MILLE
FEUILLES
"Diasporablog est heureux d'accueillir pour une collaboration régulière, à son rythme, la sociologue et dramaturge Sonia Sarah Lipsyc, auteur d’un livre sur le théâtre juif et de nombreux articles sur le statut des femmes au sein du judaïsme français, cause dont elle est une militante active. Dernier ouvrage paru dont elle a assuré la direction de publication avec Janine Elkouby : "QUAND LES FEMMES LISENT LA BIBLE" aux Editions IN PRESS"
Elle nous livre sa première chronique littéraire.
Myriam Beaudoin
Hadassa
édition Léméac
Montréal (Québec), 2006
197 pages - 20,95 dollars
Deux femmes racontent
le monde juif orthodoxe
« Hadassa », de l’auteur québécoise Myriam Beaudoin et « La fille du rabbin », de Reva Mann nous offrent tous les deux - le premier est un roman d’inspiration autobiographique et le second sont des Mémoires - une plongée dans le monde juif ultra orthodoxe d’aujourd’hui. En la matière, depuis les romans du prix Nobel de littérature I.B Singer ou ceux du maître Haïm Potok, nous avons peu de témoignages surtout relatés par des femmes ! Quoique me revient à l’esprit, le roman quelque peu occulté de la sœur de Singer, Esther Kreitman qui écrivit dans « La danse des démons »* le quotidien d’une femme au sein de ce monde pratiquant où alors seuls les hommes avaient, par exemple, le privilège de l’étude juive. Mais l’ouvrage date de 1936 ….
« Hadassa » publié il y a deux ans déjà a reçu l’année dernière le Prix littéraire des collégiens (québécois) 2007 mais je ne l’ai découvert, pour ne rien vous cacher, que tout récemment au cours d’un voyage à Montréal. Il s’appuie sur l’expérience personnelle d’une institutrice non juive engagée pour l’enseignement des matières « profanes » dans un collège hassidique*. L’auteure restitue sa découverte du judaïsme au travers des us et coutumes de ce monde hassidique si proche et si lointain. Car même si ces Juifs hassidiques vivent dans sa ville à quelques encablures de son domicile il est difficile d’avoir l’opportunité de les approcher. De plus leur mode de vie recouvre parfois des aspects archaïques ou anachroniques pour cette jeune femme de son temps. Par association, je songe à ce héros dans le film Witness qui découvre la communauté des Hammich au sein de son propre pays, les Etats Unis.
Pour assurer ses heures d’enseignement, la narratrice est obligée de remiser au placard ses jeans ou ses débardeurs. Elle doit porter comme ses élèves une jupe ou une robe, un chemisier à manches longues fermées jusqu’aux poignets et attacher pour ne pas dire dompter son abondante chevelure. Tous les signes d’une tenue dite modeste que l’on exige des femmes comme des jeunes filles. L’institutrice ne peut parler, d’actualité à ses élèves, du moins officiellement, ni de religion, de culture (cinéma ou acteurs) encore moins de sexualité voire ne serait-ce que de simple reproduction des espèces. Les textes qu’elle leur enseigne sont au préalable soumis à un comité de censure qui d’un trait peut biffer certains passages. La séparation entre les filles et les garçons est stricte dans cette communauté comme elle l’est à l’extérieur du lycée entre les Juifs et les non Juifs. Toutefois l’institutrice est curieuse et respectueuse de ce monde que peu de personnes ont la possibilité de découvrir. Elle vit comme un privilège cette odyssée à l’intérieur même de sa propre ville et existence. Elle est séduite par la chaleur, la vivacité et la spontanéité de ses élèves. « Un choc de civilisations » qu’atténue cette curiosité réciproque de connaître l’autre et de lui faire goûter certains aspects de sa propre culture. Les élèves lui parlent des fêtes juives, des bar mitsva, des mariages ou de leur quotidien, elle, les initie à la lecture de romans comme de bandes dessinées. Il y a en partage l’amour des livres, une bibliothèque de fortune que bâtit l’institutrice et le rire ! Il y a aussi l’affection de l’institutrice pour Hadassa, une jeune adolescente à la fois commune et singulière. L’auteure tisse également en parallèle une histoire d’amour, l’attirance persistante entre une femme mariée de cette communauté hassidique et un épicier non juif, jeune émigrant polonais. L’histoire est peu probable mais en la matière qui peut juger ?
Myriam Beaudoin nous raconte sans concession les normes strictes, notamment pour les femmes, de ce monde juif ultra orthodoxe sans jamais se départir de la reconnaissance voire de la nostalgie d’avoir pu découvrir cette communauté.
Il y a dans ce récit une acceptation apparente des frontières entres les mondes – séparation cependant transcendée par les sentiments visibles ou invisibles qui habitent les êtres. La plume ouvre ici les ghettos que les communautés ou les sociétés sont promptes à édifier. C’est la revanche de la création et du cœur sur des exclusions imposées par des croyances ou des préjugés réciproques.
A suivre…
SONIA SARAH LIPSYC
http://www.soniasarahlipsyc.canalblog.com/
* Traduit du yiddish par Carole Ksiazenicer et Louisette Kahane-Dajezer, édition Des femmes, Paris, 1988.
** Le hassidisme est un courant piétiste du judaïsme ultra orthodoxe né au 18 ème siècle.
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire