CHAMPS SAVANTS
Entre janvier et février de cette année, nous avons eu le plaisir de vous faire découvrir, en quatre chapîtres, les travaux scientifiques, d'un chercheur, d'origine sénégalaise, Idrîs Ba, qui a démontré, dans sa thèse, avec beaucoup de sens de la perspicacité, les convergences possibles entre l'histoire et les rites du peuple peul et le judaïsme. Cette thèse devrait être présentée sous forme de soutenance à la fin de ce trimestre.
L'intérêt pour ces travaux de certains internautes et amis nous ont conduits à republier, cette fois, dans son intégralité, le texte qu'il avait confié, en priorité, à notre site, diasporablogj.
LA PROBLEMATIQUE
DE LA JUDAITE DES PEULS
Présentation des Peuls
De nos jours les Peuls occupent les savanes sahélo – soudanaises. Après d’importantes migrations, ils ont fini par s’installer dans ces régions, dont l’écologie est celle qui se prête le mieux à leur principale activité économique qu’est l’élevage. Ces migrations sont spécifiées par les spécialistes des Peuls en deux mouvements. Le premier est celui qui les conduisit de leur pays d’origine jusque dans le sud mauritanien et les rives du fleuve Sénégal. Le second mouvement ou dispersion historique est celui qui du fleuve Sénégal les mena vers l’intérieur du continent.
Thèses sur les origines des Peuls
Nul n’a suscité autant de thèses passionnées et contradictoires sur ses origines, sa « race », ses relations avec sa vache ou ses voisins, surtout de la part de l’Europe, que le Peul. Les thèses en présence sont au nombre de quatre : les thèses fantaisistes, les thèses orientales, la thèse saharienne et la thèse nilotique. La question des origines n’étant pas au cœur de notre problématique nous nous contenterons de rappeler à grands traits les thèses qui rattachent les Peuls à des populations blanches en général et juives en particulier.
Les thèses fantaisistes et les thèses orientales
Ces thèses sont filles de la colonisation. Elles en charrient les préjugés et les avatars. Aussi bien les explorateurs que les colonisateurs ont été frappés par les Peuls, la finesse de leurs traits, la clarté de leur teint, la beauté de leurs femmes, la bravoure, la fierté et l’orgueil de leurs guerriers, l’organisation sociale et politique des hégémonies qu’ils mirent en place, la qualité de leurs productions littéraires, leur esprit vif fait de malice et de roublardise et surtout la résistance opiniâtre qu’ils opposèrent aux colonisateurs. Aux yeux de l’Europe dominante et conquérante, autant de qualités ne peuvent être prêtées à des nègres. On fait alors des Peuls des blancs ou des métis venus d’ailleurs pour civiliser les nègres, les vrais ceux-là, qui les entourent partout en Afrique et dont ils seraient supérieurs à tout point de vue. Les thèses en vogue à l’époque en Europe sur la hiérarchisation des peuples en fonction de leur race, sur la mission civilisatrice des grandes puissances et sur la nécessité pour l’Eglise de sauver les âmes en perdition des peuples indigènes et sauvages croient trouver dans les Peuls des auxiliaires sûrs pour passer à l’acte, sur le terrain de l’anthropologie africaine. Mais le Peul se jouera de ce rôle qu’on voulait lui prêter et se fera un farouche résistant à la colonisation et un parfait réfractaire à l’ordre colonial, une fois celui-ci établi. L’exemple qui reflète le mieux l’esprit de ces thèses est celui qui fait des Peuls les descendants d’une légion gauloise qui se serait perdue quelque part dans le désert saharien.
