LECINEMAISRAELIEN
AUSOMMET
DESAGLOIRE
Source : lemonde.fr en ligne le 11 septembre
L'étonnante embellie
du cinéma israélien,
par Jacques Mandelbaum
Un boucher ultraorthodoxe de Jérusalem, marié et père de famille, se prend d'une passion irrépressible pour un jeune et bel étudiant d'une école talmudique. Qui aurait l'idée de faire de cette délicate affaire, possiblement scabreuse et blasphématoire, le sujet d'un film qui se révèle in fine aussi subtil que courageux ? La réponse est sur les écrans français depuis le 2 septembre : Haïm Tabakman, qui signe avec Tu n'aimeras point son premier long métrage. C'est de fait le sixième film israélien, aussi percutant et remarquable que les précédents, qui sort en France depuis le début 2009. Cette fréquence a priori extravagante, s'agissant d'un pays et d'une cinématographie de modestes dimensions, s'ajoute à une exposition et à une densité désormais régulières depuis quelques années.
Longtemps réduit sur la scène internationale à la divulgation de quelques oeuvres solitaires et exotiques, puis durablement représenté par le seul Amos Gitaï, le cinéma d'auteur israélien a subitement explosé à la mi-temps des années 2000, sous l'impulsion d'une nouvelle génération de cinéastes. En vertu de la richesse de ses talents, de l'acuité politique de son regard, mais aussi de la diversité des genres qui s'y expriment (de la comédie au film de guerre, de l'essai au mélodrame, du dessin animé au documentaire). Sur la carte des cinématographies émergentes (Amérique latine, Asie du Sud-Est, Roumanie), pas une ne parvient, sur ce dernier point du moins, à une telle occupation du terrain.
Quelle est la raison de cette étonnante embellie ? Une volonté de politique culturelle d'abord, qui se donne les moyens structurels de ses ambitions. Depuis 2000, l'accroissement de l'aide publique accordée au cinéma a fait passer la production annuelle de moins de dix à une vingtaine de longs métrages et la part de marché national du quasi-néant à plus de 10 %.
Autre axe important : le développement des coproductions, majoritairement européennes, qui financent désormais un tiers de la production cinématographique locale. Depuis 2001, date à laquelle un accord a été signé entre les deux pays, la France est ainsi devenue le partenaire privilégié du cinéma israélien, avec une trentaine de films soutenus, soit deux fois plus que l'Allemagne pour la même période. Ces films montés avec des producteurs français et avec l'appui de chaînes de télévision comme Arte trouvent logiquement le chemin des salles hexagonales, contribuant ainsi à ce sentiment de réussite qui n'est pas à ce point observable dans d'autres pays.
Reste que cette implication de l'Etat, conjuguée à la dynamique de coproduction et à l'onction symbolique de grands festivals, à commencer par celui de Cannes où la présence israélienne est devenue chose courante, ont créé un indéniable cercle vertueux. En termes économiques, sans doute : la comédie douce-amère La Visite de la fanfare, d'Eran Kolirin, et le film d'animation Valse avec Bachir, d'Ari Folman (respectivement coproduits en France par Sophie Dulac et Serge Lalou), pour citer les cas les plus flagrants, ont été des succès internationaux et ont attiré chacun plus de 300 000 et 400 000 spectateurs en France.
Mais plus encore en termes artistiques, tant ces films ménagent avec brio la recherche formelle et l'acuité du regard critique porté sur les vicissitudes sociales et politiques d'Israël. De Kippour (2000), d'Amos Gitaï, à à Z 32 (2009), d'Avi Mograbi, en passant par Mariage tardif (2001), de Dover Kosashvili, Mon trésor (2004), de Keren Yedaya, Avanim (2004), de Raphaël Nadjari, Beaufort (2008), de Joseph Cedar, ou My Father My Lord (2008), de David Volach, le nuancier esthétique est d'une grande richesse. Comme le spectre des questions abordées, qu'il s'agisse du traumatisme ou du crime de guerre, de l'aliénation des femmes, de la marginalisation ethnique ou de l'intégrisme religieux.
On pourrait craindre que ce foisonnement d'une critique essentiellement consacrée aux maux internes de la société occulte le conflit israélo-palestinien. Ce serait faire peu de cas de la dénonciation de la violence endémique de la société israélienne, et partant de son usage généralisé, à laquelle se livrent ces films. Des oeuvres comme Les Citronniers (2007), d'Eran Riklis, Jaffa (2009), de Keren Yedaya, ou Ajami (2009), électrisant polar politique cosigné par Scandar Copti et Yaron Shani dont on attend la sortie en France, réfutent ce soupçon en abordant frontalement la question. La seule filmographie d'Avi Mograbi, qui stigmatise depuis plus de dix ans, sourire aux lèvres et rage au coeur, le désastre de la politique israélienne, le réduit à néant.
Il reste un troublant paradoxe : la vigueur démocratique et le courage politique dont témoigne ce cinéma majoritairement soutenu par l'Etat, rapportés à la crispation de la société réelle et du gouvernement qui la représente. Deux leçons peuvent en être tirées. D'abord, l'éclatement d'une société, naguère soudée par l'idéal sioniste, en communautés antagonistes. Ensuite, l'intelligence d'un pouvoir qui, en vertu de la guerre symbolique des images qui fait rage dans cette région, prend le risque de soutenir la liberté et l'ambition d'un cinéma dont la reconnaissance sera aussi portée à son crédit.
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