d'Antoine SPIRE
Antoine SPIRE
Directeur du département Recherches en sciences humaines - Économie du cancerConseiller éditorial au Monde de l'éducation, collaborateur du "Monde" et de "La Vie", éditorialiste à Judaïques FM, Antoine SPIRE a été professeur associé en communication à l'Université de Compiègne U.T.C. et, durant 23 ans, journaliste à France Culture, où il anima de très nombreuses émissions dédiées à des sujets relevant notamment des sciences humaines. Auteur de 17 livres, il a également participé à de nombreux ouvrages de « vulgarisation » réalisés en collaboration avec des intellectuels parmi les plus éminents, notamment Pierre Bourdieu, Jacques Derrida, Georges Steiner, Edgar Morin... Avec le Professeur David KHAYAT, Antoine SPIRE a également publié une série de sept ouvrages articulés autour du thème "Philosophie et Santé" (Éditions du Bord de l’Eau). Son dernier livre (écrit avec N. Martin), "Dieu aime-t-il les malades ? - Les religions monothéistes face à la maladie" (Éd. Anne Carrière), a reçu le grand prix du MEDEC 2005.
Saluons la présence d'Antoine Spire qui a accepté notre invitation à venir nous rejoindre notre équipe et contribuer. D'autres signatures devraient contribuer à la notoriété de diasporablogj. La famille de notre blog s'étoffe. Preuve que diasporablogj affiche peu à peu son sérieux et sa crédibilité. Dans les jours qui viennent nous ferons plus ample connaissance avec deux denos principaux collaborateurs : Alain Suied et Maurice-Ruben Hayoun, des plumes appréciées de bons nombres de nos internautes.
Bernard Koch
ISRAEL ET MAHMOUD ABBAS
(Ce texte est publié ce mois-ci dans TENOUA, la revue trimestrielle du Mouvement des Juifs Libéraux de France présidé par le Rabbin Daniel Fahri)
5765 année Sharon,766 sera-t-elle l'année Mahmoud Abbas ?
L'évacuation unilatérale de la Bande de Gaza et du nord de la Samarie des localités juives constitue une formidable victoire pour l'Etat d'Israël et pour son premier ministre Ariel Sharon.
Que n'avait-on pas dit sur le drame qui allait se dérouler et qui menaçait Israël de guerre civile. Des milliers de soldats allaient désobéir. Certains députés avaient prévenu qu'ils ne partiraient du Goush Katif que dans un cercueil, et nombreux furent les religieux orthodoxes et leurs rabbins à prédire un miracle qui allait permettre aux colons et à leurs familles de rester sur place. Mais grâce à l'esprit de responsabilité de la quasi totalité des Israéliens, les violences redoutées n'ont pas eu lieu. Si le concert des nations semble avoir félicité Ariel Sharon pour "sa fermeté et son courage", il ne faut pas sous-estimer les difficultés qu'il a dû surmonter.
L'opposition était forte parmi les colons, parmi l'aile droite de la société israélienne, mais aussi parmi la communauté ultra orthodoxe qui, dans son ensemble, s'est alignée sur les positions des religieux nationalistes. On a pu se demander de quelle nature furent les forces qui ont rassemblé le rabbin Ovadia Yossef, qui avait applaudi aux accords d'Oslo, le rabbin Yossef Elyashiv, l'un des grands juges de la communauté orthodoxe, et le rabbin des colons, Mordekhaï Eliyahou. Dans un article diffusé par" La paix maintenant", Yossi Elituv, rédacteur en chef du magazine Pour la famille, semble expliquer cette alliance contre nature par l'identification victimaire des religieux à la droite dès que les conflits deviennent ouverts ; mais aussi par le fait que les ultra-orthodoxes ont été choqués par l'indifférence des bourgeois israéliens face aux souffrances des colons. Peut-être ces extrémistes religieux vont-ils même jusqu'à s'identifier aux colons en se demandant ce qui leur arrivera le jour où le conflit israélo-palestinien ne sera plus à l'ordre du jour et où il s'ensuivra une bataille autour de l'identité juive qui imposera à la minorité ultra-orthodoxe d'affronter la nation toute entière.
D'autre part, tout n'a pas été parfait dans ce processus si on se place du côté de ceux qui en ont été les principales victimes. Le président Moshé Katsav a même déclaré qu'une grande partie des revendications et des plaintes des habitants évacués de la Bande de Gaza et du nord de Samarie à l'encontre de l'administration en charge des aspects civils du désengagement étaient fondés, et il a appelé le gouvernement à prendre ses responsabilités. Evidemment, on ne peut pas passer non plus sous silence les attentats terroristes d'un colon juif et d'un soldat déserteur contre une population palestinienne civile qui sont la trace laissée par quelques irréductibles animés d'une passion qu'il faut bien qualifier d'anti-arabe. Mais comment ne pas constater qu'Israël s'était lancé dans une aventure dangereuse et irréaliste en installant des colons à Gaza et que la confrontation entre une minorité de citoyens qui croyaient continuer la grande histoire des pionniers de 1948 et une armée qui heureusement appréhendait un possible conflit, s'est déroulée sans trop de heurts. Comme l'a expliqué le romancier David Grossmann, on peut difficilement éviter de regretter que cette énorme énergie - qui aurait pu accomplir tant de choses si elle avait été investie ailleurs dans le réel et non dans l'illusoire - ait été gaspillée. Quel juif peut ignorer la douleur de ceux qui vont porter longtemps les cicatrices de ce déménagement brutal que naïvement ils n'avaient pas vu venir ?
