OU
ENSONT
LESREVOLUTIONS
DESPEUPLESARABES?
Source : lapresse.ca en ligne
le 9 septembre 2011
entretien
avec Vali Nasr
Après l’enthousiasme soulevé par le printemps arabe, des experts voient arriver l’hiver d’un oeil inquiet [1]. Les révoltes brutalement réprimées en Syrie et au Bahreïn n’annoncent rien de bon, observe Vali Nasr, auteur et professeur de politique internationale à l’Université américaine Tufts. Le spectre d’une guerre civile est bien réel, affirme le spécialiste.
Q La Presse : Les jeunes arabes qui se sont révoltés l’ont fait pour réclamer une société plus juste, plus démocratique. Les opposants politiques religieux, en Égypte notamment, se sont manifestés bien longtemps après les premiers soulèvements. Quelle place occupent les conflits religieux dans la révolte des pays arabes ?
R Vali Nasr : Au Moyen-Orient, comme en Irak, à Bahreïn ou en Syrie, les divisions religieuses ne sont pas une affaire de religion, mais d’identité. Ça ressemble beaucoup à l’Irlande du Nord. [...] La Tunisie et l’Égypte sont des pays assez homogènes. L’Égypte a environ 15% de chrétiens coptes, mais la majorité est musulmane sunnite, il n’y a pas de division entre sunnites et chiites comme en Irak. Mais Bahreïn est un pays comptant 70% de chiites et 30% de sunnites, et la dynastie régnante est sunnite. En Syrie, c’est le contraire : 80% sont sunnites, et la minorité alaouite [issue du chiisme, NDLR] domine le pouvoir depuis les années 70. Les révolutions affaiblissent les structures du pouvoir dont bénéficient les minorités. Le premier défi ne sera pas la construction de la démocratie, ou la réforme de l’économie, mais plutôt les luttes de pouvoir entre une majorité qui en réclame davantage et une minorité qui ne veut pas le lâcher. Et si la majorité prend les grands moyens comme en Irak, ça pourrait devenir violent.
Q Quelle région suscite, selon vous,
le plus d’inquiétude ?
R La situation en Syrie est la plus préoccupante. Non seulement parce qu’il y a déjà un conflit en cours, mais aussi à cause de la position géographique de la Syrie, près du Liban et de la Jordanie. La Syrie pourrait changer les rapports de force entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Cela peut avoir des répercussions en Irak, au Koweït, à Bahreïn, où nous voyons de nouvelles tensions émerger. [...] Le potentiel de conflit violent est là, parce que le régime syrien réagit d’une façon très sectaire. Il a organisé cette milice alaouite, qui rappelle parfois celles des Balkans. On y voit beaucoup de manifestants battus, torturés, intimidés. Le régime attaque délibérément l’identité des musulmans sunnites, provoquant les manifestants à la mosquée durant le ramadan. L’opposition se dit : pourquoi ne prendrions-nous pas les armes comme les Libyens ?
Q Deux grands leaders du Moyen-Orient se disputent le pouvoir dans la région : les sunnites d’Arabie Saoudite et les chiites d’Iran. Qui pourra finir avec davantage de pouvoir ?
R Ça dépend de l’évolution de la situation. Si la monarchie sunnite de Bahreïn tombe, l’Iran en bénéficiera parce que la majorité de la population est chiite. Si le régime syrien tombe, ce sera l’Arabie Saoudite. Et par ailleurs, au Liban, le Hezbollah [associé aux chiites] est bien placé pour prendre le pouvoir. Les conséquences sont impossibles à prévoir.
Q Cette semaine, l’Institut international d’études stratégiques, à Londres, a estimé qu’il est fort probable que les groupes islamistes se lancent dans la conquête du pouvoir politique dans les pays arabes. Doit-on s’en inquiéter ?
R Les partis islamiques sont bien placés pour profiter d’élections démocratiques parce qu’ils sont mieux organisés. [...] Les jeunes démocraties doivent relever le défi de s’organiser rapidement. Les politiques islamiques font mieux quand il y a un gouvernement laïque dysfonctionnel. Les gens votent pour les partis religieux quand ceux-ci montrent que les autres sont corrompus et inefficaces.
Ces deux branches partagent les mêmes croyances religieuses fondamentales de l’islam, mais diffèrent sur la désignation des chefs religieux. À la mort du prophète Mahomet, ses fidèles se sont concertés pour désigner le nouveau chef. Une fraction d’entre eux s’opposait à cette démarche, estimant que le nouveau leader devait provenir de la lignée divine du Prophète. Ces fidèles ont donc choisi de suivre Ali, cousin et gendre de Mahomet, et ont donné naissance au chiisme, le « parti d’Ali ». Aujourd’hui, les chiites représentent environ 15% des musulmans.
Judith Lachapelle
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