JUIFSD'ICI,
JUIFSD'AILLEURS
Quelques pages d'Histoire sur des Juifs du bout du monde. Frédéric Viey, historien, l'un des meilleurs spécialistes de ces peuplades juives, méconnues, venues d'ailleurs, vous conte, en guise d'introduction au voyage qu'il organise cet automne en Ouzbékistan, la fabuleuse aventure de la tribu des Béné- Nephtali.
Les Nephtalites ou Bené-Nephtali (en Tartarie)
ou la guerre des Nephtalites contre les Perses.
Abraham Ortelli a donné une description détaillée de la Tartarie. En citant d’autres peuplades, il parle d’un Ahourda ou petite horde de Kirghiz établie dans la plaine, et d’une grande horde de Kirghiz occupant une région plus éloignée ; la première est selon lui, la tribu de Dan, et la seconde celle de Nephtali. Il ajoute que ces tribus se sont établies en Tartarie l’an 4236 du monde, et 476 de l’ère chrétienne, sous le règne de Perupias, roi de Perse. Selon Agatius Pérupias, roi de Perse, livra à ces tribus deux batailles sanglantes. A la première il fut rudement battu et forcé d’implorer la paix : un traité fut conclu qui stipulait expressément que le roi s’interdirait à l’avenir toute espèce d’hostilité contre les vainqueurs. Cette marque de soumission ils exigèrent même qu’il s’inclina devant eux. Mais, quelque temps après, impatient de venger la honte de sa défaite, le monarque persan réunit une armée nombreuse et marcha de nouveau contre les Nephtalites.
Rabbi Joseph Hacohen raconte dans sa chronique ‘’Divré Haiamimm’’, que David Harubéni (Rubeni ou homme de la tribu de Ruben), frère du roi de la tribu de Ruben, vint de Tabour), ville de la Tartarie, jusqu’en Portugal par la voie des Indes, et convertit au Judaïsme le secrétaire du roi auquel il donna le nom de Salomon Molkho. Celui-ci s’instruisit en peu de temps au point que tous les Rabbins en furent émerveillés. David et Salomon tentèrent alors d’attirer à la religion de Moïse le roi Francesco, l’empereur Charles-Quint et le Pape lui-même. Mais leurs téméraires efforts eurent un triste résultat : Salomon fut arrêté et brûlé à Mantoue en 1560, par les ordres de l’empereur, qui lui offrit en vain sa grâce à condition de revenir à sa propre croyance. Quant à David, Charles-Quint l’emmena prisonnier en Espagne, où le malheureux prince israélite mourut bientôt de chagrin. Rabbi Abraham Péritzoul, né en 1525, parle dans son ouvrage ‘’Orkhod Olam’’ de ce même Rubenit, et voici en quels termes : un homme, dit-il, David Rubeni, du pays de Tabour en Tartarie, vint en Europe et raconta que dans sa contrée se trouvent deux tribus et demie, celle de Ruben, de Gad et la demi-tribu de Manassé ; qu’elles ont leurs rois et leurs chefs, qu’elles sont très nombreuses ; et, en effet, ajoute-t-il, d’après les Chroniques (L. I. Ch. 5, V.26), ces expatriés furent exilés à Habor.
En 880, un juif publie un livre auquel il donne son propre nom Eldad Hadanite ( de la tribu de Dan). Il rapporte que quatre tribus sont établies dans son pays et dans les environs, et les nomme : Dan, Nephtali, Zabulon et Asser.
Les Juifs d’Asie Centrale sont donc les descendants de ces trois tribus qui avaient été dispersées une deuxième fois après la destruction de Jérusalem par Titus en 70 ap. J.C.
Ils sont en général d’origine boukharienne, descendants des caravaniers de la Route de la Soie. À Samarcande comme à Boukhara, ils vivent dans les quartiers juifs de la vieille ville. Très unis entre eux, ils ont fait de remarquables efforts à travers l’histoire pour garder les traditions et leur mode de vie (circoncision, respect des règles de la kashrout, prières quotidiennes et enseignement de l’hébreu aux enfants). Les mariages mixtes sont relativement rares. La synagogue de Samarcande est dirigée par un rabbin local d’obédience Habad.
La vaste majorité des Ashkénazes d’Ouzbékistan vit à Tachkent, comme c’est également le cas des quelque 2000 juifs boukhariens. Les premiers, chez qui les mariages mixtes sont fréquents, sont beaucoup plus assimilés que les seconds. Plus de 800 enfants de la communauté fréquentent les écoles juives de Tachkent, Samarcande et Boukhara. Les communautés de Tachkent et Samarcande ont créé des centres culturels juifs ainsi qu’un Talmud-Torah pour enfants le dimanche, celle de Boukhara, un jardin d’enfants. Un mensuel juif intitulé Shofar est publié en langue russe.