Mais il faut aussi songer à ce million et demi de Palestiniens dont la vie a été un enfer pendant des années et qui se demandent ce qu'ils vont pouvoir construire sur cette terre qui leur est enfin rendue. Ici commence la responsabilité de Mahmoud Abbas et de son gouvernement. N'attachons pas trop d'importance aux cris de victoire de ces extrémistes palestiniens qui vont défiler dans les rues en criant que l'évacuation des Israéliens de Gaza est le fruit de leur inlassable combat. On est habitué à ce genre de proclamation ritualisée sans fondement. Mais elles sont pourtant le signe de ce que certains Palestiniens ont aussi de grandes difficultés à affronter le réel et restent coincés dans un imaginaire trompeur. Un spot de publicité tourne en boucle sur les radios de la Bande de Gaza : "Ne transformons pas notre victoire en émeute. Respectons les consignes du ministère de l'Intérieur." Mahmoud Abbas ne va pas seulement devoir affronter les élections difficiles où le Hamas risque de progresser surtout du fait de sa politique de proximité par rapport aux habitants les plus démunis de la rue palestinienne. Il faut qu'il donne aussi au monde des preuves de son engagement résolu contre toute activité terroriste qui handicaperait une solution négociée pour l'avenir. Il dispose heureusement à Gaza d'un ministre réaliste dont les capacités organisatrices et la lucidité sont exemplaires. C'est sur les épaules de Mohamed Dahlan, le ministre des Affaires civiles, que repose une bonne partie de l'avenir de Gaza. Si tout un chacun reconnaît que Dahlan a les moyens de réussir le retrait du point de vue palestinien, on se demande ce que sera l'avenir de Gaza ? Cinq hommes d'affaires sont prêts à profiter des marchés juteux qui émergent dans le sillage du retrait. Dahlan saura-t-il moraliser ce renouveau économique ? Et par là même empêcher la corruption d'enfler au profit des mêmes ? Mais 5766 pour être l'année de Mahmoud Abbas devrait surtout être l'année de la naissance d'un Etat palestinien dont les frontières seraient négociées.
Le premier Palestinien saura-t-il accepter un compromis provisoire qui lui laisserait un Etat pour lequel les frontières de 1967 ne sont pas encore acquises ? Saura-t-il convaincre Sharon de laisser une possibilité de circulation libre entre Gaza et la Cisjordanie palestinienne, de signer les accords qui laissent ouverte la question brûlante de Jérusalem et permettent que progressivement on revienne aux tracés de 1967 ?
Autant de questions qui se posent à un homme, à un gouvernement dont la puissance est pour le moins sujette à caution. Mais Israël a-t-il d'autres solutions que d'aider au renforcement de ce gouvernement-là ?
L'évacuation unilatérale de la Bande de Gaza et du nord de la Samarie des localités juives constitue une formidable victoire pour l'Etat d'Israël et pour son premier ministre Ariel Sharon.
Que n'avait-on pas dit sur le drame qui allait se dérouler et qui menaçait Israël de guerre civile. Des milliers de soldats allaient désobéir. Certains députés avaient prévenu qu'ils ne partiraient du Goush Katif que dans un cercueil, et nombreux furent les religieux orthodoxes et leurs rabbins à prédire un miracle qui allait permettre aux colons et à leurs familles de rester sur place. Mais grâce à l'esprit de responsabilité de la quasi totalité des Israéliens, les violences redoutées n'ont pas eu lieu. Si le concert des nations semble avoir félicité Ariel Sharon pour "sa fermeté et son courage", il ne faut pas sous-estimer les difficultés qu'il a dû surmonter.
