MILLEFEUILLES
Source : lefigaro.fr en ligne le 29 janvier
Le livre du Livre des livres
Voici un grand livre. On s'apercevra bientôt de l'importance de Jacques Attali. Cela fait trente ans que les médiocres le jalousent. Heureusement, les puissants lui auront apporté ce que les impuissants tentent, à chaque nouvel opus, de lui enlever.
Faire aimer le judaïsme, tel est ici le but de Jacques Attali : cela lui permettra peut-être, espérons-le, de faire aimer les Juifs. L'actualité montre chaque jour que le monde, dans un aveuglement inouï qui dure depuis trois mille ans, ne les aime toujours pas. Dictionnaire amoureux du judaïsme permet, avant toute chose, d'insister sur ce point : il y a un judaïsme par personne. Le génie du judaïsme est, loin de vouloir fabriquer des religieux, de tenter d'inventer des hommes, mieux : de faire en sorte que les hommes s'inventent eux-mêmes. Le judaïsme est toujours sur mesure. C'est pourquoi Attali s'octroie tous les droits : il ne parle pas la langue des rabbins orthodoxes mais, en même temps, il est bien trop subtil pour n'être qu'athée.
Le judaïsme, Levinas le dit, est extrêmement proche de l'athéisme. C'est de l'athéisme avec Dieu dedans, avec Dieu au milieu. C'est la seule « religion » qui permette l'athéisme. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas qu'une religion. C'est la culture d'un peuple, sa carte d'identité, son histoire. Attali montre à merveille à quel point les Juifs oeuvrent dans, par et pour l'universel. On connaît l'universalisme grec, que nous n'avons toujours pas quitté : mais il est politique.
Ce que propose le judaïsme, c'est un universel extra-politique, branché sur une autre temporalité, une autre longueur d'onde. Or, l'obsession d'Attali, c'est le temps. Histoires du temps, La Vie éternelle, Mémoire de sabliers l'ont prouvé. Attali a toujours eu deux vies : l'une située dans le temps de l'histoire (celle du Juif sécularisé, sherpa de Mitterrand et conseiller économique), l'autre située dans un temps immémorial, non pas anachronique mais a-chronique, anhistorique, déconnecté des calendriers de la cité et de la marche du monde. Et c'est cet Attali-là, irrémissiblement juif dans son être, son sang, infiniment concerné par son être-juif, et concentré sur lui, qui a écrit ce dictionnaire. L'Attali d'un temps parallèle, intime, involable et inviolable, où il pense à sa place dans le monde : et à la place de l'homme dans le monde. Alors il y va : il nous invite, très simplement, très convivialement, à comprendre ce que signifie exactement shabbat ou la Chekhinah.
Il définit ce qu'entend le judaïsme par Pessah ou ce que représente Ève à ses yeux : c'est écrit dans la joie, on dirait un ami juif qui nous parle, nous prête une kippa pour la soirée, et voudrait s'assurer que, le temps d'une conversation du moins, on n'assimile pas mécaniquement Jésus et le Messie.
Avec une modestie totale, et une proximité émouvante, Jacques Attali, contemporain simultané de tous ces ancêtres, nous accompagne pas à pas dans un univers qui est toujours biblique, c'est-à-dire : vivant. Rien n'est moins mort, n'est moins passé, n'est moins dépassé, n'est moins démodé que la Bible. Elle renferme les mots avec lesquels a été bâti le monde. Un peuple pour qui le monde est non seulement issu d'un livre, mais est un livre, ne peut que concerner, aider, sauver une civilisation où l'écrit disparaît, où les volumes disparaissent au profit des écrans, où la culture fond comme neige au soleil du profit. Lire la suite page 2
«Attali ne parle pas la langue des rabbins orthodoxes mais il est trop subtil pour n'être qu'athée»
Car la Bible est l'autre nom, plus laïc pour ceux que le judaïsme religieux rebuterait, du livre tout court. De la culture classique : le judaïsme, c'est aussi préférer passer une soirée avec Balzac plutôt que devant Julie Lescaut. Bien sûr, je n'aurais pas fait les mêmes choix que Jacques Attali (et c'est pourquoi précisément son dictionnaire m'est précieux) : j'aurais oublié Leo Perutz, mais pas Gershom Scholem ; j'aurais délaissé Gerson Bleichröder, Superman et Jacob Warburg mais pour rien au monde n'aurais omis Franz Rosenzweig, Emmanuel Lévinas ou mon cher Benny Lévy, théoriciens puissants de la notion de Retour, ici absente.
Source : lefigaro.fr en ligne le 29 janvier
Le livre du Livre des livres
Voici un grand livre. On s'apercevra bientôt de l'importance de Jacques Attali. Cela fait trente ans que les médiocres le jalousent. Heureusement, les puissants lui auront apporté ce que les impuissants tentent, à chaque nouvel opus, de lui enlever.