D’après la tradition juive boukharienne, les Juifs seraient venus de Perse par Merv et par Khiva. Au temps de Benjamin de Tudéle, il y avait 7.000 juifs à Khiva et 50.900, comprenant de grands négociants et des érudits éminents, à Samarcande. Les Juifs de Boukhara font partie de l’important groupe de Juifs d’Orient qui parle la langue persane depuis de nombreuses générations. En Boukharie et au Turkestan, on en compte environ 60.000 avant la seconde guerre mondiale. Du point de vue ethnique, la population boukharienne est une race mêlée irano-mongole, qui parle une langue ozbeko-turkméne et le tadjiki persan. Cette dernière langue, employée par les pouvoirs publics et les citadins, est devenue la langue prédominante de la population des villes ; les populations rurales, elles, employaient l’ozbeki. Les Juifs citadins, pour la plupart, parlaient le persan qu’ils avaient déjà appris en Iran, réservant l’hébreu aux études religieuses et à la prière.
Les Juifs boukhariens, n’ont jamais utilisé l’écriture perse; ils emploient des caractères hébraïques, carrés, ou l’écriture de Rachi, qu’ils ont adaptés à la langue persane, en y ajoutant des signes particuliers pour la transcription de certains sons persans. La littérature judéo-persane, surtout les chants liturgiques, les commentaires traditionnels et les traductions en hébreu d’ouvrages littéraires persans, sont aussi celle des Juifs boukhariens. Ils ont, en outre, leurs propres poètes et écrivains, dont certains de premier plan. Mais c’est le XVIIIème siècle qui fut le siècle d’or de la littérature juive boukharienne, notamment grâce au poète Youssouf Yahoudi (1699-17555), auteur de ‘’Haft Braderan’’ (‘’Les sept frères’’), poème inspiré par la version midrachique du martyr de Hanna et de ses sept fils (II. Macchabées, VII). Youssouf Yahoudi, de même que les autres poètes juifs boukhariens de cette époque, fut également un fécond traducteur. C’est à cette époque que parurent en judéo-persan le Livre d’Esther et des poèmes d’Ibn Gabirol, traduits par Benjamin Ben Michal, et le célèbre ‘’roman’’ de Balaam et Joseph, traduit par Elicha ben Samuel Raghib. Les œuvres de Mizâmi et de Hâfiz furent transcrites en caractères hébraïques pour en faciliter la lecture aux Juifs. Sous l’influence des chroniques du poète persan Babaï bin Lutf, de Kachan, qui dans son ‘’Kitab i Anoussi’’ (‘’Le Livre des Conversions’’), fait récit des persécutions dont il fut le témoin au XVIIème siècle, les poètes juifs de Boukharie adoptèrent également comme source d’inspiration les incidents de la vie locale, en particulier, l’élégie sur le martyr de Nathaniel Hodeidad, qui fut tué par l’Emir Maasdoum de Boukharie (1788) parce qu’il refusait d’embrasser l’Islam.
Une époque nouvelle commença pour les Juifs boukhariens avec l’arrivée, en 1793, d’un sage venu du Maroc, après un long séjour à Safed : Joseph Maman de Tétouan, était le premier envoyé de Terre Sainte à paraître dans ces lieux éloignés. Il décida de s’y installer et devint le guide spirituel de la communauté. Il vécut jusqu’à un âge très avancé et réforma profondément la vie des Juifs de Boukhara. Avant son arrivée, ceux-ci suivant le rituel des Juifs de Perse, dérivé de celui du Gaon Saadia et croyaient fermement descendre des Dix tribus. Mais l’envoyé du pays d’Israël les persuada qu’ils descendaient en réalité des Juifs d’Espagne, et leur fit admettre le rituel espagnol dans l’édition de Livourne, sans doute dans le but de les tirer de leur isolement spirituel et de les lier plus étroitement à leurs frères de la Diaspora.
Grâce aux efforts de Rabbi Joseph Maman, des relations suivies s’établirent pour la première fois entre le Judaïsme boukhariens et les grands centres de la Diaspora.
Sous le gouvernement des Khans, les Juifs de Boukhara eurent à souffrir à la fois de persécutions religieuses et d’une taxation fiscale impitoyable. Peu à peu, ils s’assimilèrent à leur entourage, à tel point que ceux qui ne vivaient pas selon les manières musulmanes adoptées par la Communauté étaient considérés comme renégats. Les vêtements des Juifs, tout leur aspect extérieur étaient ceux des musulmans. Ils se rasaient la tête, ne conservant, que de courtes papillotes.
L’influence musulmane se faisait sentir aussi à la synagogue. Le parquet était recouvert de tapis précieux. Les fidèles se déchaussaient et priaient assis par terre, ne se lavant que lorsque le rite l’exigeait expressément. Lorsqu’ils se parlaient entre eux, ils ajoutaient à leur nom le titre de ‘’frère’’ ou d’’’oncle’’. Les plus instruits dans la doctrine étaient appelés Moullah (Seigneur), et, s’ils venaient de loin, d’Israël, de Russie ou de Perse, ils étaient salués du titre de Hakham (Sage). Parfois, leurs prénoms mêmes étaient arabes ou persans. De vieux Juifs boukhariens s’appelaient Ibrahim, Mirza, Abed, Mourad, Djoura, Fosalla, Abd el Rahman. Ils utilisaient aussi des noms bibliques rares tels que : Aba, Abner, Ary, Betzabel, Elitsafan, Gadiel, Guilad, Koutié, Messiah, Nathanaël, Rabbi, Rahamin, Siman-tov, Zevi-Ziou.
FREDERIC VIEY
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
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