PASSERELLE
Source : la newsletter d'EVENE.FR
distribuée le 28 juillet
EXTRAIT DE L'INTERVIEW
DE LA JOURNALISTE DU "MONDE",
RAPHAELLE BACQUE, CO-AUTEUR,
AVEC ARIANNE CHEMIN,
DU BEST-SELLER
DU LIVRE POLITIQUE DE CETTE ANNEE
"LA FEMME FATALE"
Editions Albin Michel
Une campagne Ségocentrique
Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, grands reporters au Monde, ont enquêté sur la campagne menée par Ségolène Royal. Livre étonnant, ‘La Femme fatale’ permet de lever le voile sur les causes de l’échec du Parti socialiste aux élections. Entretien avec Raphaëlle Bacqué autour du “ségolisme” et de la vie politique.
‘La Femme fatale’ aura fait couler beaucoup d’encre. Incontestablement, l’enquête menée par Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin n’aura pas laissé indifférent. Le livre qui a caracolé au top des ventes et qui a été largement commenté par les médias a été très mal accueilli par la candidate du PS à l’élection présidentielle. Retour sur une polémique.
Où en est votre confrontation judiciaire avec le couple Hollande/Royal ?
Les poursuites sont toujours en cours, on verra aux environs de septembre/octobre si nous allons jusqu’au procès.
La réaction de Ségolène Royal à propos du livre est-elle légitime ?
Non, je ne peux pas dire que cela soit légitime. Ce qui me frappe, c’est que nous avons été très prudentes avec les mots employés. Nous avons également fait attention à ne parler de la vie privée que lorsqu’elle avait des répercussions politiques concrètes. Nous sommes contre la transparence et pour la protection de la vie privée. Chacun a le droit à l’intimité. D’ailleurs, pas besoin de nous, Ségolène Royal a, elle-même, mis en scène sa vie privée. Aujourd’hui, beaucoup de responsables de sa propre équipe reconnaissent que le conflit au sein du couple a été préjudiciable à l’organisation de la campagne. Il était donc légitime de rapporter un certain nombre de faits et de situations. Ce que nous plaiderons s’il y a un procès : la légitimité pour les journalistes de rapporter des événements ayant des effets sur le jeu politique et qui peuvent intéresser les électeurs.
Mais la frontière entre la vie privée et les intérêts publics n’est pas simple à définir ?
Ce qui relève de la stricte intimité n’a pas à être médiatisé et doit être protégé. Mais un personnage public n’est pas un individu lambda. Les limites ne sont pas les mêmes, tout dépend de l’incidence de cette intimité sur la vie publique. C’est encore plus valable pour des hommes politiques et des candidats à la présidentiel. Je le répète, Ségolène Royal, au coeur même de la campagne, évoque sa vie de couple, le mariage avec François Hollande, le fait que l’entourage du premier secrétaire du PS ait empêché ce mariage. Il y avait des conflits et des désaccords qui paraissaient incompréhensibles. C’étaient des interrogations qui justifiaient une enquête.
La presse a énormément insisté sur ces révélations aux dépens de l’intérêt réel de votre livre, qui est avant tout un exercice de décryptage d’une campagne politique. On ne s’attendait pas à ce que ce livre provoque un tel scandale. La vie privée du couple n’était à nos yeux qu’une partie tout à fait mineure du livre. Surtout, nous avons été étonnées de voir que la presse ne nous interrogeait que sur ce sujet. On pensait avoir apporté des informations inédites mais sur d’autres sujets, la technique marketing employée par Ségolène Royal, son interprétation des sondages, l’importance de certains conseillers comme Jean-Pierre Chevènement ou Bernard-Henri Lévy, etc. Paradoxalement, les interviews portaient presque exclusivement sur les passages concernant leur vie privée. Ce qui me laisse penser que la presse est dans une situation paradoxale. Elle combat le fait que l’on parle de la vie privée et en même temps, quand elle voit un livre comme celui-là, il n’y a que ce sujet qui l’intéresse. Je le regrette sincèrement.
On est frappé à la lecture de votre livre par l’absence de débat idéologique au profit d’un tout pour la communication et pour les sondages. Doit-on y voir une nouvelle forme de pratique politique ?
