UNETAT
PALESTINIEN
ALONU?
Israël face au bouleversement
des cartes proche-orientales
par
Laurent Zecchini
Correspondant
à Jérusalem
Il n'est pas souhaitable qu'Israël soit isolé au Proche-Orient. Même si l'Etat juif commet une erreur historique, y compris pour lui-même, en continuant de refuser aux Palestiniens la reconnaissance d'un Etat indépendant, les relations qu'il a nouées au cours des dernières décennies avec ses voisins étaient gage d'une relative stabilité régionale. Privé de celles-ci, Israël deviendrait un partenaire plus imprévisible et dangereux.
Aux Nations unies, le soutien indéfectible de Washington ne lui fera pas défaut. Mais Israël est un ami qui coûte cher à Barack Obama, prêt à renier son engagement en faveur des "aspirations légitimes des Palestiniens", au risque d'effacer ce qui lui restait de confiance dans l'opinion arabe et musulmane. C'est aussi un allié encombrant : Washington aurait bien fait l'économie des tensions entre l'Etat juif et les deux autres puissances régionales proches de l'Amérique, l'Egypte et la Turquie.
Les Israéliens ont l'habitude de balayer d'un revers de main le constat de l'isolement croissant de leur pays sur la scène internationale en rappelant qu'il en a toujours été ainsi depuis 1947. C'est vrai et faux : en dix jours, les ambassadeurs d'Israël à Ankara, au Caire et à Amman ont été obligés de quitter précipitamment leur pays de résidence en raison de la dégradation des relations bilatérales.
Si l'alerte semble passée en Jordanie, le contentieux n'est pas réglé avec l'Egypte, et il s'envenime avec la Turquie. Avec ses voisins arabes, Israël a conclu des traités de paix (respectivement en 1994 et 1979) qui faisaient illusion : il s'agissait d'une paix froide, conclue entre les gouvernements et non entre les peuples. Les manifestations populaires, à Amman et au Caire, prouvent que les slogans du "printemps arabe" n'épargnent plus Israël.
Alors que le Conseil suprême des forces armées égyptiennes évite de jeter de l'huile sur le feu, pareille prudence n'est pas de mise en Turquie, où le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, flirte avec la diplomatie de la canonnière. La Turquie s'est dit prête à envoyer ses navires de guerre escorter d'éventuels "bateaux humanitaires" vers Gaza, et ses navires d'exploration de gaz au large de Chypre, si Nicosie confirme son intention d'exploiter - avec la coopération d'Israël - les ressources énergétiques de sa zone économique.
La tension israélo-turque semble s'être focalisée sur le refus d'Israël de présenter des excuses pour la mort, en mai 2010, de neuf passagers turcs du ferry Mavi-Marmara, fleuron de la première "flottille pour Gaza". En réalité, le contentieux bilatéral est plus ancien. Le gouvernement de Benyamin Nétanyahou n'a jamais admis qu'un allié stratégique de Washington, qui plus est membre important de l'OTAN, se tourne vers la Syrie de Bachar Al-Assad.
C'est donc dans l'arrivée au pouvoir, en 2002, de l'AKP, le parti islamo-conservateur de M. Erdogan, qu'il faut chercher les racines de l'éloignement progressif entre la Turquie et Israël, lequel se nourrit du nationalisme ombrageux qui prévaut à Ankara comme à Jérusalem. M. Nétanyahou n'a pas tenu compte des conseils de l'establishment militaire israélien, qui était partisan d'excuses à la Turquie.
M. Nétanyahou n'a pas voulu s'aliéner le soutien de son ultranationaliste ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman. Ce souci de politique intérieure pourrait avoir des effets néfastes. Car la Turquie, tout en lâchant son ex-allié syrien, s'efforce de nouer un nouveau partenariat avec une Egypte en ébullition.
Eu égard aux quatre siècles de domination de l'Empire ottoman dans cette partie du monde, il paraît douteux qu'une nouvelle hégémonie turque soit accueillie avec enthousiasme. Il n'empêche : en se faisant, au Caire, le héraut de la cause des Palestiniens au moment où Israël tente d'empêcher la reconnaissance de leur Etat, M. Erdogan souffle sur les braises d'une hostilité anti-israélienne latente.
Les militaires égyptiens sont soucieux de préserver la coexistence avec l'Etat juif. Mais des voix sur les bords du Nil demandent une "révision" du traité de paix et la fin des livraisons de gaz égyptien à Israël. Les dirigeants israéliens n'ont pas attendu le voyage de M. Erdogan pour réévaluer leurs alliances. Israël renforce sa coopération, notamment militaire, avec la Grèce, et économique avec Chypre.
Conscient malgré tout de son isolement, l'Etat juif se cherche de nouveaux partenaires, quitte à regarder plus loin, vers la Roumanie, la Bulgarie, la République tchèque et la Pologne. La détérioration des relations d'Israël avec la Turquie et l'Egypte inquiète les Etats-Unis. Cette tension régionale sur fond de "printemps arabe" intervient à "un moment mal choisi", a souligné la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton. Mais les déclarations martiales sont parfois un écran de fumée : la Turquie a accepté d'accueillir sur son sol un radar de l'OTAN ayant vocation à détecter les missiles iraniens dirigés contre l'Europe et Israël. Vu l'état de leurs relations bilatérales, c'est une manière de "garder la porte ouverte" entre les deux pays, comme le suggérait Mme Clinton.
lzecchini@lemonde.fr
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