LESANTILLES
ENCOLERE
Source : lemonde.fr en ligne le 28 février
Les Antilles se préparent
à une rude sortie de crise
Pointe-à-Pitre, Fort-de-France (Envoyés spéciaux)
Cette grève? "Celle des dockers, il y a six ans, c'était bien pire. Elle avait duré trois mois; là on avait eu de graves difficultés", assure Sylvère, 47 ans, ce vendredi 27 février dans la proche banlieue de Pointe-à-Pitre, après six semaines de gel de l'activité économique. Le chauffeur-livreur de la Saba, qui fournit en matières premières les boulangeries, les pâtisseries et les restaurants, explique qu'on peut stocker de l'essence, limiter les déplacements, grouper les commandes. "Un mauvais moment à passer pour la bonne cause", résume-t-il.Beaucoup sont loin de partager son optimisme.
Selon une note établie par un cabinet de consultants de Pointe-à-Pitre, la destruction nette d'emplois pour l'année 2009 pourrait s'élever à 17000 personnes en Guadeloupe, portant le taux de chômage de 23,5% à 33, 5%. Plus de 900entreprises pourraient être mises en redressement judiciaire et 543 liquidées. Pour l'instant, le greffe du tribunal de commerce est fermé, interdisant toute vérification, mais les chefs d'entreprise ne cachent pas leur inquiétude. Même si la grève engagée par le LKP peut produire un "effet canicule", accélérant la disparition d'entreprises vouées à sombrer.Amaury de Foucauld, un quadragénaire négociant en vins, alcools et liquides, juge la situation catastrophique. Du bras, il montre son entrepôt rempli de camions : "Ici, il devrait y avoir des dizaines de palettes avec du vin." Il fait toujours le meilleur de son chiffre de décembre à mars. Pourtant, au début de ce deuxième trimestre, il évalue : "J'ai perdu en six semaines ce que j'avais gagné en deux ans." Depuis des années qu'il est ici, il a aussi été bouleversé d'avoir été traité de "sale Blanc".
Chez Fabien Maure, 25 ans, directeur de Troc.com, la chanson Z'avez pas vu Mirza, de Nino Ferrer, accompagne les premiers visiteurs qui reviennent timidement dans ces 1200 m2 chercher leur bonheur : un canapé, un meuble aquarium avec filtration, où trône un nain de jardin. Le jeune patron témoigne que le service d'ordre du LKP est venu lui demander de fermer plusieurs fois, mais nuance : "Ça me fait mal au cœur qu'ils s'y prennent comme ça, mais, franchement, je les comprends. On en a marre de payer un paquet de Chocapic 7 euros." En Martinique aussi, alors que le conflit a duré deux fois moins longtemps, les patrons s'inquiètent des suites de la grève générale. "Les conséquences vont être rapides et foudroyantes, pronostique Patrick Lecurieux-Durival, président du Medef de Martinique. Nous allons perdre la confiance de nos banques, de nos assurances-crédit et, probablement, de nos fournisseurs."
"ON VA COMPTER LES MORTS"
Après plusieurs années d'embellie, avec des taux de croissance approchant 4% et un taux de chômage en baisse de 31% à 21%, l'économie locale donnait des signes d'essoufflement, à l'aune mondiale. Les entreprises martiniquaises étaient aussi fragilisées par le plafonnement des niches fiscales et celui des exonérations dont elles bénéficiaient.Alors le long conflit a incité des chefs d'entreprise à jeter l'éponge. "Je connais déjà quelques noms d'entreprises qui vont déposer le bilan, affirme M. Lecurieux-Durival. Après une année 2008 médiocre, la hausse des salaires compromet toute chance de redressement."
"On ne va pas tarder à compter les morts, prévient aussi Pierre Marie-Joseph, président de l'Association martiniquaise pour la promotion de l'industrie. Même si on obtient un moratoire sur les cotisations, il faudra deux ou trois ans pour s'en remettre." Le tourisme est le secteur le plus directement touché par le conflit. Le secteur réalise 60 % de son chiffre d'affaires sur les quatre premiers mois de l'année. "Nous devrions être à 95% de taux de remplissage en ce moment, assure Benoît Le Cesne, président de Ziléa, le club des professionnels du séjour en Martinique. Or, nous allons terminer février avec un chiffre de 55 %. Le mois de mars sera identique. Les annulations continuent de tomber. Nous avons maintenant huit mois creux à passer. Des hôtels ne tiendront pas le choc."
La profession s'apprête à demander au ministre du tourisme de mettre en œuvre des mesures d'urgence comme lors de la crise du chikungunya à La Réunion.Autre grand secteur de l'île, la production de bananes. Les fruits pourrissent sur les arbres, en attendant que le port soit débloqué. "Nous avons déjà perdu trois semaines d'expédition au plus mauvais moment, à une époque où le fruit est le plus demandé par les consommateurs français, c'est vingt millions de bananes par semaine qui ne partent pas", explique Frédéric de Reynal, président de Banamart, qui regroupe les producteurs de l'île. Mais à choisir entre deux maux, le patron préfère encore cette grève à un cyclone. "Là, je perds ma récolte, pas mon outil de travail."
Béatrice Gurrey et Benoit Hopquin
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