VERDICT
DESASSASSINS
DILANHALIMI
Source : liberation.fr en ligne le 3 août
Pas en mon nom
Par VANESSA RATIGNIER
journaliste
Lu la semaine dernière dans le Nouvel Obs : Me Francis Szpiner, pénaliste de renom qui représente la famille Halimi dans le procès Fofana, qualifie Philippe Bilger, l’avocat général, de «traître héréditaire». J’ai du mal comprendre. Alors, je relis. Et je m’étrangle. Une seconde fois.
La première fois, c’était en découvrant l’interview accordée à Mediapart le 17 juillet par Richard Prasquier, président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Répondant à une question sur le «passé trouble» du père de Philippe Bilger, Richard Prasquier répondait qu’il ne voulait pas «s’exprimer sur [son] passé collaborationniste». Et déjà, lecture et relecture. Richard Prasquier aurait pu s’indigner, refuser de s’engager sur ce terrain-là et centrer sa réponse sur les réels enjeux de l’affaire. Mais non. Il a choisi cette réponse. Dire une telle chose, quand bien même il précise ne pas vouloir en parler, c’est déjà le faire.
Je m’étais alors réjouie que personne n’ait relayé ces propos. Je m’en étais réjouie, et en même temps j’en étais désolée. Personne n’avait réagi. Comme si ça n’avait rien de choquant. Pourtant, de si viles attaques ont de quoi scandaliser. Depuis quand les fils doivent-ils expier les fautes de leur père ?
Richard Prasquier, pourtant, n’est pas n’importe qui. C’est le président du Crif. Celui dont la voix est présentée, dans la société civile, comme celle de la communauté juive de France. C’est dire si sa voix porte ! N’est-il pas, aux yeux de la majorité des Français, celui qui parle au nom de tous les Juifs de France ? Comme si, dans cette communauté mieux que dans toute autre, tous se rangeaient comme un seul homme derrière les opinions d’un seul.
Non, la communauté juive de France n’est pas aussi homogène que certains le laissent penser. Et en tant que Française juive, je ne peux tolérer que de tels propos soient prononcés en mon nom.
Déjà, en décembre 2008, quand j’avais entendu Richard Prasquier affirmer que «95 % de la communauté juive de France [était] en accord avec la politique d’Israël et avec ce [qu’entreprenait] son armée», j’avais bondi. Ainsi donc, contrairement à mes convictions, je soutenais la guerre menée contre Gaza ? Enfin, guerre, lui-même n’osait prononcer le mot. Pourtant, c’est bien de cela dont il s’agissait. Une guerre préparée depuis plusieurs mois. On s’appropriait ma voix. Pourtant, je n’ai pas bougé.
J’ai à nouveau tressailli quand, il y a quinze jours, Richard Prasquier affirmait que «le Crif [attendait] le verdict [dans le procès Fofana] avec inquiétude», redoutant «l’absence d’exemplarité dans les peines requises envers les inculpés». Il a d’ailleurs écrit à Michelle Alliot-Marie, ministre de la Justice, pour s’étonner du réquisitoire de Philippe Bilger, qualifié d’«indulgent». Les condamnations n’étaient pas encore connues que, déjà, le Crif semblait affirmer à mots couverts qu’il demanderait à la Chancellerie de faire appel. Ce qu’il n’a pas manqué de faire, à l’instar de Me Szpiner, une fois le verdict prononcé.
Pourquoi ? Parce que les peines auraient été «minorées» et que certaines d’entre elles sont inférieures à celles requises par l’avocat général. Cela arrive souvent, et la Chancellerie n’a pas pour coutume de faire appel pour cette seule raison. Tout s’y opposait, d’ailleurs. Philippe Bilger, avocat général et à ce titre défenseur des intérêts de la société, avait reconnu que le verdict «était tout sauf indulgent», et que «les débats et l’arrêt rendu ont été exemplaires».
