Source : L'ARCHE daté de Janvier 2006
Nous republions sous l'aimable autorisation de Meïr Weintrater, Directeur de la Rédaction de la revue L'ARCHE, le média de référence de la communauté juive de France, un article de notre ami et collaborateur Alain Suied. Cette première présence de L'ARCHE sur diasporablogj. inaugure une ère d'échange, articles, auteurs, entre nos deux médias, chaque fois que nous en sentirons la nécessité, de part et d'autre.
Comme nous le faisons parfois pour TRIBUNE JUIVE, nous vous présenterons, aussi régulièrement que possible, la "une" de L'ARCHE avec le détail sur le sommaire.
Bienvenue à L'ARCHE
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Celan :
le voyage en Israël
par Alain Suied
« Paul était heureux : on aurait dit un enfant. » C’est ainsi qu’un de ses amis décrit Celan (1920-1970) en 1969, à la veille de son premier, de son unique voyage en Israël. Une de ses traductrices françaises ira jusqu’à me dire : « Il s’était transformé en une sorte de sioniste mystique ».
Pour le poète de Pavot et Mémoire, que signifiait ce voyage ? Pourquoi ne le réaliser qu’à l’approche de la cinquantaine (et un an avant le tragique suicide à Paris) ? Et surtout, pourquoi ces portraits sans doute hâtifs contredisent-ils l’image habituellement donnée de Paul Celan : un « mélancolique » ou un « être incapable de communiquer » ou encore un « malade aux tendances paranoïaques » ?
Celan est accueilli en Israël par des personnalités sensibles à son génie poétique. Il sait, leur dit-il dans son bref « discours de Tel-Aviv », « ce qu’est la solitude juive » ; mais à l’évidence, ce contact avec la terre ancestrale lui permet de retrouver, durant quelques jours, un échange perdu.
Il rencontre une jeune femme. Il lui adressera, de Paris, une correspondance restée inexpliquablement inédite à ce jour en France.
Quelque chose se rejoue, se ravive, à l’occasion de cet acte symbolique : un voyage vers le passé arraché, vers un deuil impossible. Venir en Israël, à la vérité quotidienne d’un pays imaginé par le père, c’est revenir au rêve sioniste de ce dernier. C’est croire un instant que l’espoir n’a pas été assassiné. C’est aussi comme régler une dette. Comme rendre l’impossible vrai. Mais le « vrai » n’est-il pas de la matière même de l’informulable, de l’impossible à dire ?
Celan approche de la cinquantaine, cette limite, cette frontière de Temps que son père franchit de quelques mois avant de renoncer à vivre, avant de périr d’épuisement moral et physique dans les camps allemands.
L’exil et le divorce, l’obsession du double deuil familial à jamais irréparable ont nourri son œuvre mais dévoré les chances de survivre. Une terre retrouvée, une femme aimée : est-ce l’issue pour celui qui n’a trouvé refuge que dans la langue étrangère ?
En France, les éditions Gallimard – sur l’ordre de Jean Grosjean, assure-t-on – refusent ses poèmes. Mais dans d’autres pays – et depuis longtemps en Allemagne – la reconnaissance se fait jour. Il faut rentrer, retrouver l’exil, continuer l’œuvre en cours. (« J’ai deux recueils en avance », confie-t-il à l’un de ses traducteurs. Il s’agit de ses deux recueils posthumes.)
Le destin est déjà écrit.
L’accueil en Israël est chaleureux. Ne crée-t-on pas un « Comité Celan », dont les travaux et les réunions se poursuivent encore, notamment avec l’aide de son ami d’enfance, le professeur Israël Chalfen (1) ?
Mais le rêve s’éteint. La dette, pourtant « réglée », ne peut, elle, se dissiper… Le prix à payer est ailleurs. L’histoire du siècle et l’histoire personnelle demandent un sacrifice dont plus rien ne viendra déplacer les enjeux.
Pour le poète de Pavot et Mémoire, que signifiait ce voyage ? Pourquoi ne le réaliser qu’à l’approche de la cinquantaine (et un an avant le tragique suicide à Paris) ? Et surtout, pourquoi ces portraits sans doute hâtifs contredisent-ils l’image habituellement donnée de Paul Celan : un « mélancolique » ou un « être incapable de communiquer » ou encore un « malade aux tendances paranoïaques » ?
Celan est accueilli en Israël par des personnalités sensibles à son génie poétique. Il sait, leur dit-il dans son bref « discours de Tel-Aviv », « ce qu’est la solitude juive » ; mais à l’évidence, ce contact avec la terre ancestrale lui permet de retrouver, durant quelques jours, un échange perdu.
Il rencontre une jeune femme. Il lui adressera, de Paris, une correspondance restée inexpliquablement inédite à ce jour en France.
Quelque chose se rejoue, se ravive, à l’occasion de cet acte symbolique : un voyage vers le passé arraché, vers un deuil impossible. Venir en Israël, à la vérité quotidienne d’un pays imaginé par le père, c’est revenir au rêve sioniste de ce dernier. C’est croire un instant que l’espoir n’a pas été assassiné. C’est aussi comme régler une dette. Comme rendre l’impossible vrai. Mais le « vrai » n’est-il pas de la matière même de l’informulable, de l’impossible à dire ?
Celan approche de la cinquantaine, cette limite, cette frontière de Temps que son père franchit de quelques mois avant de renoncer à vivre, avant de périr d’épuisement moral et physique dans les camps allemands.
L’exil et le divorce, l’obsession du double deuil familial à jamais irréparable ont nourri son œuvre mais dévoré les chances de survivre. Une terre retrouvée, une femme aimée : est-ce l’issue pour celui qui n’a trouvé refuge que dans la langue étrangère ?
En France, les éditions Gallimard – sur l’ordre de Jean Grosjean, assure-t-on – refusent ses poèmes. Mais dans d’autres pays – et depuis longtemps en Allemagne – la reconnaissance se fait jour. Il faut rentrer, retrouver l’exil, continuer l’œuvre en cours. (« J’ai deux recueils en avance », confie-t-il à l’un de ses traducteurs. Il s’agit de ses deux recueils posthumes.)
Le destin est déjà écrit.
L’accueil en Israël est chaleureux. Ne crée-t-on pas un « Comité Celan », dont les travaux et les réunions se poursuivent encore, notamment avec l’aide de son ami d’enfance, le professeur Israël Chalfen (1) ?
Mais le rêve s’éteint. La dette, pourtant « réglée », ne peut, elle, se dissiper… Le prix à payer est ailleurs. L’histoire du siècle et l’histoire personnelle demandent un sacrifice dont plus rien ne viendra déplacer les enjeux.
Alain Suied
1. Cf. Paul Celan, Biographie de jeunesse, Plon.
A noter sur votre agenda :
SAMEDI 25 JANVIER 2006
10h
92b, Boulevard du Montparnasse
75014 Paris
Alain Suied participera, aux côtés de Ménie Grégoire, à un hommage au psychanalyste juif, d'origine allemende, Bela Grunburger que lui consacre LA SOCIETE PSYCHANALITIQUE DE PARIS.
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