, la préférence de l’Élysée pour un candidat à la fonction suprême dans une démocratie amie. Mais les faits sont là. Fan clubs, journalistes, ou simples curieux, les Européens ont succombé à «l’obamania». Jamais un candidat à une élection présidentielle n’avait fait l’objet d’un tel enthousiasme populaire, qui plus est à des milliers de kilomètres de son pays. C’est que les Européens sont séduits par le candidat démocrate, et attendent beaucoup de sa présidence s’il est élu en novembre prochain. Mais pourquoi de telles attentes, et surtout, sont-elles justifiées ?
Barack Obama incarne aux yeux des nombreux européens déçus par l’Amérique des années Bush un vrai changement, que John McCain ne parvient que trop difficilement à personnifier. Ses origines, sa jeunesse, son éloquence et ses discours universalistes lui ont attiré des soutiens massifs à l’étranger, en Europe occidentale surtout, et ravivent un rêve américain qui s’était éteint. Mais c’est également un candidat porteur d’espoir sur des dossiers qui ont cruellement divisé les deux rives de l’Atlantique au cours des dernières années, pas tant sur les orientations politiques que sur les valeurs et les priorités. En clair, les Européens attendent des Etats-Unis qu’ils redeviennent une puissance bienveillante, impliquée dans les grands défis internationaux, refusant l’unilatéralisme, mais se montrant également plus à l’écoute sur des problèmes tels que le réchauffement climatique, la fracture Nord Sud, ou les problèmes sociaux qu’implique la mondialisation. Une Europe progressiste qui espère que Washington l’assiste dans son identification des grands défis, et qui ne cherche pas à imposer son leadership. S’ajoute à cela une passion presque irrationnelle pour le candidat démocrate, souvent comparé à Kennedy, et s’imposant comme un véritable modèle, voire une icône.
Mais il convient de rester prudent, et noter que cet engouement populaire sympathique n’est pas toujours en phase avec la réalité. D’une part, et malgré ses bonnes intentions en matière de politique étrangère, les priorités de Barack Obama sont aux Etats-Unis, pas en Europe. Le candidat démocrate est parvenu à s’imposer dans une campagne difficile grâce à son programme économique et social, qui s’inscrit dans les attentes des électeurs. S’il remporte l’élection, ce ne sera pas grâce à sa popularité outre-Atlantique (même si celle-ci lui est profitable), mais grâce à sa capacité à convaincre les électeurs que l’Amérique doit changer de l’intérieur, pour faire face à des difficultés économiques majeures. Et cela ne se fera pas forcément à l’avantage des Européens, notamment dans des négociations commerciales qui pourraient être d’autant plus âpres entre Bruxelles et Washington avec Obama comme chef de l’Exécutif, et un Congrès à majorité démocrate (ce dernier semblant presque inévitable).
D’autre part, les divergences de fond entre Européens et Américains, sur la peine de mort, le port d’arme, l’importance de la religion dans la société ou la place des lobbies (sujet ô combien sensible outre-Atlantique) ne se dissiperont pas avec Obama à la Maison-Blanche, comme elles ne se sont pas dissipées avec Bill Clinton, dont beaucoup attendaient des mesures spectaculaires. Barack Obama ne peut pas tout changer, y compris sur des dossiers de politique étrangère très impopulaires à l’extérieur pour lesquels, comme l’Irak (n’a-t-il pas récemment rappelé qu’il écoutera les militaires, reniant ainsi son souhait d’un retrait rapide ?), il ne pourra se permettre d’opérer un virage à 180 degrés. A cet égard, n’est-il pas venu en Europe rappeler aux alliés de Washington à quel point il est indispensable de renforcer la présence militaire en Afghanistan ? Pas sûr qu’une telle doléance soit très populaire le jour où les chefs de gouvernements européens devront prendre les mesures nécessaires, et assumer leur rôle dans cette guerre imprévisible.
Les Européens pourraient dès lors être déçus par Obama si celui-ci devenait président des Etats-Unis, simplement parce qu’ils découvriraient que son ambition est de diriger son pays, et non le reste du monde. Obama est un candidat au profil exceptionnel, comme on en trouve rarement, et la convergence de ce profil avec les espérances en une Amérique qui retrouve ses couleurs explique son immense popularité à l’étranger. Mais il ne faut pas attendre trop de lui s’il est élu en novembre, au risque d’une cruelle désillusion.
Dernier ouvrage paru :
L’autre pays du matin calme.
Les paradoxes nord-coréens,
chez Armand Colin.
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