Au cœur de l’idéologie coloniale :
la thèse judéo - syrienne de Maurice Delafosse
Parmi les thèses orientales, la thèse judéo - syrienne de M. Delafosse est celle qui s’attache le plus à improviser aux Peuls des origines juives. Selon cet auteur les Peuls sont les descendants de la tribu des Foudh, Fouth ou Foul qui sont mentionnés dans le Pentateuque et dans les écrits de plusieurs prophètes bibliques, en l’occurrence Ezéchiel, Jérémie, Isaïe et Nahum. Au départ, les Fouth vivaient en Mésopotamie, en Syrie et en Palestine. Ces Fouth qui sont des « populations sémitiques étaient en majorité de descendance israélite, mais non en totalité. » C’est la raison pour laquelle M. Delafosse préfère pour qualifier ces populations et les différentes migrations qu’elles effectuèrent de « judéo - syriennes » plutôt que de « juives ». En différentes vagues, ces populations migrèrent de leur région d’origine vers l’Egypte et les contrées africaines voisines. L’exode qui conduisit au IIIe millénaire Joseph, ses frères et son père Jacob sur les rives du Nil en ferait partie. Les différentes vagues d’invasions hyksôs aussi. Aux pays des Pharaons, les Judéo - Syriens se multiplièrent et prospérèrent au fil du temps, développant un fort sentiment nationaliste qui aboutit à leur expulsion. La vague la plus importante de Judéo - Syriens retourna vers sa terre d’origine, la Palestine, sous la houlette de Moïse. D’autres ne le suivirent pas. Ils se dirigèrent plutôt vers l’Ethiopie et la Cyrénaïque. Vers 320, la communauté judéo - syrienne de Cyrénaïque s’enrichit de nouveaux venus. Il s’agit de Juifs déportés là par Ptolémée Soter après qu’il ait fini de conquérir Jérusalem. Cette communauté s’enrichit aussi de quelques éléments berbères. De processus en processus et de migrations en migrations, les Judéo - Syriens finirent par aboutir sur les rives du fleuve Sénégal, entre la fin du VIIIe siècle et le début du IXe siècle, en passant entre autres par l’Aïr, le Macina et l’Awker. C’est une fois dans la vallée du fleuve Sénégal que les Judéo - Syriens devinrent, comme par enchantement, des Peuls.
Maurice Delafosse précise que dans l’Awker, les Judéo – Syriens furent rejoints par des compatriotes qui quittèrent la Cyrénaïque suite à la pacification romaine de 115. Avant d’accéder à l’Awker, ces derniers passèrent par la Tripolitaine et le Touât, où un certain nombre d’entre eux demeura, tandis que d’autres se dirigeaient vers le sud marocain.
Critiques de la thèse de Maurice Delafosse
Pour des raisons évidentes liées à une question de logique, la critique historique n’a pas manqué de relever les nombreuses contradictions et insuffisances qui émaillent la thèse de M. Delafosse. Nous pouvons en résumer les plus notables :
- L’intention de M. Delafosse affirmée dès le départ est de faire des Peuls une population sémitique, pour expliquer à la fois leurs traits physiques si caractéristiques et leur supposée supériorité sur les autres peuples d’Afrique. Mais la logique de son postulat et de son analyse l’amène à en faire des descendants de Cham. On est donc au cœur d’une contradiction dont il prend conscience et contourne par une pirouette peu convaincante :
« Il n’y a pas à s’appesantir sur cette indication, la Bible – comme les auteurs arabes – confondent les descendants de Ham avec ceux de Sem. »
- Les Peuls ne peuvent pas naître au VIIIe siècle pour la bonne et simple raison qu’on retrouve un peu partout dans le Sahara des traces de leur passage dans ces régions, aussi bien dans des peintures rupestres que dans l’onomastique : coiffure en cimier, cérémonie du lootoori, types peuls, bovidés peuls, caamaba, … Au moment où M. Delafosse fait arriver les Judéo - Syriens dans la vallée du fleuve Sénégal, cette région contenait déjà un fond pulaar, si l’on s’en tient aux indications de la tradition orale. Différentes dynasties se sont succédées dans la vallée du fleuve Sénégal: Dya Oogo, Tondyon, Manna, Lam Taaga, Lam Termès, Satiguis, Almaamis. Chez la première par exemple l’onomastique est pulaar : Gallo, Jaa, Oogo.
