DANS
LALUCARNE
VENDREDI 16 NOVEMBRE
20h 40
SUR
"RENE BOUSQUET
ou LE GRAND ARRANGEMENT"
Téléfilm de Laurent Heynemann
avec
Daniel PREVOST
Lumila MIKAEL
Macha MERIL
Michel AUMONT
Photo : Bernard BarbereauLALUCARNE
VENDREDI 16 NOVEMBRE
20h 40
SUR
"RENE BOUSQUET
ou LE GRAND ARRANGEMENT"
Téléfilm de Laurent Heynemann
avec
Daniel PREVOST
Lumila MIKAEL
Macha MERIL
Michel AUMONT
INTERVIEW
DE LAURENT HEYNEMANN
"Je pense qu'appliquer des lois antisémites dans un État antisémite,c'est être antisémite"
DIASPORABLOG :
Avant de passer dans le vif du sujet, Bousquet, le personnage et tout ce qu'il traîne avec lui, dites-nous ce qui vous a décidé à vous lancer dans cette aventure. Quelle a été le point de départ de votre engagement pour la réalisation de ce film? A quel moment avez-vous fait connaissanceavec cet ancien haut fonctionnaire embarqué bien étrangement dans la partiesombre de l'Histoire de France?
LAURENT HEYNEMANN:
À vrai dire, j'avais suivi de très près l'évolution des ennuisjuridiques de Bousquet. Mais lorsqu'on m'a proposé le film, le scénario était déjà écrit. J'ai été intéressé par deux aspects du scénario. Laposture politique de Bousquet qui n'était pas un idéologue antisémite mais plutôt un républicain radical-socialiste, et la montée de la parole juive, l'évolution de cette parole qui est parti du silence (celui de mes parents,je suis né en 1948) pour parvenir à une expression politique et raisonnée, promue par la lucidité et la ténacité de Klarsfeld.
DIASPORABLOG :
Vous avez choisi pour dépeindre le parcours atypique de Bousquet,un scénario qui, tout en s'attachant à des faits existants et avérés,intégre une part de fiction. Pour quelle(s) raison(s)? Craigniez-vous devous confronter aux histoiriens, aux témoins et même à ceux qui ont approchéde près ou de loin ce personnage fort contreversé de l'Histoirecontemporaine? Ou est-ce une façon de mieux souligner les traits decaractères de chacun des personnages de ce drame?
LAURENT HEYNEMANN:
Mais je ne suis pas un historien. Je suis cinéaste. Je suis ce quel'on appelle un artiste et c'est avec cette sensibilité-là que je me coltine avec les sujets que je croise. Il s'avère que dans ma carrière, j'ai croisébeaucoup l'histoire, parce que cela me préoccupe. Mais je ne fais pas oeuvre d'historien, je fais oeuvre de cinéaste. Je ne prétends pas à l'exhaustivité du livre d'histoir. Je revendique la relation sensible avec l'histoire. Je ne pourrais pas faire ce genre de film sans le travail scientifique des historiens, mais je place le spectateur devant une oeuvre subjective où l'émotion prend une place importante. Je souhaite juste que cette émotion se déploie dans un cadre historiquement et intellectuellement rigoureux.
DIASPORABLOG:
Après avoir réaliser ce film, avez-vous modifié votre regard sur Bousquet? Y a-t-il deux façons de juger Bousquet? L'un avant la film,l'autre après?
LAURENT HEYNEMANN:
Sur Bousquet non. Mais peut-être ai-je appris pendant ce film que sa culpabilité n'est qu'un problème mineur au regard de la façon dont notre société Française a abordé ce genre de personnes: soit en les excusant, soit en les diabolisant , alors que notre effort doit se tourner vers une visionplus complexe et moins irrationnel sur cette période.
