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DESBARBARES
Source : la newsletter de Marianne2.fr
diffusée le 12 août 2011
Morgan Sportes :
«Le gang des barbares
a été mal nommé»
Propos recuiillis
par
Philippe Cohen
Le numéro de Marianne du 13 août publie en exclusivité les bonnes feuilles du romanquête de Morgan Sportes Tout, tout de suite. Il a bien voulu répondre à nos questions sur la fabrication de ce livre.
En janvier 2006, Ilian Halimi, un jeune juif supposé riche parce que juif, est enlevé, puis séquestré et torturé par un groupe d’une vingtaine de jeunes de banlieue dirigé par Youssouf Fofana que les médias ont appelé « le gang des barbares ». Le procès s’est déroulé d’avril à juillet 2009.
Morgan Sportes a construit sa fiction « Tout tout de suite » à partir d'une enquête très informée sur ce fait divers monstrueux qui a suscité maints commentaires et émotions. L'édition papier de Marianne en publie cette semaine les bonnes feuilles.
Qu’est-ce qui vous a décidé à travailler sur l’affaire dite du « gang des barbares » ?
D'abord l'expression « Gang des barbares », inventée par les médias ou la police, me semble inadéquate. Le terme « Gang » a fait sourire un des avocats de la Défense, Me Benson Jackson, qui est noir et américain. Les pieds nickelés tragi-comiques dont je retrace, dans mon livre, les faits et gestes, n'ont pas grand chose à voir en effet avec les gangs très organisés d'Amérique. Le mot
« barbare » est lui-même impropre, car ambigu. Il désigne d'une part un être cruel et, d'autre part, pour les Japonais ou les Grecs de jadis: l'« étranger ». Or si, indéniablement, plusieurs membres de la bande, surtout leur chef, se sont montrés d'une cruauté monstrueuse vis à vis du jeune juif qu'ils ont kidnappé (Elie dans mon livre), ce serait trop facile de nous faire accroire que ces jeunes voyous sont « étrangers » à notre société. Ils sont pour beaucoup nés en France, ils ont la nationalité française, ils sortent de l'école française, ils regardent la télé française (celle, entre autres, de l'ex-directeur de TF1 Patrick Le Lay qui se vantait de vendre le cerveau des téléspectateurs à Coca Cola). C'est de notre pays donc que parle leur crime. Fort évidemment, fils d'immigrés pour beaucoup, ils ont des origines géographiques diverses: Comores, Maroc, Côte d'Ivoire, Sénégal etc. Ils sont les enfants de cette « mondialisation heureuse » qui a appauvri leurs parents dans leur pays d'origine et a balancés ceux-ci , via l'immigration, sur le marché du travail en Europe . Ce fut le choix délibéré du patronat français dans les années 60-70: une main d'oeuvre d'importation pas chère plutôt que l'automation de l'industrie. Les Japonais ont fait le choix inverse.... Ce qui m'a poussé à écrire sur cette affaire, c'est son actualité extrême donc: c'est, à mes yeux, un symptôme.
Comment définissez-vous votre travail? Le mot roman est écrit sur la couverture. Pourtant on sent bien que votre travail est très documenté, aux meilleures sources. S'agit-il donc de ce qu'on a appelé un romanquête? Oui, mais quel type de romanquête, celui de Truman Capote ou de BHL?
Comme pour mon livre L'APPÂT (porté à l'écran par Bertrand Tavernier en 1995), mon maître en écriture, pour TOUT, TOUT DE SUITE est bien sûr le Truman Capote de DE SANG FROID : un des inventeurs de la « non fiction novel ».
J'ai essayé de rester au plus près des faits, rencontrant des témoins, lisant des documents judiciaires, établissant une correspondance avec certains détenus, me déplaçant sur les lieux du drame pour m'en imprégner... Au demeurant, dès lors que j'ai reconstruit dramatiquement ces faits, dès lors que je les ai mis en scène et que mes personnages dialoguent, nous entrons dans la dimension du roman. Je ne crois d'ailleurs guère à l'objectivité en matière de récit. Sur un même sujet, dix écrivains écriront dix livres différents, selon leur tempérament, leur point de vue, leurs préjugés. Ce pourquoi, à un moment donné, je cite Nietzsche: « il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations ».
Au demeurant, à part un fil noir d'ironie qui, discrètement, parcourt le livre du début jusqu'à la fin, décelant la présence de l'auteur, je me suis efforcé de me mettre au niveau intellectuel des membres de la bande, au ras des pâquerettes. ça a été parfois très pénible pour moi, pendant l'écriture du texte, qui a duré deux ans. Mon livre, en quelque sorte, est pavlovien. Ou hyperréaliste. Tout commentaire, tout jugement de ma part eût affaibli mon propos. Certains médias, sur cette affaire, ont écrit, quant à eux, de fort mauvais « romans ».
Le livre semble mettre en cause les options de la police. Les parents d'Elie s'en sont remis à sa compétence. On a parfois l'impression qu'ils auraient pu sauver leur fils en payant une partie de la rançon. La police a-t-elle agi politiquement...