- Selon Maurice Delafosse, les Peuls trouvèrent sur place, à leur arrivée dans la vallée du fleuve Sénégal les Toucouleurs. En réalité, il convient de considérer les Toucouleurs soit comme des Peuls qui, avec la sédentarisation, s’en sont un peu différenciés par la spécialisation économique dans l’agriculture, soit comme le fruit d’un métissage entre les Peuls et d’autres populations soudanaises dans le cadre de la vallée du fleuve Sénégal.
Problématique
Ce qu’il ne faut pas perdre de vue c’est que la vallée du Nil, l’Ethiopie, le Proche et le Moyen Orient procèdent d’une même région, celle-là même qui dans la géopolitique antique a été unifiée par les Pharaons. Il s’y ajoute que depuis le néolithique des migrations et des échanges de tous ordres ont participé à la création d’une unité culturelle certaine entre la vallée du Nil et le Sahara. Ces données objectives expliquent que toutes les thèses sur les origines des Peuls finissent par rejoindre. Cela étant, la démarche que nous adoptons ici consiste, dans un premier temps, à recenser et à étudier les éléments probants de judaïté qu’on retrouve dans la Pulaagu (culture peule, savoir-vivre peul, art d’être peul) et dans un second temps à expliquer le pourquoi de cette présence.
Du Judaïsme à la Pulaagu : une passerelle d’indices
- Selon les peuples et les cultures qui l’utilisent l’hexagramme est connu sous différentes dénominations : Magen David (bouclier de David), étoile de David, Khâtem Suleyman (sceau de Salomon), faddunde ndaw (la protection de l’autruche), …
Chez les Juifs, il représente Israël à travers ses douze tribus originelles. Il est aussi le symbole de la puissance de David et de Salomon et de leur domination sur leurs adversaires ainsi que sur les djinns. Par extension, le pouvoir magique de l’hexagramme est utilisé dans plusieurs versions de la mezuzah ayant cours entre le Xe et le XIVe siècle et comme amulette protégeant du feu, à la fin du Moyen Age.
Chez les Musulmans l’hexagramme est la forme stylisée du principal nom de Dieu : ‘Allâh. Les deux triangles qui le composent sont connus sous le nom de triangle de la ferveur – celle des croyants qui monte vers ‘Allâh - et triangle de la miséricorde – celle d’Allâh qui descend sur terre, notamment sous forme de pluie. Dans le sceau de Salomon, ce symbole s’est substitué au nom de Dieu. C’est la raison même de la domination du « prophète couronné roi » sur les démons.
Chez les Peuls, l’hexagramme traduit avant tout la relation entre Dieu et l’homme à travers un bâton que le premier offrit au second. Dans Njeddo Ndewal (la mère de la calamité) qui est un mythe peul, on nous explique qu’il existe trois types de nelbi, le nelbi étant le « diospyros mespiliformis, un arbre fruitier aux vertus médicinales » qui est sacré pour les Peuls : « le nelbi de terre ferme, le nelbi des eaux et le nelbi de nulle part ailleurs qui ne pousse ni sur la terre ni dans les eaux. » … Dans Laaytere koodal (l’éclat de la grande étoile), un autre mythe peul, on nous donne une précision sur le lieu où pousse le nelbi de nulle part ailleurs : « dans le ravin des génies. » « Celui qui tient dans sa main un bâton tiré de ce bois miraculeux prédit l’avenir sans erreur. » C’est dans une des branches du nelbi sacré que Guéno, le Dieu suprême dans le panthéon pulaar, coupa le premier bâton de berger et le donna à Kîkala, le premier homme. C’est ce bâton même transmis de père en fils qui parvint à Bouytôring. Celui-ci est le premier à conter le mythe de Njeddo Dewal. Son auditoire était composé par son fils Hellêré. Pour ce faire Bouytôring traça à même le sol l’hexagramme. Ils se placèrent tous deux dans l’alvéole centrale de l’hexagramme. Bouytôring était muni d’un crâne. Il incanta quelques paroles et le crâne se mit à parler, contant