ISRAËL
UNEVOIXFEMININE
AUSERVICEDELAPAIX
Source : lexpress.fr en ligne le 1er octobre 2012
Tzipi Livni:
"La paix permet de préserver l'Etat d'Israël"
Propos recueillis
par Raphaël Enthoven,
publié
le 01/10/2012 à 14:35
Tzipi Livini est une ex-agent du Mossad, les services secrets israéliens. Pourtant, elle croit que la paix est possible entre les Juifs et les Palestiniens. Entretien.
Après en avoir été l'espoir, elle est en rupture de ban avec la politique israélienne. Après avoir passé l'agrégation de philosophie, il en porte l'enseignement vers le grand public, sur France Culture et à la télévision. Elle fut agent du Mossad, il est chroniqueur à L'Express. Elle croit la paix possible entre le peuple juif et les Palestiniens, lui aussi. Mais l'optimisme charpenté de la femme politique tient-il le choc face au scepticisme argumenté du professeur ? Tzipi Livni a souhaité cette rencontre, Raphaël Enthoven l'a organisée. Elle a accepté d'être confrontée aux apparentes contradictions de la diplomatie de l'Etat hébreu comme aux mystères de l'identité juive. Il a camouflé, derrière un questionnement serré de journaliste, les interrogations du philosophe.
Parlez-vous arabe
Non, hélas. Quand on m'a donné le choix, à l'école, entre l'arabe et le français, j'ai choisi le français parce que cela me semblait plus difficile.
Plus difficile ? Vous le pensez toujours ?
Ce qui est certain, c'est que parler français est moins utile que parler arabe dans l'environnement qui est le nôtre. C'est pour ça que j'ai toujours soutenu l'enseignement de l'arabe dans les écoles israéliennes : c'est un élément de paix. Le fait de vivre ici interdit de s'en tenir à soi. Nous sommes obligés de comprendre les autres et leur culture, qu'il s'agisse des Palestiniens, des Egyptiens ou des Jordaniens, mais aussi des Arabes israéliens, qui représentent 20 % de notre population. Quand mes parents sont arrivés sur cette terre, en 1925, ils s'étaient promis de parler hébreu, et non yiddish, la langue des juifs d'Europe. Mais mon père parlait aussi arabe, ce qui lui permettait d'être respectueux et non paternaliste.
Vos parents étaient tous deux membres de l'Irgoun...
Oui, des combattants de la liberté...
C'est vous qui le dites.
Leur image était mauvaise. Les manuels scolaires les présentaient comme des assassins, des terroristes qui s'habillaient de noir comme les fascistes et "glorifiaient le sang". J'avais 14 ans et voyais bien la différence en rentrant à la maison.
Que répondez-vous à ceux qui présentent les soldats de l'Irgoun comme des terroristes ?
Que c'est une erreur, en tout cas en ce qui concerne mes parents. Les terroristes visent délibérément des populations civiles et sont les ennemis d'un peuple avant d'être les adversaires d'une armée. Mes parents, eux, combattaient une armée régulière, l'armée anglaise, avec les moyens du bord.
Et que répondez-vous à ceux qui disent que les soldats du Hamas sont aussi des combattants de la liberté ?
Que la comparaison ne tient pas la route : d'abord, l'Irgoun n'a jamais souhaité la destruction de l'Etat anglais, au contraire du Hamas, dont la charte et les dirigeants réclament ouvertement la disparition d'Israël ; ensuite, si toute guerre implique la mort de civils, il y a une différence de nature entre faire un carnage dans une école, un bus ou un jardin d'enfants et tuer par malheur, sans la volonté de le faire.
Et à ceux qui disent que l'armée israélienne tue des enfants délibérément ?
C'est faux. C'est contre nos valeurs. Si un soldat est convaincu d'avoir délibérément tué des civils, il sera jugé. Perdre un enfant est une tragédie, qu'on soit Israélien ou Palestinien, mais il n'y a rien de commun entre une erreur dramatique et une décision délibérée. La démocratie elle-même repose sur une telle différence, la nier donne une légitimité au terrorisme.
Je vous cite : "Quelqu'un combattant des soldats israéliens est un ennemi et nous nous battrons contre lui, mais je crois que cela ne correspond pas à la définition du terrorisme, si la cible est un soldat." Si le Hamas ne se battait que contre l'armée israélienne, il cesserait d'être un mouvement terroriste à vos yeux ?
Oui, ce ne serait plus le Hamas. Mais cela ne veut pas dire qu'il est moins grave de tuer un soldat que de tuer un civil. Nous sommes en guerre, et chaque fois qu'on capturera ou tuera l'un de nos soldats, nous répliquerons.
Connaissez-vous la pièce de Camus, Les Justes ?
Non.