Mon livre ne remet pas en cause les options de la police, il décrit des faits, au lecteur de juger. Les parents d'Elie au demeurant ont critiqué violemment la tactique que leur a imposée la Crime. Les policiers se sont rendu compte en effet que, lorsqu'on raccrochait au nez du Chef de la bande (Yacef) quand il téléphonait pour donner des instructions sur à la remise de la rançon, il envoyait tout de suite après un mail aux parents de l'otage. Or la police pouvait localiser assez rapidement (en 10 minutes ) les cybercafés d'où étaient envoyés ces mails. Elle a donc, a de multiples reprises, conseillé au père d'Elie d'interrompre ses conversations téléphoniques, comptant ainsi coincer un des voyous dans un cybercafé. Mais les voyous changeaient sans cesse de cyber et, par ailleurs, agissaient vite. On n'a donc pas pu les arrêter. Cette tactique, au demeurant, a accru le ressentiment du chef de la bande, Yacef : « on me prend pour un petit pédé! ». C'est par ressentiment que Yacef a tué Elie.
Comment juger la police? C'est facile de le faire, après coup. « Il n'y a pas de bouton replay dans ce genre d'affaire » a déclaré, au procès, le père d'Elie. J'ai rencontré des responsables de la Crime qui sont aujourd'hui encore très marqués par tout cela. Qu'il y ait eu politisation de l'affaire, c'est évident. Nombre de politiciens et d'éditorialistes, comme d'habitude, ont tout dit et n'importe quoi. C'est que ces faits, datant de 2006, se situent dans un contexte politique national et international extrêmement « chaud ». Haut taux de chômage des jeunes de banlieue, critique du projet de CPE de Villepin, un ministre de l'intérieur qui veut nettoyer les banlieues « au Karcher » (comme si la police seule pouvait résoudre des problèmes qui sont avant tout d'ordre économique et sociologique), déclarations de Ben Laden, caricatures de Mahomet, procès de Sadam Hussein, pourrissement du conflit israélo-palestinien... La victime est juive, les kidnappeurs sont, pour beaucoup, musulmans (dont huit catholiques convertis à l'islam). On rêvait sans doute de nouvelles guerres de religion. Je n'ai pas voulu, quant à moi, aborder la politisation de l'affaire : après le meurtre. La narration brute des faits m'a semblé beaucoup plus politique que tout commentaire politique. C’est un coup de poing.
Finalement votre livre aboutit implicitement, me semble-t-il, à une question que personne n’a posée : comment notre société, notre école, peut-elle fabriquer des Yacef ? Le personnage est moins un fanatique qu’un jeune homme inculte dont la fenêtre sur le monde est très réduite : la vie de la Cité plus quelques séries américaines…
On ne peut pas expliquer un meurtrier à l’aide d’une simple causalité socio-culturelle. A cet égard, je suis du côté de Dostoïevski. L’âme d’un Yacef , le chef de la bande, celui qui a (ou aurait) tué, est complexe, tortueuse. Les psychiatres ont fait sur sa personne des réflexions intéressantes : ils ont dit, entre autres, que sa psychopathie avait trouvé son équilibre dans la psychopathie de notre capitalisme à son stade actuel : capitalisme qui - contradictoirement - demande à la fois un investissement de travail à long terme, et incite à une consommation immédiate : TOUT, TOUT DE SUITE.
C'est le sens du titre ? Il rappelle un slogan du groupe mao-spontex Vive, La Révolution...
Les maospontexs, ironie de l'histoire qu'a relevée Regis Debray étaient sans doute les messagers de notre meilleur des mondes marchands mondialisés. C’est le jour même de l’arrestation de Yacef que sort sur nos écrans le film de Fifty cents : « Get rich or die tryin’ ». Yacef, sans le sou, a monté une petite entreprise criminelle. Il parle comme un businessman. Il dit qu’il fait des
« investissements » , qu’il « gère » une situation. Comprenant que, sous pression de la police, la famille de l’otage ne paiera pas la rançon, il s’adresse au premier rabbin venu, pour rançonner la communauté juive tout entière. Il emploie alors ces termes pour définir sa nouvelle attitude : « J’ai changé de stratégie de communication ».
Au demeurant il est évident que les gosses de cette bande (certains ont 17 ans) sont aliénés. Et que tout conspire à cette aliénation : l’industrie culturelle etc. L’école ne joue plus son rôle d’intégration. Il suffit de voir les lettres qu’écrivent les détenus. Ils n’ont ni orthographe, ni, chose plus grave, grammaire. Or la grammaire c’est la logique de la pensée. Des jeunes criminels de banlieue, les psychiatres disent souvent, c’est leur ritournelle : ils ne verbalisent pas ! C’est qu’ils n’ont pas de langage structurant. Faute de mots, ils passent à l’acte.
Pensez vous qu'il existe une écriture romanesque et quelle est votre façon de vous en approcher ?
Existe-t-il une écriture romanesque ? Il y en a une infinité je pense. De Scarron à Truman Capote en passant par Diderot et Proust. Le roman est un genre bâtard, multiple, riche. Le tout, pour résumer la chose en un mot, c'est de trouver une forme adéquate a son propos.
Tout tout de suite
par Morgan Sportes, 380 p,
en vente le 17 août.
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
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