l’histoire de Njeddo Dewal. Quelle interprétation tirer de tout cela ? En traçant l’hexagramme par terre Bouytôring place l’histoire qui va suivre sous les auspices de Guéno. On peut même supposer que l’hexagramme représente ici la forme stylisée de Guéno. Mais l’hexagramme est surtout connu pour représenter l’univers et le temps : à travers ses deux triangles, ses sept alvéoles, ses 12 angles, nous avons respectivement le ciel et la terre, les sept jours de la semaine, les 12 mois de l’année, … L’hexagramme est surtout connu et utilisé des Peuls comme symbole protecteur. Dans les mythes peuls, c’est ce symbole qui renforce le pouvoir des héros et leur permet de soumettre les forces du mal. Dans Njeddo Ndewal les Peuls qui sont chassés de leurs cités originelles Heli et Yoyo ne doivent leur salut qu’à Bâ – Wâm’ndé, sa femme, Kobbou le mouton miraculeux, Siré l’initié et Bâgoumâwel (ou Gael Waalo) l’enfant prédestiné, seuls êtres purs et par conséquent capables de combattre et de vaincre Njeddo Ndewal ou mère de la calamité qui est l’incarnation même du mal. Dans ce combat, les héros peuls prennent à plusieurs reprises le dessus sur la mère de la calamité, en utilisant les pouvoirs et la protection procurés par l’hexagramme. La première utilisation a son importance. Pourchassés par Njeddo Ndewal à califourchon sur son oiseau ailé, les héros peuls arrivent devant une montagne infranchissable. C’est alors que vient à eux une autruche, qui pour les aider décrit quelques pas de danse qui lui permettent de dessiner l’hexagramme. Ce symbole rendra les héros peuls invisibles et leur permettra de franchir la montagne. L’imaginaire pulaar considère qu’avant de pondre ses œufs l’autruche décrit toujours la même danse pour dessiner la figure de l’hexagramme. Elle déposera ses œufs en guise de protection dans l’alvéole du milieu, la plus importante de toutes : la poitrine. Par analogie, les Peuls dénomment l’hexagramme « faddunde ndaw » (la protection de l’autruche). Dans la vie de tous les jours les Peuls utilisent les vertus de l’hexagramme pour protéger leur campement, leur bétail, leur parc à bestiaux, se protéger eux-mêmes, à travers des talismans dénommés xaatumere, terme dérivé sans doute de Khâtem, de l’eau bénite, des chevalières, des amulettes protégeant leurs maisons et qui ne sont pas sans rappeler les mezuzah, … Dans la mouvance de Bouytôring l’hexagramme est utilisé comme objet de divination par les silatiguis (grands maîtres initiés aux secrets du pastoralisme et chefs spirituels et temporels de la communauté) pour consulter les oracles et voir quels sont les meilleurs itinéraires à suivre pour partir à la conquête de nouveaux pâturages, …
- Dans les monothéismes révélés l’hexagramme est interchangeable avec le pentagramme ou étoile du berger, comme objet de protection et l’expression « sceau de Salomon » est applicable aux deux. Les Peuls le connaissent sous le terme de Koodal (la grande étoile). Koodal est aussi le nom du Dieu de l’or et du savoir. Koodal c’est d’abord l’étoile anthropomorphe, ses cinq branches représentant d’une part la tête de l’homme et ses quatre membres et de l’autre ses cinq organes des sens. Koodal est surtout un symbole de prospérité et d’érudition. Chez les Peuls les mythes se suivent et s’emboîtent. Précède Njeddo Ndewal. Suivent Kaïdara et Laytere koodal. Dans Kaidara qui est un mythe d’initiation au savoir religieux et profane, le Dieu de l’or et du savoir dénommé Kaidara, avait envisagé de revenir en quittant Hammadi. Il reviendra dans Layteere Koodal. Il se fera annoncer par la grande étoile. Dans Layteere koodal même, c’est lui qui enseigne successivement au premier pêcheur, au premier chasseur et au premier berger l’art de gagner leur nourriture : il leur transmet ainsi le savoir et l’avoir.
