LACELEBRATION
NATIONALE
DUNECRIVAINCOLLABO
ANNULEE
POINTDEVUE
Source : lesinrocks.com en ligne le 22 janvier
Céline ou
le paradoxe de la commémoration
Allez, la France n’est pas avare. Ni de sa gloire, ni de sa mémoire. Sachons la brader, comme on peut brader le reste. Il y en aura toujours qui la ramasseront. Céline. Oui, Céline ! Si l’oubli pouvait nous le prendre, ce triste machin, on lui refilerait bien, on est même prêt à le payer pour qu’il nous le prenne ! Qu’il nous foute la paix ce vieux démon avec ses oripeaux de génie. Il porte à lui tout seul tous les arrière-mondes de la collaboration. Il est mort aigri, plus antisémite que jamais. Il est mort comme il a vécu en somme, en pourriture. Et pourquoi commémorer la pourriture ? Voilà les termes du débat. Avec tout le respect que nous avons pour Serge Klarsfeld, c’est un peu court.
Un type détestable, Céline. Même les Allemands n’en ont pas voulu, ou si peu. Trop dans l’excès, qu’ils le trouvaient, les nazis. Un solitaire, un incontrôlable, alors l’occupant l’a laissé à ses lubies. Certains se sont vautrés à Weimar, ces belles plumes des Lettres françaises pressées de plaire à la botte qui écrasait leur gueule, dans un fameux voyage : »Le train de la honte », dira-ton plus tard. C’est Goebbels qui invitait. Céline n’a jamais reçu de carton. Ils ont même réussi à le vexer, en supprimant de l’exposition »Le juif et la France » ses infâmes pamphlets Bagatelle pour un massacre et L’école des cadavres. Trop plein ‘‘d’obscénités » et »hystériques » selon les commissaires. Il aurait »gâché » l’expo.
Et quand on amnistiait à grosses louches après une brève et magnanime épuration du monde intellectuel pour faire oublier qu’on n’avait pas toujours été chagrin de les voir à la maison, les Allemands, lui on le laissa croupir dans son exil. Sigmaringen dès octobre 1944, ça vous estampille collaborationniste à vie un truc comme ça… Pourtant, sans minimiser, il faisait pas parti du gratin. Médecin des petites gens c’était ça son quotidien…Pour autant pas joli joli sur le CV… Cinq ans les Danois l’ont gardé, avant de nous le rendre. Sale année que cette année 50. »Indignité nationale », voilà pour la douloureuse de la justice, sans compter cette petite année au frais en 1946. Il continua à publier dans cette période, plus prolixe que jamais, dont l’immense Guignol’s band, 1 & 2. Et puis un tribunal militaire l’a amnistié, avril 51. Si on pouvait en rester là.
Il a tué qui, Céline ? Il hésitait pas sur les certificats de complaisance pour échapper au STO le docteur Destouches… Les résistants qui vivaient dans son immeuble, il savait foutrement ce qu’ils bidouillaient, ces lascars. Et quitte à avoir un voisin collabo, ces héros ont tiré le bon numéro. La vieille carne qu’ils croisaient tous les jours ne transmit jamais de message à la Gestapo. Car il s’en foutait des »messages », Céline, il a toujours refusé d’être ce genre de type, un »homme à message », un intellectuel. Il les méprisait trop.
Pourtant il en a laissé un, de message, à la postérité. Tout en paradoxes. Un message bien ambivalent, qui colle aux doigts. La France a collaboré, et plus que l’ennemi l’exigeait d’ailleurs ! Comme lui. La France a été antisémite, vraiment antisémite ! Comme lui. Lui, tendance racisme biologique…odeurs nauséabondes… L’excès, encore et toujours… En 1946, il ira même jusqu’à écrire que les juifs devraient lui ériger une statue pour le mal qu’il ne leur a pas fait et qu’il pouvait leur faire… dans le texte… ah la provocation il aimait ça »le vieillard clochard dans la merde’‘. Pas fou, il tentera de jouer par la suite profil bas… Ce qui n’excuse rien…
C’est ça qu’il faudrait oublier ? Que folie, haine et génie fassent parfois bon ménage dans la tête d’un homme ? Surtout dans les périodes où la morale qui fait les civilisations s’effondre ? Ou il faudrait oublier qu’on pouvait être profondément patriote et collabo, pacifiste et engagé volontaire, détester les juifs et avoir toujours rejeté la solution finale, être raciste et soucieux des pauvres, n’apprécier les Allemands qu’en regard des soviétiques et de son obsession de la décadence française ?
Ne différencions pas l’homme et ses écrits, ses pamphlets et ses romans. Il pose problème et continue de susciter un gros malaise chez le lecteur lambda sinon chez l’exégète ? C’est très bien, ces problèmes sont un défi pour la mémoire et l’histoire. Il est évident qu’on est plus à l’aise avec des parangons de la collaboration intellectuelle tels Pierre Drieu La Rochelle ou Robert Brasillach. A l’aune du géant des lettres françaises leurs talents littéraires semblent minimes. Ainsi l’embarras est moindre et la bien-pensance peut s’exprimer à loisir. Surtout ils ont »assumé » leurs erreurs et n’ont pas choisi la fuite. Drieu, dans un élan de fierté ostentatoire et autodestructeur, n’a-t-il pas écrit :
»Soyez fidèles à l’orgueil de la résistance comme je suis fidèle à l’orgueil de la Collaboration. Ne trichez pas plus que je ne triche. Condamnez-moi à la peine capitale. [...] Oui, je suis un traître. Oui, j’ai été d’intelligence avec l’ennemi. J’ai apporté l’intelligence française à l’ennemi. Ce n’est pas ma faute si l’ennemi n’a pas été intelligent. »
Il se donna la mort le 16 mars 1945. Robert Brasillach est condamné à mort et exécuté le 6 février 1945 au terme d’un procès qui divisera les écrivains de la Résistance. Céline n’a pas endossé ses responsabilités. Il n’a pas »payé » pour son engagement. Pire, il a cherché à minimiser ses fautes sans jamais se repentir. Il demeure ce marginal qui souhaite provoquer, choquer et continue d’aborder les problèmes collectifs sous l’angle individuel. Il reste également ce raciste maladif qui ne se tait pas lors de l’Occupation. C’est ça, ce dont nous devons nous rappeler, en plus de redécouvrir son oeuvre, pour ne pas se priver du plaisir de lire ce maestro du verbe, de la révolution syntaxique, cet auteur qui nageait le crawl quand tous les autres étaient à la brasse.
Que certains veuillent sa disparition, il restera. Car les génies traversent les siècles, et pas de bol, lui en était un. Et c’est tant pis … ou tant mieux. Il y en aura encore des millions, des ados comme nous fûmes, à être saisis de vertiges à la première lecture de Voyage. Et l’histoire sans mémoire comme la mémoire sans l’histoire, messieurs les prudes de la commémoration, ça ressemble à quoi ? A une Ministre des Affaires étrangères qui se prend pour un caporal de la Coloniale cinquante ans après la décolonisation ?
Michaël Rolland, agrégé d’histoire auteur d’un mémoire de recherche sur Céline et la collaboration (2003), et Renaud Chenu, journaliste, auteur de Porcus Soviéticus et de 18 mois chrono avec Paul Quilès et Marie-Noëlle Lienemann
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