MILLEFEUILLES
L'AVIS DE DIASPORABLOGJ
HENRI RACZYMOW
DIX JOURS « POLONAIS »
Récit
Editions Gallimard
103 pages 11 Euros
A LA RECHERCHE
DE LA POLOGNE JUIVE PERDUE
« Dans ma mémoire familiale, la « Pologne » était un pays que nous avions fui. Que nous n’avions pas seulement quitté….Nous avions fui la « Pologne », en y laissant rien, ni regret ni nostalgie ». Alors s’y rendre, pourquoi faire ? Dans quel but ? « Fouler la terre polonaise me ferait renouer avec le temps d’avant mon temps, mon temps préhistorique, , ma généalogie intime, mon archéologie honteuse, de vieilles couches sédimentaires. Renouer avec d’anciens fils. Renouer le fil. Le fil d’Ariane. M’y retrouver ». Mais aussi « non pas pour apprendre, mais désapprendre ».
Ce voyage auquel nous convie l’auteur de ce récit , Henri Raczymow, n‘est pas un voyage comme les autres. Ni voyage touristique. Ni voyage de complaisance. Ce voyage a tous les airs d’une quête. Une quête de mémoire. « Une quête obsédante de mémoire », écrit-il, dans son récit. Tenter par cette visite impromptue, inopinée, de ce vaste lieu de mémoire encore bien vivace dans la conscience de tout un peuple, de reconstruire, de reconstituer le puzzle dont les morceaux ont été dispersés ou tout simplement, broyés, anéantis par les vicissitudes de l’Histoire et la négation de l’homme.
Ce travail de reconstruction de la mémoire en dix jours prend pour point de départ l’immeuble où habitaient ses grands-parents jusqu’aux années 20, avant qu’ils ne viennent s’installer en France. Puis il poursuit et sillonne, une à une, les rues, ul (diminutif d’ulica, qui signifie « rue » en polonais) de Varsovie, puis de Cracovie, avant de se rendre à l’Umschlagplatz, lieu où l’on rassemblait les Juifs avant de les jeter dans les camps de la mort.
Mais au fil de ce trajet, au fil de ses rencontres, le narrateur fait un sombre constat. A quelque rares exceptions, ici ou là, la « Pologne » a vidé près de mille ans du passé juif de son Histoire. « Un tiers de la population de Varsovie était juif » rappelle l’auteur. Et il poursuit : « Imaginez un tiers de Paris. Et plus tard ce « rien » qu’ils ont laissé derrière eux est devenu moins que rien. Puis survint l’effacement de rien même, avec la guerre ».
C’est si vrai que dans sa pérégrination, l’auteur de « 10 JOURS « POLONAIS » va vite se rendre-compte de la mascarade qu l’attendait dans cette « terre vide », ce pays de « nulle part » pour paraphraser Alfred Jary dans UBU ROI .
Il existe bien à Cracovie un théâtre yiddish, mais entièrement tenu par une compagnie de comédiens non-juifs à l’accent yiddish qui laisse-à-désirer, qui n’a pas d’autres vocations que d’attirer le touriste qui passe. Cette vocation à caractère purement lucrative est aussi celles des restaurants et des pâtisseries des anciens quartiers juifs de Cracovie. Kazimiercz, par exemple, où si ces lieux des plaisirs gourmands portent des noms à consonance juive et les mets rappellent la cuisine juive, c’est un leurre, un guet-apens. « C’est juste bidon. Ces noms ne représentent rien, ni personne. C’est ici pour la couleur locale. Faux noms de fausses personnes aux faux métiers».
A quelques pages de la conclusion du récit, Raczymow vide son sac et son jugement sur cette « Pologne » qui a effacé toute trace juive de sa mémoire est sans appel : « Il y a eu d’autres pays peuplés de Juifs. L’ Espagne par exemple. On peut y parcourir des Juderias, y visiter d’anciennes synagogues. Mais une telle mascarade ? Une telle supercherie ? Un tel trompe-l’œil ? Je ne vois que les Polonais pour l’oser ».
« Vers quelle vérité je me dirige » s’interroge au milieu de son récit, Raczymow. « La vérité, précise-t-il, seul le livre l’établirait. La vérité, c’est le livre ».
Cette vérité est bien la matière centrale de ce livre court, concis, ciselé comme de la broderie d’art. Le sujet est aussi prenant, captivant que le verbe. Deux éléments solidement charpentés dans cette trajectoire de retour au passé. L’un ne pouvant se passer de l’autre. Inséparables. Indissociables. Et même pourrait-on dire complices l’un de l‘autre, tant la langue de Raczymow foisonnante, créative et riche en saveur multiple, se marie aisément avec l’esprit de cette soif de quête absolue de sa propre identité.
De plus en plus rares sont ces œuvres littéraires, aujourd’hui, qui réussissent le subtil alliage de la lettre et de l’esprit, où une espèce de magie met en parfaite harmonie tous les ingrédients qui forment l’esthétique de ces œuvres et rendent au lecteur le plaisir de les lire.
DIX JOURS « POLONAIS » d’Henri Raczymow s’inscrit pleinement dans cette veine-là.
Un livre court, rapide, mais un grand exercice littéraire à la recherche d’une mémoire ensevelie sous les décombres d’un système.
Bernard Koch
CHALEUREUSEMENT RECOMMANDE
PAR DIASPORABLOGJ
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
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