- Salomon et la reine de Saba dans la mythologie pulaar
Dans les mythes peuls un double rattachement de ce peuple à Salomon est perceptible. D’abord par Bouytôring, le fils du premier homme Kîkala : il réussit la prouesse de dérober du fer aux mines qui appartenaient aux génies de Salomon. Il apparaît donc comme son alter ego: Salomon réussit à soumettre les génies par le pouvoir et la magie procurés par son sceau, Bouytôring réussit lui par la ruse et le courage.
Ensuite par Bilqis, la reine de Saba et l’une des épouses de Salomon: les Peuls la considèrent comme leur tante. Cette affiliation s’avère des plus utiles : Salomon est totalement au service des Peuls: non seulement il fait construire Heli et Yoyo, leurs cités originelles par ses génies, mais en plus, il apparaît comme celui-là même qui initia les Silatiguis à la connaissance des plantes, des animaux et des hommes.
- Le mythe du retour : les Peuls croient qu’un jour ils retourneront à leur patrie originelle. Le parralélisme avec l’aliya est saisissant.
- Sacralisation du feu
Chez les Juifs le premier feu, l’altar, est d’origine divine. Il a été descendu du Paradis. Il est resté allumé de Moïse jusqu’à son transfert au Temple de Salomon. Il a continué à brûler jusqu’au règne de Manasseh. Le feu du second Temple est d’origine humaine. A travers le candélabre il est symboliquement transféré du Temple au sein de chaque foyer juif.
Chez les Peuls : dans Laaytere koodal il est fait allusion à un feu qui est toujours allumé. Il s’agit du feu sacré de la maison. Il ne doit jamais s’éteindre. Cela correspondrait à l’extinction de la famille. Ce feu ne relève pas seulement du mythe : on retrouve des cas pratiques dans la vie au quotidien.
- Le bouc émissaire et cas similaires
Chez les Juifs le rite du bouc émissaire tourne autour du sacrifice d’un bélier comme holocauste, d’un taureau pour l’expiation des péchés d’Aaron et de sa famille et de deux boucs. Les boucs sont tirés au sort : un sort à Jéhovah et un sort à Azazel. Le premier bouc est sacrifié à Yahvé en offrande pour les péchés d’Israël. Le Pentateuque précise qu’Aaron qui est ici le prêtre officiant prend avec ses doigts du sang du taureau et du sang du bouc pour faire expiation des péchés de tous et de chacun. Mais cela ne suffit guère à l’expiation totale du peuple d’Israël. C’est pourquoi, en guise de complément, tous les péchés d’Israël sont confessés sur le deuxième bouc qui est alors abandonné dans le désert, à Azazel. Le rite du bouc émissaire est à rapprocher du rite d’expiation de la lèpre où on substitue deux oiseaux aux deux boucs. Ces pratiques ne sont pas propres aux Juifs. Elles étaient courantes dans l’Orient antique. A Babylone, durant les festivités du nouvel an (Akîtu) un bouc était immolé en substitution d’une âme humaine (pûh) et en l’honneur d’Ereshkigal, Dieu des Abysses. Il est probable qu’au début les Babyloniens procédaient à des sacrifices humains. Chez les Hittites, en cas de disette, un bouc était abandonné chez l’ennemi afin d’y transférer ce malheur. Il était apprêté : sur sa tête était déposée une couronne sculptée dans un bois coloré et comparable au fil en bois cramoisi que portait le bouc à l’époque du second Temple.