DIASPORABLOG:
Le portrait que vous faîtes de Bousquet est tellement saisissant qu'on ne peut rester indifférent et sans s'interoger sur la nature humaine.Comment avez-vous conçu ce portrait, pourtant si complexe, si cynique? Au cinéma, on préfère souvent, les personnages faits d'un bloc. Il a fallu, de votre part, sans doute, beaucoup de sens de l'équilibre pour ne pas tomber dans un manichéisme primaire?
LAURENT HEYNEMANN:
Et bien merci! C'était justement le but.
DIASPORABLOG:
Lors du premier échange avec cette dame qui se présentera comme professeur d'Histoire, et qui lui rappelera plusieurs années plus tard qu'il fut aussi à l'origine de la rafle de Marseille en janvier 1943 et qu'il l'épargna alors avec sa mère et sa soeur, Bousquet se tourne vers elle et lui dit : «Avoir participé à un Etat qu i a édicté des loi anti-juives nesignifie pas que je sois un antisémite». Toute la défense de Bousquet a été d'avoir répété qu'il n'est pas antisémite et qu'il n'a fait que son devoir.Qu'en pensez-vous?
LAURENT HEYNEMANN:
Je pense qu'appliquer des lois antisémites dans un État antisémite,c'est être antisémite même si idéologiquement, on pense appartenir à une famille de pensée républicaine et tolérante. C'est bien cela que Bousquet et ceux qui le défendent n'ont jamais compris.
DIASPORABLOG:
Le film montre aussi que c'est souvent la gauche qui après laguerre, viendra à la rescousse de nombreux «collaborateurs» de Vichy.Difficile de ne pas se souvenir des relations étroites entre Mitterrand et Bousquet. Qu'est-ce que cela vous inspire comme réflexion?
LAURENT HEYNEMANN:
Je pense qu'il ne faut pas entretenir les confusions. Ce n'est pas la gauche qui a protégé les ex-fonctionnaires de Vichy, c'est le général DeGaulle qui a fixé une barre au-delà de laquelle l'épuration ne devait pas s'accomplir au nom de la réconciliation nationale mais aussi au nom de compétences administratives dont le pays avait besoin. Comme nous le racontons dans le film, Mitterrand, Ministre des anciens combattants puis Ministre de l'intérieur, a choisi une équipe dans laquelle se trouvaient d'anciens fonctionnaires de Vichy comme Jean-Paul Martin ou Jean Védrines,tout simplement parce qu'il les connaissait et qu'il leur faisait confiance. Certains étaient devenus d'authentiques résistants, d'autres avaient été disculpé par la haute cour de justice ou avaient été écartés provisoirement de la fonction publique pour être ensuite réintégré. Bousquet lui, aprè savoir été acquitté par la haute cour, puis amnistié, a fait carrière dans une banque privée (La Banque de l'Indochine) qui a abrité de nombreux anciens collaborateurs. Il s'est retrouvé aussi, par ses anciennes amitiés politique d'avant-guerre de la gauche radical-socialiste (et trèsanti-communiste) avoir des responsabilités dans un journal du sud-ouest (Ladépêche) qui soutenait F. Mitterrand. C'est cet écheveau que nous essayons de décrire dans le film. C'est une toile à plusieurs fils, qui n'est pas simple, mais c'est cette complexité qui a fondé la France d'après-guerre. Pour ajouter à cette complexité et pour faire encore plus travailler les méninges de nos blogueurs, vous devez savoir que Bousquet s'est présenté aux élections législatives de 1958 sous une étiquette radicale mais anti-Mendésiste, alors que Mendès-France était le Président de ce mêmeparti. Voilà, c'est compliqué. Et il vaut mieux se plonger dans la complication pour déterminer les responsabilités de chacun plutôt que de se complaire dans les simplifications, les raccourcis qui sont souvent descontre-sens.
DIASPORABLOG:
Faire jouer Bousquet par Daniel Prévost était une gageure. Au bout du compte, plutôt réussie. Il étonne et donne de l'étoffe à son personnage.Il participe à la réussite du film. Comment s'est fait ce choix? Comment durant le tournage s'est-il emparé du rôle? Connaissait-il Bousquet? Quelle vision a-t-il de la seconde guerre mondiale? En avez-vous beaucoup discuté avec lui?
