"PUTSCH"
DESRELIGIEUX
ENISRAËL?
Source : liberation.fr en ligne
le 5 juillet 2011
Israël,
la pression des rabbins ultras
L’arrestation de deux religieux extrémistes relance le débat sur la place du judaïsme dans l’Etat.
Par
DELPHINE MATTHIEUSSENT
Jérusalem,
La foule exaltée attaque des policiers israéliens à coups de pierres, bloque les principales artères de Jérusalem, tente de prendre d’assaut la Cour Suprême et d’investir le domicile du procureur général adjoint de l’Etat. Depuis une dizaine de jours, Israël est secoué par la révolte violente de nationalistes religieux, des colons de Cisjordanie pour la plupart, contre les autorités judiciaires, les forces de l’ordre et plus généralement contre l’autorité de l’Etat. A l’origine des troubles : l’arrestation de deux rabbins influents du camp national religieux pour «incitation à la violence et au racisme». Il leur est reproché d’avoir avalisé la Torah du Roi, un traité de théologie justifiant de tuer des innocents non-juifs, y compris des enfants, en temps de guerre. Les autorités craignent que le livre contribue à attiser les violences d’une partie des colons contre les Palestiniens de Cisjordanie. L’ampleur et la violence des incidents provoqués par l’arrestation des deux religieux a fait ressurgir la menace de la théocratie dans un pays où, en l’absence de Constitution, la religion et l’Etat ne sont pas clairement séparés.
Les partisans des rabbins Dov Lior et Yaakov Yossef estiment ainsi que leurs chefs spirituels n’ont pas à s’expliquer devant les autorités sur un avis à caractère religieux. Ils accusent la justice israélienne de s’immiscer dans les affaires rabbiniques et de vouloir «étouffer la voix de la Torah». Pendant plusieurs semaines, Lior et Yossef ont refusé de répondre aux convocations de la police, qui a dû monter de véritables opérations pour les arrêter sans provoquer d’émeutes de leurs fidèles.
Anathèmes. En début de semaine dernière, des policiers ont ainsi stoppé la voiture de Dov Lior sur une des bretelles d’entrée de Jérusalem, pris le contrôle du véhicule et conduit directement le rabbin au quartier général de la police où il a été interrogé. Ce n’est pas la première fois que Lior, leader spirituel de la colonie extrémiste de Kiryat Arba, est accusé d’incitation à la violence : il est soupçonné d’avoir influencé Yigal Amir, l’assassin d’Yitzhak Rabin, en lançant de terribles anathèmes contre l’ancien Premier ministre dans les mois qui ont précédé son meurtre, en novembre 1995. Dimanche, c’était au tour de Yaakov Yossef, un des fils d’Ovadia Yossef, le chef du parti séfarade ultraorthodoxe Shass, d’être surpris par des détectives alors qu’il retournait chez lui après les prières du matin à la synagogue.
«Israël est devenu le seul pays du monde où des figures religieuses sont au-dessus des lois», s’indignait hier le quotidien populaire Maariv, se faisant l’écho de l’inquiétude des Israéliens laïcs face à la place croissante du pouvoir religieux. Les dirigeants de l’Etat hébreu, défini lors de sa création comme un «Etat juif et démocratique», n’ont jamais complètement précisé les relations entre le pouvoir politique et religieux, qui bénéficie d’une large autonomie, laissant la porte ouverte à ce qui a souvent été qualifié de «tentation théocratique». «Une révolution est en cours, qui tente d’affaiblir systématiquement l’Israélite, de détruire tous nos efforts en vue de vivre normalement [lire : l’intérêt national, l’Etat de droit et le processus diplomatique, ndlr]. Cette révolution cherche - intentionnellement ou non - à nous ramener à la théocratie tout en renforçant la mentalité du ghetto assiégé», mettait en garde récemment un des éditorialistes d’Haaretz. Des inquiétudes renforcées par le manque de fermeté du gouvernement à l’égard des deux rabbins incitateurs de haine. Le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est ainsi contenté de dénoncer mollement, dimanche en conseil des ministres, l’attitude de Dov Lior et Yaakov Yossef en déclarant que «nul en Israël n’est au-dessus des lois», sans faire référence de façon plus détaillée à la polémique en cours.
Concession. Cette complaisance s’explique largement par la proximité idéologique de Nétanyahou avec le courant national religieux, favorable au Grand Israël, et qui constitue la base électorale traditionnelle du Likoud. Une partie de l’opinion opposée à toute concession avec les Palestiniens et qui occupe aujourd’hui une place essentielle dans les institutions israéliennes (armée, Knesset, éducation), bien supérieure à son poids démographique. Même si les partisans des rabbins Dov Lior et Yaakov Yossef font partie des colons les plus extrémistes, la religion est souvent instrumentalisée par les nationalistes religieux pour justifier l’occupation israélienne et la poursuite de la colonisation. Dans un rapport publié en 2009 et intitulé «La droite religieuse en Israël et la question des colonies», l’International Crisis Group, dirigé par Robert Malley, ex-conseiller spécial de Bill Clinton pour le Proche-Orient, avertissait déjà de la tentation de la «désobéissance civile et de la violence» d’une partie de cette population.
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