LESANTILLES
ENCOLERE
Source : lacroix.com en ligne le 25 février
Les Guadeloupéens gagnés par la lassitude
Les familles cachent de moins en moins leur « ras-le-bol » face à un éventuel prolongement de la grève générale
A l’heure où les négociations sur l’augmentation des bas salaires devaient reprendre mercredi à Pointe-à-Pitre, la Guadeloupe vivait une seconde journée traditionnellement chômée, avec celle du mardi gras, pour laisser libre cours au carnaval. Mais, cette année, comme en Martinique, la fête n’a pas eu lieu : elle a été interdite par les maires dans toutes les localités afin d’éviter de nouvelles flambées de violence. Une certaine torpeur régnait donc dans l’île, même si le réseau routier était libéré de tout barrage, le passage s’avérant notamment fluide sur le pont qui relie la Grande-Terre (où se situe Pointe-à-Pitre) à la Basse-Terre, la ville chef-lieu de l’île.Après avoir fait quelques courses dans de rares épiceries ouvertes, on est resté plutôt chez soi, en famille ou entre amis, avec la télévision allumée pour suivre l’évolution des événements.
Aux abords de Capesterre, au sud de la Basse-Terre, Maud, dix fois mère et vingt fois grand-mère, reste pensive sur le balcon de sa petite maison de bois, où elle héberge deux de ses filles : « Cela devient dur, lâche- t-elle, nos provisions s’amenuisent et les enfants n’ont toujours pas pu retrouver le chemin de l’école. »Menuisier retraité (700 € mensuels de pension), habitant le même lotissement modeste, Ernest, tout en approuvant les revendications du LKP, marque son désaccord avec les menaces de nouveaux barrages routiers : « C’est inadmissible, ça entrave la liberté des gens. Et puis il y a des exactions. Je connais une policière du quartier qui a eu sa voiture brûlée. Une infirmière a subi la même chose ailleurs. » Tristan, un béké qui vit pauvrement, comme un certain nombre de descendants de colons, abonde dans le sens de ses voisins : « Il ne faudrait pas que ça s’éternise car c’est l’économie du pays qui va en pâtir. À part ça, personnellement, je n’ai pas de problème ici parce que je suis blanc. J’ai beaucoup d’amis noirs. Je ne rencontre pas de racisme. »
« cinq semaines, ça suffit »
La grogne anti-LKP a gagné du terrain. Vers la mi-février, un collectif antigrève avait appelé à manifester dans Pointe-à-Pitre, mais avait finalement annulé son mot d’ordre faute – apparemment – de « combattants ». Désormais, si la grève générale – qui entre dans sa sixième semaine – se poursuit, ce mouvement de ras-le-bol pourrait prendre forme. Du moins si l’on en croit Bruno. Âgé de 34 ans et habitant Basse-Terre, ce patron d’une petite entreprise de jardinage (neuf employés) a décidé de ne plus cacher ses opinions. Dans le café qu’il fréquente, il ne se gêne pas pour marteler que « cinq semaines, ça suffit » et qu’« il faut savoir arrêter une grève qui gêne en priorité les personnes défavorisées ». « Je ne vais pas pouvoir payer mes employés à la fin du mois, poursuit-il, et je doute de retrouver le niveau d’activité d’avant la crise, compte tenu de l’appauvrissement général.
La raison commanderait de prendre les premiers acquis et de reporter à plus tard la discussion sur les salaires. C’est aller trop loin que de vouloir tout, tout de suite. La Guadeloupe a surtout besoin de se mettre au travail. Je suis prêt à le clamer dans la rue s’il le faut. »À Pointe-à-Pitre, les tambours, costumes et masques sont donc restés sagement rangés dans les maisons. Les groupes carnavalesques, qui avaient répété dans les rues durant la première quinzaine de février, se sont tus. Les cœurs n’étaient pas vraiment à la fête. On s’est bousculé, l’air inquiet, dans les boulangeries et les épiceries où se vendait France-Antilles, seul quotidien, qui titrait à la une à propos des négociations : « Dialogue de sourds ». En soirée, seule la Marina était animée, mais sans avoir retrouvé sa foule habituelle. Sur les quais, les tables des restaurants – qui ne faisaient pas le plein – étaient essentiellement occupées par des métropolitains résidant dans l’île. « Heureusement, nous avons pu rouvrir et retrouver de l’activité. Mais jusqu’à quand ? » s’interrogeait un restaurateur.
Antoine FOUCHET à Pointe-à-Pitre
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