ASKO/
WEIL-RAYNAL
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Source : huffingtonpost.fr en ligne le mardi 30 avril 2013
Mon ami Clément (le fusillé du mur des cons)
J'ai bien connu Clément Weill Raynal, au début de ma vie d'adulte, dans notre école de journalistes à Paris. Il était drôle et détestait la gauche. Ca le rendait différent, dans nos consensus progressistes, et en faisait, nous l'ignorions alors, une sorte de précurseur. Ce qu'on raconte de nos jours chez Causeur et Atlantico, ce que déversent désormais MM. Zemmour, Rioufol, Finkielkraut (quand il cesse d'être frémissant d'intelligence) ou Mlle Lévy -que la gauche est hypocrite, odieuse d'arrogance et mollement liberticide- Clément le disait déjà en 1983. Il se piquait même, pour nous épater, d'être à la coule avec un responsable du FN, le jour où le terrible Le Pen était venu à l'école subir la question des indignés que nous étions.
Clément était bon camarade, et nous (le corps majoritaire d'une génération placidement gaucho-rocardienne) ne prenions pas cela au tragique. Il expliquait aussi (pour les intimes, ceux qui pourraient entendre) que sa déviance venait de plus loin, et que ses inquiétudes juives rencontraient ses ironies françaises: le temps était venu, disait-il, où les gauches cesseraient d'être les amies et protectrices des juifs (il venait d'une famille israelite classiquement SFIO) pour devenir les ennemies d'Israel et de son peuple. Le conflit du Proche Orient et le tiers-mondisme effaçaient l'affaire Dreyfus, et lui, Clément, en tirerait les conséquences: la droite était désormais le seul possible. Il racontait cela d'une voix impérieuse et pressée, sans qu'on puisse le contredire ou le modérer.
J'ai retrouvé, cette nuit (le 29 avril), en visionnant le Grand journal où il était invité, ce ton de Clément de mes 20 ans, à la fois habile et loustic et fâché, de fausse naïveté et de convaincue mauvaise foi. Cette histoire de Mur des Cons lui ressemble. Il montait, ainsi, des coups malins et pendables en gambadant, faisant mine de n'y pas toucher mais sachant où il allait. La nostalgie me porte à l'indulgence? Nous étions très proches, jeunes, nous aimant et nous engueulant beaucoup, rendant intenable pour nos épouses et nos amis les dîners de familles, puis nous nous sommes éloignés, moi surtout, quand ses promenades politiques m'ont vraiment ennuyé.
Clément, homme heureux et bon journaliste, est aussi devenu un adulte idéologue, faux et brillant à la fois, un de ceux qui auront participé au basculement à l'extrême de quelques débats qui m'importent. Cela ne s'est pas tant joué en France que sur le conflit du Proche-Orient. L'affaire "Mohamed Al-Dura", où Clément a rejoint le camp de l'odieux, a été un éloignement parmi tant d'autres, le plus étrange sans doute. Il n'y a pas eu de dispute -quelquefois dans des débats publics- mais un constat de séparation: ce que la vie nous offre de regrets.
Dans un premier temps, avant que Clément n'entre en scène, cette histoire de mur des cons m'a juste déprimé, comme une nouvelle déclinaison des bavardages français. Tiens donc, le Syndicat de la Magistrature, pénétré de sa rectitude morale, se fait plaisir en fustigeant ses cons sur un mur de son repaire? La belle affaire! Nonobstant le vocabulaire, certaines cibles pouvaient se discuter. Un ministre plaisantant sur les arabes et les auvergnats a fait plus de tort à la République que tous les murs et tous les juges de Paris. Qu'importe: il faut vraiment être un tout petit pays décadent, une province de ploucs du débat public, pour attacher de l'importance à des gloussements de syndicalistes...
C'est arrivé pourtant: la droite éruptive, criant à la "Liste noire", et se posant en persécutée des juges, flanquée de ses beuglards de plume et d'internet, demandant bientôt l'interdiction même des syndicats de juges, était risible d'outrance et bientôt dangereuse de manipulation. Mais la réponse du Syndicat de la magistrature était écoeurante de bonne conscience et d'inhumanité. Que Madame Martres, présidente du SM, soit incapable de ce simple mot, "pardon", quand ses camarades épinglent en "cons" deux pères de jeunes femmes assassinées, mais explique que leurs "idées" méritaient le châtiment, fait d'elle une pauvre personne.
Là-dessus, Clément est arrivé, repéré par Libération, balancé en fait par son cameraman dit-il, et cette histoire m'est devenue personnelle, me faisant hésiter entre la colère et l'amusement. Clément encore, décidément devenu idiot d'idéologie, construisant donc, en faux cul, une parodie de déstalinisation! Ou Clément sale gosse, comme avant, provoquant et poussant à la faute aussi bien cette gauche qu'il déteste que cette droite qui le soutient? Les deux mon capitaine, évidemment. Mon ci-devant poteau avait révélé un morceau de France à lui-même, au-delà de ses espérances.
J'ai préféré l'amitié quand les censeurs se sont levés, l'armée plénière des poitrines creuses qui allaient réclamer sa tête, mélangeant tout et de manière pas nette, moralistes auto-proclamés et boutiquiers en déontologie, et jusqu'à ce syndicaliste SNJ-CGT de France 3, Joy Banerjee, dont j'ai quelquefois rencontré des clones dans des réadactions, salissant et bavant, imbus de leurs statuts d'inexpugnables; celui-là s'interrogeait en Fouquier-Tinville de machine à café: "Que compte faire la direction pour que Clément Weill-Raynal soit puni en fonction des règles enfreintes?" Un syndicaliste en appelant au patron pour dégager un salarié? Clément avait réussi son coup, s'il avait voulu me prouver qu'une saloperie de gauche vaudra toujours bien une connerie de droite.
La vie a passé sur nous. Nous ne redeviendrons pas complices, sauf à ne jamais parler de ce qui fâche, et il y a tant. Mais l'espace d'une espièglerie et de ce qu'elle a provoqué, Clément m'a rafraichi la mémoire, et a marqué un point dans ce qu'étaient nos disputes. J'ai été inquiet pour lui, un instant, l'imaginant devenir chômeur par la crétinerie ou la méchanceté des autres -je connais ça. Mais depuis le Grand journal et son demi-quart d'heure warholien, je me rassure; Clément a su, chez Denisot, mimer l'innocence de Tintin ("Je ne suis qu'un pauvre chroniqueur judiciaire") et lancer des slogans UMPistes ("j'ai découvert quelque chose de gravissime qui jette le discrédit sur l'ensemble de la justice française"). Il est désormais figure emblématique des droites dolentes et pourtant en marche, victime et puis héros, il pourra s'il le faut toucher les dividendes des bavardages, demain, et faire commerce de sa réaction, tel un Zemmour en plus frais, le système est ainsi fait. Je le suppose, jusque dans sa folie, plus sincère que cela.
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