HOMMAGE
AU CAPITAINE ALFRED DREYFUS
Jacques Chirac, Chef de l'Etat français, a rendu un vibrant hommage au Capitaine Dreyfus, lors de la cérémonie qu'a eu lieu, ce matin, dans la cours de l'Ecole Militaire, là-même où, accusé de haute trahison de la France, le Capitaine Dreyfus avait été humilié, dégradé par sa hiérarchie en 1895. Cette affaire, dite l'AFFAIRE DREYFUS devait déclanchée, en cette fin de 19è siècle, l'une des plus vives manifestations d'antisémitisme que la France ait connues dans son Histoire.
Nous publions l'intégralité du discours qu'a prononcé le Chef de l'Etat à l'occasion du 100è anniversaire de la réhabilitation du Capitaine Dreyfus :
"Le 5 janvier 1895, le capitaine Dreyfus est dégradé pour avoir trahi la France. Le pire des crimes pour un officier. Mais ce crime, Dreyfus ne l'a pas commis.
Au matin, dans la cour d'honneur de l'École militaire, un adjudant s'approche de lui. Il lui arrache boutons, bandes de pantalon, insignes de grade. Il brise le sabre de l'officier. Devant lui, Dreyfus reste droit et digne.
Un photographe a saisi l'instant. Cent ans plus tard, on en ressent encore toute la violence. Le capitaine Dreyfus a vu tomber à ses pieds les lambeaux de son honneur. Il a dû affronter les invectives de la foule. Moment terrible pour cet Alsacien qui a choisi en 1872, après l'annexion par l'Allemagne, de rester français. Lui qui, à l'âge de l'adolescence, a juré de devenir soldat pour défendre sa patrie.
Le voilà relégué sur l'île du Diable, au large de la Guyane. Pendant près de cinq ans, Dreyfus est enfermé dans quelques mètres carrés. A partir de 1896, il est mis aux fers chaque nuit. On dresse autour de lui une double palissade : il ne peut même plus apercevoir la mer, sa grande consolatrice. De Dreyfus, on ne devait plus entendre parler.
On en a parlé, pourtant. Pendant des années, on n'a même parlé que de cela : car Dreyfus était innocent.
Il n'y aurait jamais dû y avoir d'affaire Dreyfus : cette médiocre machination aurait pu être dévoilée dès le départ. Mais, parce que la haute hiérarchie ne pouvait s'être trompée, le capitaine devait à tout prix rester coupable. On invoquait l'intérêt supérieur de la nation. Il ne s'agissait que de dissimuler les défaillances de quelques responsables.
Mais d'autres ont refusé la conspiration de l'injustice. Face à l'adversité, ils ont livré le combat de l'honneur et de la vérité. Et d'abord, bien sûr, Dreyfus lui-même. Issu d'une famille juive profondément ancrée dans la République, polytechnicien, brillamment sorti de l'Ecole de guerre, admis au sein de l'état-major, il accomplit, par son travail et sa compétence, une carrière exemplaire d'officier d'élite de l'armée nouvelle.
Soudain, cet homme est pris dans l'engrenage d'une effroyable erreur judiciaire. Mais il ne se résigne pas : il veut sauver son honneur et l'honneur des siens. Plus que tout, il croit en la France et en la République.
S'il accepte en 1899 la grâce présidentielle, c'est à la condition de continuer à lutter pour faire reconnaître son innocence. Il se bat pour que son procès soit révisé. Réhabilité, il se rengage pendant la première guerre mondiale et combat vaillamment pour son pays.
La fermeté d'âme, la droiture, le courage d'Alfred Dreyfus forcent l'admiration. Un officier exemplaire qui, dans les plus terribles épreuves, a toujours agi en soldat. Un patriote qui aimait passionnément la France et qui n'a jamais douté d'elle. Un homme aussi, sachons le reconnaître, à qui justice n'a pas été complètement rendue : la mort dans l'âme, faute d'avoir bénéficié de la reconstitution de carrière à laquelle il avait pourtant droit, l'officier a dû quitter l'armée.
C'est pourquoi la nation se devait (...) de lui rendre un hommage solennel. Et puis il y a le lieutenant-colonel Picquart : nommé chef des renseignements militaires, il comprend que Dreyfus n'est pas coupable. Officier loyal, il s'en ouvre à ses chefs. "Si vous ne dites rien, personne ne saura" : voilà la réponse qu'il reçoit. On l'écarte de son poste, on l'envoie en mission dangereuse. Il pourrait se taire. Il choisit de parler. Sa carrière, sa vie même ont failli en être brisées. Mais lui aussi aime l'armée. Il croit en elle : il veut qu'elle soit juste. Ses chefs se refusent à comprendre à quel point le déni de justice fait à Dreyfus est préjudiciable aux intérêts de l'armée, aux intérêts de la France. Picquart remplit son devoir d'honnête homme : son devoir patriotique.
Ces hommes ont créé les conditions du sursaut républicain. Déjà, l'innocence de Dreyfus ne fait plus guère de doute. L'erreur judiciaire qui l'a frappé prend une nouvelle dimension. Commence véritablement l'Affaire : une crise majeure, mais aussi un moment fondateur pour l'enracinement de la République.
Chacun doit choisir son camp. Deux conceptions de l'individu et de la nation s'affrontent. D'un côté, il y a ceux pour qui la raison d'Etat, l'honneur de l'armée doivent prévaloir sur toute autre considération (...). Pour eux, même innocent, Dreyfus doit rester coupable. Tout est bon pour l'abattre et, à travers lui, atteindre une République encore fragile. De l'autre côté, il y a ceux qui combattent au nom du droit fondamental de chaque personne à la justice. Ils considèrent qu'en reconnaissant l'erreur commise (...), la France se grandit. Ces hommes ont des parcours, des croyances, des opinions très différents : Clemenceau, Emile Zola, l'écrivain engagé, et Anatole France, l'académicien au faîte de sa gloire. Léon Blum, le socialiste, et Charles Péguy, le poète catholique. Bernard Lazare, l'anarchiste, et le vice-président du Sénat, Auguste Scheurer-Kestner. Jaurès, l'éloquence faite homme, et le pur et ardent Lucien Herr, bibliothécaire de l'Ecole normale supérieure. Ce qui les rassemble tous, c'est leur engagement dans l'Affaire. (...) Avec eux, le combat pour Dreyfus devient un combat pour tant de Français. Un combat universel. Un combat pour tous les hommes. Clemenceau l'écrit dans L'Aurore : la République, fondée sur la liberté et la justice, est incompatible avec l'arbitraire et la raison d'État.
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