Il s’en est fallu de peu. Hier en fin de journée, lors de l’inauguration du Salon du livre de Paris, on a frôlé l’incident. Ca s’est passé au moment précis où les délégations officielles prenaient place dans le stand de l’invité d’honneur, la française avec la ministre Christine Albanel accompagnée de ses collaborateurs et de travailleurs culturels de l’Elysée, l’israélienne avec le président Shimon Peres à la tête d’une quarantaine d’écrivains et compatriotes, les deux solidement escortées par une noria de photographes et cameramen et encadrées par un vigilant dispositif de sécurité. Alors que les discours convenus allaient commencer à ne pas se faire entendre (Peres réussissant à placer une citation de Flaubert), un plafond flottant se décrocha de la structure et s’effondra sur les délégations. Ce fut aussitôt le tohu-bohu et la panique. Un sacré balagan assez perturbateur. Des gardes du corps s’ensanglantèrent les mains à relever le morceau criminel afin de dégager les victimes tandis que l’on se demandait déjà si c’était purement accidentel ; car enfin, l’attentat à la poutre piégée eut lieu là et pas ailleurs, et juste à l’heure H… Les organisateurs eurent beau expliquer que la pression de la foule avait dûébranler la structure, le doute subsistait. Une autre interrogation s’y superposait : qui était visé, Peres ou Sarkozy ? En ce cas, les terroristes charpentiers étaient bien mal renseignés car l’on savait depuis hier que le président s’était fait excuser pour cause de sommet européen à Bruxelles. N’empêche que plusieurs personnes furent contusionnées, Dominique Antoine, le conseiller de l’Elysée pour l’Education, s’en tirant de justesse avec des ecchymoses au front. Dans l’affaire, les blessés auront au moins appris comment s’écrivait le mot “Israël” en hébreu. C’est ce qu’on pouvait lire sur le panneau qu’ils ont reçu sur la tête.
Les éditeurs français, harcelés de questions par les médias sur la question du boycottage, n’en craignent pas moins qu’elle n’empoisonne l’atmosphère et ne gâche la fête du Salon du livre . “Il suffirait d’une alerte à la bombe ce week-end pour que la fréquentation baisse” déplore l’un d’eux. Ne pas oublier que leur présence à cette “plus grande librairie de France” leur coûte cher et que bien peu rentrent dans leurs frais. Aussi, rajouter cette menace planante, et le renforcement des mesures de sécurité qu’elle impose, à la finale de rugby France-Galles et au second tour des élections, c’est de trop pour certains. Ce charivari autour de l’invitation lancée à la littérature israélienne était pourtant prévisible : j’en avais parlé dès le 8 décembre dernier dans une chronique du Monde 2, et à nouveau le 4 février dans un billet sur ce blog. On remarquera au passage que les intellectuels français, si prompts à se mobiliser pour les causes lointaines et exotiques, se sont faits remarquablement discrets alors que la liberté d’expression d’écrivains en France était menacée par un chantage (eux ou nous) doublé d’une prise d’otages (si c’est eux, vous êtes complices). Sans trop se mouiller, puisque c’est aussi le problème, il leur suffisait de rappeler que lorsque la littérature néerlandaise était l’invitée du Salon, les Pays-Bas n’avaient emmené dans leurs bagages que la partie flamande de la Belgique et tout le monde trouvait cela normal ; qu’Israël a un stand au Salon de Paris depuis une dizaine d’années, en un temps où le général Sharon était à la tête du pays et où la seconde intifada faisait rage, et l’on se souvient pas que cela ait jamais scandalisé les belles âmes ; et qu’enfin, les écrivains israéliens, pas plus que les autres écrivains du reste du monde, ne sont les ambassadeurs de la politique de leur pays, surtout pas ceux-là qui dans leur majorité ne cessent de la critiquer. Oui, vraiment, très discrets pour une fois les intellectuels français et plus particulièrement parmi eux les éditeurs : dans leur majorité, ils semblent avoir oublié qu’il est de leur devoir de défendre leurs auteurs -et pas seulement les Français de leur catalogue. Ils devraient se souvenir que dans les premiers temps de la fatwa de mort lancée contre Salman Rushdie, ses traducteurs et ses éditeurs, Christian Bourgois s’était senti un peu seul. C’est d’autant plus regrettable que l’édition française a généralement très bien joué le jeu en publiant des dizaines de livres de qualité (avec des traductions largement subventionnées par le CNL, il est vrai). Que n’ont-ils été jusqu’au bout de leur démarche en lançant, dans l’esprit du texte d’Olivier Rolin du Seuil et d’Olivier Rubinstein de Denoël, un appel collectif au boycottage du boycottage ! (désolé, mais je le redis, boycott est anglais quand “boycottage” est français, tant pis pour les oreilles)
Le fait est que l’initiative de la Ligue arabe a fait un bide. Elle ne s’est traduite que par quelques annulations de stands. Tout ça pour ça. Qui a répondu favorablement à l’appel ? Des ministères et des institutions gouvernementales du monde arabe, ce qui ridiculise l’initiative lorsqu’on songe au mépris d’Alger, de Sanaa, de Tunis ou de Ryad pour la littérature comme en témoigne la situation de leurs propres écrivains généralement censurés (c’est encore le cas ces jours-ci de l’algérien Boualem Sansal), bâillonnés ou emprisonnés ; ajoutons-y hors du monde arabe Téhéran, mais cela allait sans dire puisque son président ne cesse de répéter qu’il veut rayer Israël de la carte, alors ses écrivains… Toujours est-il que leurs libraires et leurs auteurs ne s’y sont pas trompés qui seront bien au rendez-vous du Salon de Paris. En fait, même les plus bruyants boycotteurs tels que le romancier égyptien Alaa-Al-Aswany, le théologien suisse Tariq Ramadan et le journaliste israélien Benny Ziffer seront au Salon ! Le seul écrivain notoire à avoir été parfaitement cohérent avec lui-même en appelant au boycottage et en demeurant chez lui, quand les autres veulent être à la fois dedans et dehors, n’est autre que l’Israélien, juif et de langue hébraïque (les précisions s’imposent dans ce contexte !) Aharon Shabtaï. Un comble !
C’est bien le seul de la bande qui mérite qu’on l’écoute, même et surtout si l’on n’est pas d’accord avec lui. Au moins le poète est-il droit dans ses bottes. Ce paradoxe a le mérite d’illustrer l’idée développée dans une tribune par l’écrivain algérien Salah Guemriche : il faut rencontrer les écrivains d’Israël et leur parler car il y a parmi eux, et d’une manière générale dans les milieux politiques, culturels et religieux de leur pays, des personnalités dont l’esprit critique et l’antisionisme radical sont d’une violence sans commune mesure avec celle, bien timorée en regard, des intellectuels arabes. Insoupçonnables d’antisémitisme et décomplexés vis à vis d’Israël contrairement aux Juifs de la diaspora, ils n’en sont que plus désinhibés. Libres. Ce qui est effectivement assez original dans la bande de terre qui va de Rabat à Beyrouth.
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