Mais la vraie raison de cette demande d’appel réside ailleurs. Richard Prasquier ne s’en cache pas : «la publicité des débats pour ce type de procès, c’est tout le sens de ma demande». Ce faisant, le président du Crif - comme Me Szpiner - met en cause l’un des fondements de notre droit. Celui du huis clos. Ce terme désigne la protection accordée à tout accusé mineur à l’époque des faits. Pourquoi ? Parce que la société considère qu’un mineur est un individu en construction, par essence réadaptable et qu’il doit commencer sa vie d’adulte sans que le poids de ses actes, si horribles soient-ils, ne leste ses premiers pas de citoyen en devenir. Parce qu’il est «nécessaire de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci», pour reprendre les termes de la convention internationale des droits de l’enfant.
Peu de choses, si l’on en croit Richard Prasquier. Pour lui, «le huis clos est une anomalie obsolète de notre droit dans ce type de procès». Comprendre : le procès s’étant déroulé sans public, il n’aurait pas suffisamment sensibilisé la société sur la persistance de l’antisémitisme dans certains esprits nécrosés, sur la violence et la barbarie à laquelle il peut conduire. Je dis bien certains esprits car, comme le rappelle Richard Prasquier dans Le Figaro, «la France n’est pas un pays antisémite».
Soyons honnêtes. Ce n’est pas parce que le procès se tient à huis clos que le secret dissimule la gravité du crime commis, et l’atrocité de son mobile. Certes, le huis clos interdit à toute personne désireuse de suivre les débats d’y assister, et complique la diffusion de comptes rendus objectifs. Mais le huis clos n’a jamais eu pour conséquence de boycotter le débat au sein de la société. Bien au contraire, il l’alimente et ouvre même la voie à la polémique. Ce qui n’a pas échappé au président du Crif. Mais la brèche dans laquelle il s’est engouffré ne risque-t-elle pas de déboucher, au final, sur la remise en cause d’un équilibre bien précaire ?
Les voix du Crif et de Me Szpiner, auxquelles s’est jointe celle de SOS-Racisme, ont porté. Sortant du Conseil des ministres, sur le perron de l’Elysée, la garde des Sceaux a enjoint au Parquet de faire appel des condamnations inférieures aux réquisitions de l’avocat général.
Et maintenant ? Que répondre à ceux qui vont dire, «vous voyez bien qu’ils sont puissants, les Juifs, ils n’ont qu’à demander et ils obtiennent» ? Comment déconstruire le discours de ceux qui vont trouver ici un argument supplémentaire pour nourrir leur haine ? N’est-ce pas finalement servir la cause de Fofana, «tomber à pieds joints dans le piège moral tendu par l’assassin» comme le redoute dans Le Monde Me Thierry Lévy, avocat à la Cour ? Chaque jour, la polémique grandit. Le parquet vient de demander une enquête sur les propos tenus par Me Szpiner. Qui, face à l’indignation suscitée par son interview, a demandé au Nouvel Obs un rectificatif. Je m’en réjouis.
Et je me désole de la tournure qu’a pris ce procès. Il s’agissait, à l’origine, de juger les meurtriers d’Ilan Halimi, un jeune homme de 23 ans assassiné après avoir enduré vingt-quatre jours de tortures. Mort, parce que juif. L’atrocité de ce crime antisémite a mobilisé la communauté juive. Elle venait de perdre l’un des siens, parce que, justement, il était l’un des siens. Mais elle n’était pas seule à perdre un de ses membres. La société française aussi faisait le deuil d’un de ses fils.
C’est cet aspect de l’affaire que Richard Prasquier escamote. Il sait combien la communauté juive est à fleur de peau, et combien il convient de choisir ses mots. Théo Klein, ancien président du Crif, lui rappelle de manière sibylline qu’il est de son rôle de «savoir gérer la sensibilité de la communauté juive». Ne le met-il pas ainsi en garde contre le risque de verser dans ses penchants les plus extrêmes à en oublier les valeurs fondatrices de notre République ? Liberté, égalité, fraternité. En sanctuarisant ainsi le débat, Richard Prasquier et le gouvernement risquent de confisquer à Ilan Halimi cette fraternité qui l’unit au reste de la société française. Pour Théo Klein, c’est là l’essentiel du débat : l’affaire Fofana constitue un péril non tant pour la seule communauté juive que pour la communauté française dans son ensemble. Mais j’ai peur que cette évidence soit occultée par le tonnerre de la polémique.
N’en déplaise à certains, je refuse que la parole française juive soit ainsi enfermée dans une vision communautariste de la société. En tout cas, pas en mon nom.
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