Je pense que c’est spécifique à cette campagne car ça n’est pas tout à fait la même chose du coté de Nicolas Sarkozy ou de Lionel Jospin (en 2002). Le fait que Ségolène Royal contourne le parti, l’a obligé ensuite à évincer tous les débats idéologiques au sein du PS et à se passer des discours des experts économiques et sociaux. Du coup, il ne lui restait que l’élaboration très rapide, très marketée d’une campagne. De son coté, Nicolas Sarkozy, qui est de la même génération et rompu aux techniques de communication, avait mis au travail l’UMP et avait diffusé au sein de la droite un certain nombre d’idées qui modifiaient l’état d’esprit de son camp. Ce que n’a pas eu le temps de faire Ségolène Royal. Je pense même qu’elle n’en a pas eu la volonté.
Son erreur est donc d’avoir voulu faire la campagne en solitaire ?
Son erreur est de s’être isolée du parti alors qu’elle arrivait très tard dans le jeu politique. A partir du moment où elle a été désignée huit mois avant l’élection, le délai était déjà trop court. Elle était vraisemblablement populaire mais restait, à ce niveau, relativement nouvelle dans le champ politique. Le fait de ne pas rallier son camp et de s’isoler était purement et simplement de la folie.
Vous évoquez régulièrement l’importance des sondages dans l’ascension de la candidate socialiste. Pensez-vous qu’ils soient le fait d’une presse de droite qui l’aurait volontairement valorisée pour les primaires aux dépens de Laurent Fabius et de Dominique Strauss-Kahn ?
Non ! Il faudrait supposer que les militants du PS se soient fait influencer par la presse de droite, que très souvent ils ne lisent pas. En réalité, elle a toujours été très populaire. Ce qui a fait son succès, c’est un ensemble d’éléments. D’abord, le PS ne s’était pas renouvelé, au grand désarroi des militants. De plus, ses concurrents, des éléphants du PS, étaient des “vieux”, alors que Ségolène représentait en termes d’images le renouvellement, la beauté, la jeunesse et employait un langage différent. Cette hypothèse paraît donc peu plausible. D’autant plus que Sarkozy, au départ, était inquiet. Il ne savait pas trop comment affronter Ségolène Royal.
L’issue des élections aurait été la même si le couple Royal/Hollande avait réussi à travailler en commun ?
Ils auraient été imbattables. Quand j’ai commencé cette enquête, Royal n’était pas encore désignée mais il était évident qu’elle allait remporter la primaire. A ce moment, je me disais : “Il tient le parti, elle a le charisme et la popularité. A eux deux, ils ne peuvent que réussir.” Un an plus tard, je devais admettre mon erreur. Même si François Hollande a beaucoup aidé Ségolène Royal, leur mésentente, leurs conflits, leur mutisme, les a plombés.Cette mésentente est-elle liée à des causes privées ? Ils ont toujours eu une politique divergente. Lui est assez deuxième gauche, social-démocrate et libéral sur le plan des moeurs. Elle, c’est le contraire. Elle est mitterrandiste, dirigiste et très autoritaire, parfois même réactionnaire. Et les conflits conjugaux n’ont rien arrangé.
Pourrait-on résumer la personnalité politique de Hollande par cette phrase de Julien Dray : “Son problème, c’est qu’il ne sait pas tuer” ?
Cela peut être son problème et sa force. C’est grâce à cette attitude qu’il s’est maintenu à la tête du parti, en courtisant tous les contraires et les ambitions personnelles. Il est le seul qui fasse l’accord entre tous parce qu’il fait des concessions à chacun. D’après votre enquête, comment définiriez-vous la candidate Ségolène Royal ?C’est une étonnante occasion manquée. Elle avait des circonstances politiques extrêmement favorables. Notamment, le fait que la gauche avait été traumatisée par 2002 et que le vote utile pouvait jouer pour ces élections. En réalité, ça n’a peut-être pas marché à cause de son caractère singulier : un immense narcissisme, un coté évangéliste limite irrationnel, une grande solitude dans sa manière de gérer le pouvoir. Mais elle n’est pas la seule à porter la responsabilité de la défaite. L’organisation du PS connaissait aussi de graves problèmes.
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