Faire aimer le judaïsme, tel est ici le but de Jacques Attali : cela lui permettra peut-être, espérons-le, de faire aimer les Juifs. L'actualité montre chaque jour que le monde, dans un aveuglement inouï qui dure depuis trois mille ans, ne les aime toujours pas. Dictionnaire amoureux du judaïsme permet, avant toute chose, d'insister sur ce point : il y a un judaïsme par personne. Le génie du judaïsme est, loin de vouloir fabriquer des religieux, de tenter d'inventer des hommes, mieux : de faire en sorte que les hommes s'inventent eux-mêmes. Le judaïsme est toujours sur mesure. C'est pourquoi Attali s'octroie tous les droits : il ne parle pas la langue des rabbins orthodoxes mais, en même temps, il est bien trop subtil pour n'être qu'athée.
Le judaïsme, Levinas le dit, est extrêmement proche de l'athéisme. C'est de l'athéisme avec Dieu dedans, avec Dieu au milieu. C'est la seule « religion » qui permette l'athéisme. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas qu'une religion. C'est la culture d'un peuple, sa carte d'identité, son histoire. Attali montre à merveille à quel point les Juifs oeuvrent dans, par et pour l'universel. On connaît l'universalisme grec, que nous n'avons toujours pas quitté : mais il est politique.
Ce que propose le judaïsme, c'est un universel extra-politique, branché sur une autre temporalité, une autre longueur d'onde. Or, l'obsession d'Attali, c'est le temps. Histoires du temps, La Vie éternelle, Mémoire de sabliers l'ont prouvé. Attali a toujours eu deux vies : l'une située dans le temps de l'histoire (celle du Juif sécularisé, sherpa de Mitterrand et conseiller économique), l'autre située dans un temps immémorial, non pas anachronique mais a-chronique, anhistorique, déconnecté des calendriers de la cité et de la marche du monde. Et c'est cet Attali-là, irrémissiblement juif dans son être, son sang, infiniment concerné par son être-juif, et concentré sur lui, qui a écrit ce dictionnaire. L'Attali d'un temps parallèle, intime, involable et inviolable, où il pense à sa place dans le monde : et à la place de l'homme dans le monde. Alors il y va : il nous invite, très simplement, très convivialement, à comprendre ce que signifie exactement shabbat ou la Chekhinah.
Il définit ce qu'entend le judaïsme par Pessah ou ce que représente Ève à ses yeux : c'est écrit dans la joie, on dirait un ami juif qui nous parle, nous prête une kippa pour la soirée, et voudrait s'assurer que, le temps d'une conversation du moins, on n'assimile pas mécaniquement Jésus et le Messie.
Avec une modestie totale, et une proximité émouvante, Jacques Attali, contemporain simultané de tous ces ancêtres, nous accompagne pas à pas dans un univers qui est toujours biblique, c'est-à-dire : vivant. Rien n'est moins mort, n'est moins passé, n'est moins dépassé, n'est moins démodé que la Bible. Elle renferme les mots avec lesquels a été bâti le monde. Un peuple pour qui le monde est non seulement issu d'un livre, mais est un livre, ne peut que concerner, aider, sauver une civilisation où l'écrit disparaît, où les volumes disparaissent au profit des écrans, où la culture fond comme neige au soleil du profit. Lire la suite page 2
«Attali ne parle pas la langue des rabbins orthodoxes mais il est trop subtil pour n'être qu'athée»
Car la Bible est l'autre nom, plus laïc pour ceux que le judaïsme religieux rebuterait, du livre tout court. De la culture classique : le judaïsme, c'est aussi préférer passer une soirée avec Balzac plutôt que devant Julie Lescaut. Bien sûr, je n'aurais pas fait les mêmes choix que Jacques Attali (et c'est pourquoi précisément son dictionnaire m'est précieux) : j'aurais oublié Leo Perutz, mais pas Gershom Scholem ; j'aurais délaissé Gerson Bleichröder, Superman et Jacob Warburg mais pour rien au monde n'aurais omis Franz Rosenzweig, Emmanuel Lévinas ou mon cher Benny Lévy, théoriciens puissants de la notion de Retour, ici absente.
Qu'importe : j'aurais adoré, mais c'est trop tard, m'initier au judaïsme par ce livre, qui est un cadeau inestimable fait aux Juifs et aux autres, qui sont juifs eux aussi dès qu'ils préfèrent la justice à tout le reste, la vie humaine aux éternités de l'au-delà, le temps chargé de mémoire au temps vidé de passé, la lenteur à la course et l'instant retenu à l'action frénétique. Je voudrais que toutes les bibliothèques du monde possèdent au moins un exemplaire de ce livre.
Dictionnaire amoureux du judaïsme
de Jacques Attali,
Plon/Fayard, 544 p., 34 €.
Dictionnaire amoureux du judaïsme
de Jacques Attali,
Plon/Fayard, 544 p., 34 €.
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