ISRAEL
AUSALON
DEPARIS
Source : le blog de Gille Kepel en ligne le 12 mars
LE BOYCOTT ARABE
Salon du livre de Paris :
le boycott est inopportun,
mais l'inauguration par Shimon Pérès
pourrait perturber le débat.
La semaine dernière, un journaliste de la BBC en langue arabe m’a demandé de m’exprimer dans une interview sur la question du boycott du salon du livre de Paris à cause de la présence d’Israël comme « invité d’honneur ». Je lui ai expliqué que le boycott me semblait inopportun, et appartenait à un autre âge des relations entre Arabes et Israéliens – qui n’avait abouti qu’à l’impasse. Il n’y aura de perspective de paix au Proche-Orient que si des espaces de dialogues entre les sociétés israélienne et arabes sont préservés, tout particulièrement entre les hommes et les femmes de la plume et de l’écrit. C’est justement dans les périodes d’extrême tension, où le dialogue politique semble impossible ou presque, que les universitaires et les écrivains ont tout leur rôle social – et politique – à jouer en exerçant leur capacité critique face aux décisions des gouvernants et des Etats. La répression à Gaza, les enfants palestiniens tués par l’armée israélienne, ont suscité l’indignation dans le monde entier – comme la mort d’un Israélien à Sderot tué par une roquette Qassam (qui a déclenché la répression) puis l’assassinat d’élèves d’une yeshiva à Jérusalem par un Palestinien (qui voulait la venger).
L’indignation est parfaitement normale et légitime – même si beaucoup, en fonction de leurs sympathies préalables, seront portés à faire le deuil des leurs et à traiter par l’indifférence ou l’hostilité le deuil des autres. Mais ceux qui font profession d’écrire et de réfléchir ne peuvent s’en tenir là : il leur faut aussi comprendre le deuil des autres, et c’est là le rôle social des intellectuels et des écrivains en l’occurrence. C’est le préalable à la paix. Tel est le type de débat que l’on doit pouvoir mener au salon du livre, notamment avec les auteurs israéliens – et c’est la position que je défendrai lors du débat auquel je prendrai part dimanche (vous trouverez les références dans l’agenda).
En revanche, je ne suis pas partisan de l’inauguration du salon par le président israélien, Shimon Pérès, dans les circonstances présentes. Ni sa personnalité ni sa visite officielle en France ne sont en cause, mais je regrette que notre espace de débats fasse l’objet d’une récupération politique par le chef d’un Etat qui est justement au centre de la discussion critique à laquelle les participants au salon vont prendre part. Cela risque de faire peser sur les débats une ombre tutélaire qui les fausse. Or il est important que ceux-ci soient parfaitement libres d’influence : c’est la condition de leur crédibilité, et du refus de boycotter le salon. Bien sûr, dans les faits, l’inauguration par Shimon Pérès n’interdira à personne de s’exprimer comme il le désire ; mais la dimension symbolique de cet acte politique est fâcheuse, et le Proche-Orient est déjà assez saturé de symboles malheureux. C’est du dialogue et du débat qu’il a d’abord besoin, et c’est à cela que l’Europe doit pouvoir contribuer par excellence – comme j’y insiste dans la postface de Terreur et Martyre, et que j’appelle « relever le défi de civilisation ».
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