Chez les Peuls, on connaît la pratique de « l’attache bouche du village » : un bouc est choisi exprès pour servir de paravent à tous les malheurs qui doivent tomber sur le village. De cette pratique se rapproche celle du « xaru sarax » (litt. mouton de sacrifice en Wolof). Ce bélier blanc sensé protéger son ou ses maîtres porte quelquefois autour du cou une étoffe rouge qui n’est pas sans rappeler la couronne hittite et le bois coloré du Second Temple abordés ci-dessus. Il arrive aussi que le maître du bélier blanc, pour parfaire cette protection, porte exprès une chevalière avec le sceau se Salomon. Rappelons que Kobbu le fidèle bélier de Bouytôring dans Njeddo Dewal finira sacrifié. Ce sacrifice est-il une réminiscence du sacrifice d’Abraham ? Toujours est-il qu’à la Tabaski ou Aid al-Kabîr qui est la fête qui commémore ce sacrifice on n’hésite guère, un peu partout au Soudan, à enduire son index du sang du bélier et à le marquer de son front. On pense à Aaron officiant. Il semblerait aussi qu’en certains endroits un Peul était sacrifié aux Dieux Ma, Wa et Sa du panthéon pulaar. La raison est que le Peul est considéré comme le confluent humain du blanc et du noir. Enfin la pratique du korte qui consiste à jeter un mauvais sort sur quelqu’un se fait ordinairement par le support d’oiseaux, exactement comme avec le rite d’exorcisme de la lèpre.
- L’anthroponymie pulaar fait penser à une inspiration biblique : Hammadi (le protégé du Dieu Ham), Samba (le protégé du Dieu Sam ou Sem), Pathé (le protégé du Dieu Path [Phut ?]), …
- Le nombre de lignages peuls : il semble qu’au départ, ils étaient au nombre de douze et que c’est par la suivante qu’ils seraient passés à quatre sous l’instigation de Soundjata. On pense aux douze tribus d’Israël ou aux douze « clans » initiaux du Mande.
Cette liste est loin d’être exhaustive : d’autres occurrences permettent d’approfondir la comparaison : croyance en des jours fastes et néfastes, modulation des principaux évènements de la vie (voyage, mariage, funérailles, …) en fonction de ces jours, pratique du lévirat, pratique du soeurorat, pratique de la circoncision, interdits alimentaires, intégration de Mathusalem dans la culture wolof comme élément de définition des temps immémoriaux, …
- Lexique Pulaar – Hébreu : De nombreux termes pulaar présentent des similitudes frappantes avec des termes hébraïques, aussi bien du point de vue du signifiant que du point de vue du signifié.
Tentatives d’explications
Comment expliquer toutes ces convergences ? La tradition pulaar n’offre offre aucune explication convaincante sur le sens et la signification du terme « Peuls » (Pullo au sing. Et Fulbe au pluriel) et des termes voisins. Tous ces termes (Pullo, Fulbe, Fuuta, fullude, fulde, …) ainsi que les ethnonymes par lesquels les Peuls sont dénommés par leurs différents voisins (Foullânia, Ifoulân, Foulani, Fellata Fila, …) ont pour radical Pul ou Fut. Des tentatives de rapprochement ont été faites entre ce terme et le Phout (Pout, Pul) biblique, celui-ci étant l’un des quatre fils de Cham. Dans l’Ancien Testament Pout est à la fois un anthroponyme, un ethnonyme et un toponyme. Il s’agit du pays de Pount (Pwnt) des anciens Egyptiens, sis aux voisinages du pays de Kouch (Ethiopie), c’est-à-dire en gros la Somalie actuelle. Le pays de Pount se disait Puta en Assyrien et Putiya en vieux Perse. La question qu’on se pose alors est de savoir si les Peuls viennent du pays de Pount. Un certain nombre d’indices peuvent le laisser penser.
- Historiquement le pays de Pount fait partie de l’arrière - pays égyptien. Or de nombreux travaux, comme ceux de Cheikh Anta Diop et d’A. Moussa Lam et qui font le lit de la thèse dite nilotique ont avancé des éléments et des indices d’importance qui rattachent les Peuls à l’Egypte.