L'opposition était forte parmi les colons, parmi l'aile droite de la société israélienne, mais aussi parmi la communauté ultra orthodoxe qui, dans son ensemble, s'est alignée sur les positions des religieux nationalistes. On a pu se demander de quelle nature furent les forces qui ont rassemblé le rabbin Ovadia Yossef, qui avait applaudi aux accords d'Oslo, le rabbin Yossef Elyashiv, l'un des grands juges de la communauté orthodoxe, et le rabbin des colons, Mordekhaï Eliyahou. Dans un article diffusé par" La paix maintenant", Yossi Elituv, rédacteur en chef du magazine Pour la famille, semble expliquer cette alliance contre nature par l'identification victimaire des religieux à la droite dès que les conflits deviennent ouverts ; mais aussi par le fait que les ultra-orthodoxes ont été choqués par l'indifférence des bourgeois israéliens face aux souffrances des colons. Peut-être ces extrémistes religieux vont-ils même jusqu'à s'identifier aux colons en se demandant ce qui leur arrivera le jour où le conflit israélo-palestinien ne sera plus à l'ordre du jour et où il s'ensuivra une bataille autour de l'identité juive qui imposera à la minorité ultra-orthodoxe d'affronter la nation toute entière.
D'autre part, tout n'a pas été parfait dans ce processus si on se place du côté de ceux qui en ont été les principales victimes. Le président Moshé Katsav a même déclaré qu'une grande partie des revendications et des plaintes des habitants évacués de la Bande de Gaza et du nord de Samarie à l'encontre de l'administration en charge des aspects civils du désengagement étaient fondés, et il a appelé le gouvernement à prendre ses responsabilités. Evidemment, on ne peut pas passer non plus sous silence les attentats terroristes d'un colon juif et d'un soldat déserteur contre une population palestinienne civile qui sont la trace laissée par quelques irréductibles animés d'une passion qu'il faut bien qualifier d'anti-arabe. Mais comment ne pas constater qu'Israël s'était lancé dans une aventure dangereuse et irréaliste en installant des colons à Gaza et que la confrontation entre une minorité de citoyens qui croyaient continuer la grande histoire des pionniers de 1948 et une armée qui heureusement appréhendait un possible conflit, s'est déroulée sans trop de heurts. Comme l'a expliqué le romancier David Grossmann, on peut difficilement éviter de regretter que cette énorme énergie - qui aurait pu accomplir tant de choses si elle avait été investie ailleurs dans le réel et non dans l'illusoire - ait été gaspillée. Quel juif peut ignorer la douleur de ceux qui vont porter longtemps les cicatrices de ce déménagement brutal que naïvement ils n'avaient pas vu venir ?
Mais il faut aussi songer à ce million et demi de Palestiniens dont la vie a été un enfer pendant des années et qui se demandent ce qu'ils vont pouvoir construire sur cette terre qui leur est enfin rendue. Ici commence la responsabilité de Mahmoud Abbas et de son gouvernement. N'attachons pas trop d'importance aux cris de victoire de ces extrémistes palestiniens qui vont défiler dans les rues en criant que l'évacuation des Israéliens de Gaza est le fruit de leur inlassable combat. On est habitué à ce genre de proclamation ritualisée sans fondement. Mais elles sont pourtant le signe de ce que certains Palestiniens ont aussi de grandes difficultés à affronter le réel et restent coincés dans un imaginaire trompeur. Un spot de publicité tourne en boucle sur les radios de la Bande de Gaza : "Ne transformons pas notre victoire en émeute. Respectons les consignes du ministère de l'Intérieur." Mahmoud Abbas ne va pas seulement devoir affronter les élections difficiles où le Hamas risque de progresser surtout du fait de sa politique de proximité par rapport aux habitants les plus démunis de la rue palestinienne. Il faut qu'il donne aussi au monde des preuves de son engagement résolu contre toute activité terroriste qui handicaperait une solution négociée pour l'avenir. Il dispose heureusement à Gaza d'un ministre réaliste dont les capacités organisatrices et la lucidité sont exemplaires. C'est sur les épaules de Mohamed Dahlan, le ministre des Affaires civiles, que repose une bonne partie de l'avenir de Gaza. Si tout un chacun reconnaît que Dahlan a les moyens de réussir le retrait du point de vue palestinien, on se demande ce que sera l'avenir de Gaza ? Cinq hommes d'affaires sont prêts à profiter des marchés juteux qui émergent dans le sillage du retrait. Dahlan saura-t-il moraliser ce renouveau économique ? Et par là même empêcher la corruption d'enfler au profit des mêmes ? Mais 5766 pour être l'année de Mahmoud Abbas devrait surtout être l'année de la naissance d'un Etat palestinien dont les frontières seraient négociées.
Le premier Palestinien saura-t-il accepter un compromis provisoire qui lui laisserait un Etat pour lequel les frontières de 1967 ne sont pas encore acquises ? Saura-t-il convaincre Sharon de laisser une possibilité de circulation libre entre Gaza et la Cisjordanie palestinienne, de signer les accords qui laissent ouverte la question brûlante de Jérusalem et permettent que progressivement on revienne aux tracés de 1967 ?
Autant de questions qui se posent à un homme, à un gouvernement dont la puissance est pour le moins sujette à caution. Mais Israël a-t-il d'autres solutions que d'aider au renforcement de ce gouvernement-là ?
Antoine Spire
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