C'est l'histoire d'un groupuscule révolutionnaire qui projette d'assassiner un tyran en attaquant sa calèche. Mais s'y trouvent également sa nièce et son neveu : face à cette situation, celui qui doit lancer la bombe renonce à passer à l'acte.
C'est très intéressant, et surtout exemplaire. En un sens, c'est ce que nous avons fait lors de la guerre de Gaza : avant d'attaquer le moindre site, nous appelions ceux qui s'y trouvaient. Car, tout comme le Hezbollah au Liban, à Gaza, le Hamas cache des missiles dans des immeubles, des mosquées, des appartements et des écoles. Or nous avions toutes les informations nécessaires sur la localisation des missiles.
Il y a quand même une différence entre s'abstenir de frapper parce qu'on refuse de tuer des enfants, et frapper après avoir prévenu...
D'accord, mais ceux qui louent une chambre au Hamas pour qu'il entrepose des armes lourdes et des missiles prennent leurs responsabilités, comme nous prenons la nôtre quand nous décidons d'attaquer.
Faut-il qu'Israël attaque l'Iran ?
Je ne peux vous répondre et ce n'est pas moi qui décide, mais il me semble responsable de montrer à l'Iran que toutes les options sont sur la table. Le régime iranien développe et défend un fondamentalisme négationniste qui nie l'Holocauste et menace de "rayer Israël de la carte", selon les mots de son président. Ce n'est pas acceptable. Personne au monde ne devrait l'accepter. L'Iran n'est pas seulement le problème d'Israël, il est ou devrait être l'ennemi de toute la communauté internationale. Et il est inimaginable qu'un tel Etat se dote de la puissance nucléaire.
Que répondez-vous aux Israéliens qui pensent qu'il était plus facile de discuter avec de vieux dictateurs qu'avec toute majorité sortant des urnes au terme du printemps arabe ?
C'est un raisonnement à court terme : le pouvoir d'un tyran n'est pas légitime, les traités qu'il signe courent le risque d'être caducs à la seconde où il s'en va, surtout quand le peuple ne les a pas approuvés. Juste avant les élections palestiniennes, j'avais dit à Condoleezza Rice que la participation du Hamas au scrutin devrait dépendre de son renoncement explicite à toute violence. J'ai reçu deux réponses. 1) Le Hamas ne peut pas gagner les élections. C'était faux. 2) Au Liban, le Hezbollah fait désormais partie du jeu politique et tend à devenir modéré. Or c'était quelques semaines avant que le Hezbollah ne recommence à attaquer Israël... Alors j'ai imaginé un code électoral universel qui reposerait sur la cession à l'Etat du monopole de la violence légitime, l'engagement de ne pas revenir sur les traités de paix signés par un prédécesseur et, pour le Hamas, la reconnaissance du droit à l'existence de l'Etat d'Israël. Tout le monde, à commencer par Hillary Clinton, en approuvait le principe, mais jusqu'ici personne n'a rien fait.
Pensez-vous que la paix soit possible avec les Palestiniens sans renoncer à Jérusalem comme capitale de l'Etat d'Israël ?
Oui. A Jérusalem, le problème porte sur les lieux sacrés. C'est la menace d'un conflit religieux, or les conflits religieux sont insolubles, contrairement aux conflits nationaux. Il nous faut un contrat avec les Palestiniens sur cette question. De façon générale, nous n'allons pas nous marier avec eux, nous allons divorcer... Toute autre solution ajournerait le conflit sans le régler. Comme dans tout divorce, il faut se répartir les propriétés et organiser la garde des enfants. Si je suis attachée au processus de paix, ce n'est pas tant par sollicitude envers les Palestiniens que parce que, de façon tout à fait pragmatique, la paix permet de préserver l'Etat juif démocratique d'Israël.
Qu'en est-il des implantations au-delà des frontières de 1967 ?
Elles sont un fait. Qu'on le tienne pour une erreur historique ou pour un droit historique, il y a des centaines de milliers d'Israéliens qui y vivent. Hormis quelques sites isolés, il serait irréaliste de les contraindre à l'évacuation. Les Palestiniens le savent parfaitement. La bonne nouvelle, c'est que la plupart d'entre eux vivent près de la ligne verte, qui est la base des négociations pour un futur Etat palestinien. Je suis convaincue qu'un compromis est possible avec les Palestiniens sur ce sujet, tout comme je suis convaincue qu'il est immoral d'envoyer aujourd'hui de jeunes Israéliens vivre dans les implantations.
Comment justifier l'existence des implantations en dénonçant qu'on y envoie vivre des gens ?
C'est le paradoxe du pragmatisme : les implantations sont un fait, leur développement serait une erreur.
Qu'en est-il du problème des réfugiés ?