- Le parrallèle est permis entre d’une part le mythe du serpent Caamaba qu’on retrouve chez les Peuls et d’autre part différents mythes du serpent (Roi serpent Aroué, Prince de Pout, …) qu’on retrouve dans l’arrière pays égyptien. En fait ce mythe est dispersé un peu partout en Afrique et en les reportant sur une carte on pourrait être tenté de tracer une route des migrations qui conduirait à l’arrière pays égyptien.
- Le mythe de Hasan b. Tubba est connu pour être d’origine yéménite. Dans ce mythe il est question d’un conflit ouvert entre les Tasmites et les Jadîs. Les premiers sont pratiquement décimés par les seconds. Riyâh b. Murra un des rares rescapés tasmites se réfugia auprès de Hasan b. Tubba, le roi des Himyarites et lui demanda son aide pour venger les siens. Le subterfuge trouvé fut de cacher les guerriers himyarites derrière des branches d’arbres qui leur permirent d’avancer jusqu’à l’ennemi sans être vus et de les décimer. La sœur de Riyâh, Zarqâ’ al-Yamâma bint Murra, était mariée chez les Jadîs. Grâce à sa vue perçante qui portait sur une distance équivalent à trois jours de marche, elle leur servait d’éclaireur. Certes elle les averti, mais nul ne la crue. Ce mythe est connu des traditions maures qui en ont récupéré les articulations que nous avons rappelées ci-dessus pour les intégrer dans la résistance que les Bafours menèrent à Azûki, dans l’Adrâr mauritanien, face aux Almoravides. Ce mythe est aussi connu des Peuls. Faut-il en déduire une origine yéménite des Peuls, sachant que durant sa période de gloire le pays de Saba englobait aussi bien le Yémen que l’arrière - pays égyptien ? Il n’est pas exclu que les Peuls aient emprunté ce mythe. La chaîne de transmission serait alors la suivante : traditions yéménites - auteurs arabes – traditions maures – traditions peules.
- Le zébu qui compose le cheptel peul a pour origine l’Egypte et son arrière pays (Axum et Nubie).
- Chez les Peuls les nénuphars sont utilisés dans la pharmacopée, dans la cuisine et dans l’esthétique. Leurs mythes d’origine considèrent que les semences de cette plante ont été apportées d’Egypte.
- Le terme de Put est connu des anciens, notamment Ptolémée, Flavius Josèphe (37 – 100) et Pline l’Ancien (23 – 79). Chez F. Josèphe Phuté correspond à la Lybie et à un fleuve sis en Maurétanie. Chez Pline l’Ancien il s’agit d’un cours d’eau sis non loin de l’Atlas. La tentation est grande de considérer ces données de l’onomastique comme autant de jalons des migrations des Pout, avec comme point de départ l’arrière pays égyptien et ce d’autant plus qu’il y’a un silence étourdissant de la Table des Nations sur la postérité de Put et qu’au cœur du monde hellénistique et romain (cf liber genealogus) on finit par considérer que Phut est celui qui a disparu. Des récentes recherches ont révélé l’installation des Peuls dans l’Oued Noun et dans l’Adrâr mauritanien. On sait aussi qu’ils ont séjourné dans d’autres régions sahariennes : Tagant, Tassili, Hoggar, … Avec ces ultimes étapes nous voilà à quelques encablures de l’habitat actuel des Peuls.
Pour autant la prudence doit être de mise. Pour avoir vécu au voisinage des Juifs, dans différentes régions (Oued Noun, Adrâr mauritanien, …) les Peuls leur ont emprunté certains de leurs éléments culturels. Des emprunts non moins importants se sont faits à travers l’Islâm. Les traditionnistes et les lettrés peuls n’ont guère hésité à réécrire leurs mythes et traditions pour y intégrer tous ces éléments.
IDRÎS BA
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
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