LERADICALISME
RELIGIEUXDUREMENT
NUITALADEMOCRATIE
Source : la newsletter du CRIF diffusée
le 2 novembre 2011



Charlie qui flambe,
théâtre que l’on assiège,


par
Marc Knobel





- - Thème: Crif





Il semblait que l'époque de l'intolérance était révolue à tout jamais. Il semblait que la nébuleuse de l'obscurantisme et de la passion aveugle avait disparu à tout jamais... Puis vinrent les désillusions.

Dans la nuit de mardi 1er à mercredi 2 novembre 2011, un cocktail Molotov a embrasé les locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, tandis que son site internet a été l'objet d'une attaque pirate. Cet attentat pourrait être motivé par le choix (éditorial) de cette semaine, qui a vu le journal être rebaptisé "Charia hebdo" et fait de Mahomet son « rédacteur en chef ». Une façon de tourner en dérision (selon ce journal) la victoire du parti islamiste Ennahda en Tunisie et la promesse du président du CNT d'instaurer la charia comme source du droit en Libye. Notons également que sur Twitter et sur Facebook, Charlie a reçu de nombreuses lettres de protestation, menaces et d'insultes, que la direction du journal s'apprête à transmettre à la police.

Rappelons qu’en 2006, Charlie Hebdo a publié des caricatures du prophète Mahomet, des dessins déjà édités dans le journal danois Jyllands-Posten en 2005 et qui avaient provoqué une flambée de violence dans le monde musulman. A la suite de plaintes, notamment de la Grande Mosquée de Paris et de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), le tribunal correctionnel de Paris, en 2007, puis la cour d’appel, en 2008, avaient prononcé la relaxe du journal. Pour la cour, les caricatures ne constituaient pas « une injure » à l’égard des musulmans, elles visaient « clairement une fraction », à savoir les terroristes, « et non l’ensemble de la communauté musulmane ».

Revenons à l’attentat de cette nuit.

De tous bords, les réactions de la classe politique affluent en soutien à l'hebdomadaire satirique. Notons que le Conseil français du culte musulman et la Grande Mosquée de Paris ont condamné l'incendie criminel contre l'hebdomadaire mettant néanmoins en garde contre "les amalgames" envers l'Islam et les musulmans modérés. « Conscient de la place qu'occupe le sacré dans les cœurs des musulmans, le CFCM déplore vivement le ton très caricatural du journal à l'égard de l'islam et de son prophète, mais réaffirme avec force son opposition totale à tout acte et à toute forme de violence », souligne le CFCM dans son communiqué. Quant à la Grande Mosquée de Paris, elle « condamne un acte qui ne peut en aucun cas représenter les principes de liberté, de tolérance et de paix qui sont le message de notre institution ». « La Grande Mosquée de Paris rappelle (toutefois) que le climat européen anxiogène d'islamophobie, fait d'amalgames en tout genre et de stigmatisations caricaturales de la foi islamique et des musulmans, est fort regrettable et nuisible aux valeurs laïques et du vivre ensemble que les musulmans de France partagent pleinement », note le recteur de la Grande Mosquée Dalil Boubakeur.

Autre exemple.

Avez-vous entendu parler de la pièce de Romeo Castellucci "Sur le concept du visage du fils de Dieu" ?

C'est cette pièce dont les représentations ont été perturbées, chaque soir, dix jours durant par la mouvance intégriste et nationale-catholique, lorsqu'elle était à l'affiche du Théâtre de la Ville. Le quotidien Metro (2 novembre) rapporte que les intégristes ont tout tenté pour perturber les représentations : invasion de la scène, jets d'œufs sur les spectateurs, manifestations hostiles et même tentatives d'introduction de couteaux dans l'enceinte du théâtre. Depuis, la pièce s'est délocalisée pendant cinq jours au "104", établissement culturel situé dans le XIXe arrondissement. Mais, d’autres manifestations sont prévues pour empêcher son bon déroulement.

Le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, a porté un jugement sévère, samedi 29 octobre, sur les manifestations qui se déroulent chaque soir depuis le 20 octobre, en marge de cette représentation théâtrale jouée au théâtre de la Ville, à Paris.

Au cours de son entretien hebdomadaire accordé à Radio Notre-Dame (1), monseigneur Vingt-Trois a rappelé que « l’authenticité de la foi n’est pas de s’imposer par la violence ». Refusant de se prononcer sur le fond de la pièce de l’Italien Romeo Castellucci, qu’il n’a « pas vue », il a affirmé que les manifestants appartenaient à « un groupuscule rattaché au mouvement lefebvriste », et ne disposent d’« aucun mandat » pour se réclamer de l’Église catholique. « On ne fait pas un appel à la liberté en jetant des œufs pourris sur les gens ou de l’huile de vidange », a-t-il martelé, en référence aux incidents qui ont émaillé la première représentation de la pièce. Certains manifestants avaient alors jeté sur les spectateurs des œufs ou de l’huile de vidange, rapporte La Croix du 29 octobre 2011. « On est en face de gens qui sont organisés pour des manifestations de violence, et pour obtenir, ce qu’ils ont obtenu d’ailleurs, une place dans les journaux », a jugé l’archevêque de Paris. Enfin, interrogé sur la « bonne foi » de certains manifestants, il a fait la différence entre « les gens qui sont conscients de la stratégie » et « ce que Lénine appelait les idiots sympathiques qui servent de masse de manœuvre. » « Ce n’est pas parce qu’ils sont de bonne foi que ce qu’ils font est juste », a-t-il ajouté. Il a aussi estimé que « leur appartenance à des groupes très politisés et très militants, y compris sur le plan religieux, ne favorise pas leur formation mais au contraire les déforme. »

Au regard de ces événements déplorables et inadmissibles, je reprendrai à mon compte la conclusion d'un article d'Henri Barbusse, du 4 avril 1931, à une époque où des films étaient (eux aussi) interdits, des livres étaient saisis, des revues étaient censurées et des pièces étaient enlevées :

"On assiste à la pression toujours plus accentuée d'une idéologie réactionnaire de force (...) contre quelque chose qui meurt béatement, avec couronnes et fleurs de rhétorique : LA LIBERTÉ !"

Note :
1) http://www.dailymotion.com/video/xlzqhr_entretien-du-cardinal-radio-notre-dame-29-10-2011_news