Il est soluble dans le concept de deux Etats pour deux peuples. Si la Palestine existe, les réfugiés palestiniens auront la possibilité de rentrer chez eux. Le "droit au retour" n'est envisageable que dans ce cadre. Tout comme la création d'Israël a été la solution au problème juif pour la communauté internationale, la seule façon de mettre un terme au conflit israélo-palestinien est de contribuer à la création d'un Etat palestinien qui s'occupe de ses propres réfugiés, voire des Arabes israéliens, qui sont dans leur immense majorité palestiniens.
Israël est-il un "Etat juif", ou bien "l'Etat des juifs" ?
Israël a été créé comme le foyer du peuple juif. Nous utilisons le terme d'"Etat juif", parce que c'est plus facile à dire, mais Israël n'est pas une théocratie, c'est le foyer démocratique du peuple juif. Et judaïsme et démocratie ne sont pas contradictoires, tant s'en faut. A la création d'Israël, la différence était claire entre le respect naturel du calendrier juif, des vacances et des jours chômés, et le fait de confier aux orthodoxes le monopole du judaïsme - ce qui est inacceptable. Or ce qui était évident en 1948 a cessé de l'être parce que, pour des raisons tactiques, les orthodoxes ont reçu du Likoud un trop grand pouvoir politique. A cause du clash avec les orthodoxes, beaucoup de jeunes Israéliens se sentent de moins en moins juifs. Etre juif n'est pas une chose que les autres vous disent. C'est un sentiment qui ne dépend que de soi.
Vous n'êtes pas née féministe, vous l'êtes devenue...
Oui et, en un sens, c'est nouveau pour moi. Pour vous répondre, je dois vous parler de ma mère. Elle avait un courage inouï, auquel on a même consacré une chanson en Israël. Ainsi, elle a réussi à s'échapper d'une prison anglaise après avoir demandé à quelqu'un de lui injecter du lait : les soldats l'ont emmenée à l'hôpital et elle a sauté du deuxième étage quand les docteurs ont quitté la pièce pour préparer le bloc opératoire... Mes parents sont tombés amoureux pendant le détournement d'un train anglais et, à la demande de ma grand-mère, se sont mariés le jour même de la création de l'Etat d'Israël. Seulement, après la guerre d'indépendance, ma mère est devenue une femme au foyer, qui ne travaillait pas et ne conduisait pas. De mon côté, quand j'étais dans l'armée, les femmes n'avaient pas encore le droit de participer aux unités combattantes. J'ai découvert que beaucoup de vétérans ne supportaient pas qu'une femme pût être chargée de la sécurité du pays, comme si la fermeté était le propre des hommes. Cela m'a mise en colère. Je suis devenue féministe.
Etes-vous choquée par le fait que certains rabbins soient désormais des femmes ?
Non. Je respecte les femmes rabbins. Comme je respecte tout rabbin.
Pourquoi avez-vous démissionné de votre poste de députéeà la Knesset, en mai 2012 ?
Parce que c'est ainsi que fonctionne la démocratie. Avant les élections de mars 2012 à la tête de Kadima, j'ai dit que Shaul Mofaz et moi-même n'avions pas la même idée du parti. Moi qui viens du Likoud, je considère que Kadima doit représenter le centre gauche et la droite modérée de ce pays et, par conséquent, se présenter comme la seule alternative réaliste à la coalition en place. On m'a demandé ce que je ferais si j'étais battue par Mofaz, j'ai dit que je ne resterais pas. Or, une semaine après mon départ de la Knesset, Mofaz, à la surprise générale, a rejoint la coalition de Netanyahou. Ceux qui ne comprenaient pas mon geste m'ont alors approuvée. Et quand, deux mois plus tard, Kadima a de nouveau quitté la coalition, mon mari m'a dit que les palinodies de Mofaz avaient prouvé en quelques semaines ce que je n'avais pas réussi à démontrer en trois ans à la tête de Kadima : on ne peut pas travailler avec celui qui n'a pas la même idéologie que vous.
Comment définiriez-vous ce qui vous distingue de Benyamin Netanyahou ?
La différence n'est pas dans ce qu'on dit, mais dans ce qu'on veut dire. Avant les élections, Bibi n'avait jamais parlé d'une solution à deux Etats. Pourquoi a-t-il attendu d'être élu pour le faire ? Plus généralement, Netanyahou voit, à juste titre, les menaces qui entourent Israël, alors que je suis attentive aux opportunités qui demeurent. Enfin, il considère que la haine d'Israël tient à ce que nous sommes, plus qu'à ce que nous faisons, alors que, pour moi, nous sommes aussi comptables des décisions qui sont prises.
Netanyahou préfère manifestement Romney à Obama...
Je pense qu'une personnalité politique israélienne devrait s'interdire de s'exprimer sur la politique intérieure des Etats-Unis.
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