LAURENT HEYNEMANN:
Daniel Prévost est un grand acteur. Il connaissait tout de Bousquet et nous avons beaucoup parlé de ce que nous voulions faire. Mais je crois au fond de moi qu'il s'est contenté de jouer le rôle très simplement en n'essayant pas de faire des clins d'oeil au spectateur pour indiquer une connivence sur sa distance, sa condamnation sans équivoque de Bousquet. Il ajoué le jeu à fond, en tentant de retrouver dans son interprétation la lamentable sincérité de l'erreur historique de Bousquet sans essayer de"sauver le personnage" comme l'aurait fait un ringard.
DIASPORABLOG:
Si vous aviez un seul message à transmettre à travers ce film lequel serait-il?
LAURENT HEYNEMANN:
C'est qu'il n'y a jamais un seul message dans un film, mais plein de petits signes qui touchent ou non le spectateur
LAURENT HEYNEMANN:
Vers la fin des années 80, vous aviez réalisé un film qui avait marqué les esprits et fat couler beaucoup d'encres, et pour cause. Vous aviez adapté pour le grand écran «LA QUESTION» d'après le livre-témoignaged'Henri Alleg sur l'attitude des Français durant la guerre d'Algérie. Le film que vous venez de réaliser sur René Bousquet s'inscrit-il dans cette quête de l'Histoire qui caractérise un certain nombre de vos films?
LAURENT HEYNEMANN:
C'était en 1977, donc avant les années 80. La réponse est affirmative. C'est même plus qu'une quête, c'est comme une obsession.
DIASPORABLOG:
Pour finir. Claude Miller, vous-même... il semble que depuis un certain temps, des réalisateurs d'origine juive reviennent aujouourd'hui sur cette période. A quoi cela correspond selon vous? A une crainte? A un besoin de maintenir intact la mémoire juive?
LAURENT HEYNEMANN:
Je ne sais pas pour Claude Miller. Mais ce qui est bizarre, c'est que nous nous voyons de temps en temps et nous n'en parlons jamais. À la maison non plus on ne parlait pas. Mes parents m'ont appris que j'étais Juif très tardivement (j'avais 13 ans et c'est une tante venue dîner à la maison qui a fait la "gaffe"). Ils pensaient que mon intégration dans la société Française occulterait sans doute tout ce qu'être Juif avait d'handicapant. Pour mon père qui a quitté l'Allemagne en 1933 et pour ma mère, Juive alsacienne, être Juif n'apportait que des ennuis. Mes parents sont morts trop tôt pour que je puisse aborder ces problèmes avec eux. Mais ce que je ressens aujourd'hui, c'est la volonté de m'affranchir de leur silence et de transmettre, notamment à mes enfants, la réalité de nos origines, bien que je sois athée et laïc indécrottable. Je ne me sens pas de taille à maintenir intact la mémoire juive, mais je sens dans mon travail et dans l'élaboration de ma vie citoyenne, la responsabilité de transmettre le souvenir du rapport de mon pays, la France, avec les Juifs. Non pour melamenter à nouveau sur l'épouvantable sort qui nous a été infligé mais pourapprendre à discerner ceux qui ont martyrisé les Juifs de ceux qui les ontsauvé, pour me dicter une attitude intellectuelle qui imposera toujours quel'humain l'emporte sur le barbare. Car il y a encore beaucoup de petitsBousquet en puissance qui se persuadent d'avoir toutes les bonnes raisons dumonde pour conduire des politiques qui portent atteinte à la dignité de noscontemporains, qu'ils soient juifs ou non. Il n'est pas impossible que la"Mémoire Juive" soit justement toute contenue dans cette défense del'humanité.
Propos recueillis
par Bernard Koch
LEGENDE DE LA PHOTO : RENE BOUSQUET (DANIEL PREVOST)
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