PROCES
DESASSASSINS
DILANHALIMI
ENAPPEL
Source : marianne2.fr en ligne le 20 juillet
Polémique Fofana :
quand le pire devient sûr !
Philippe Cohen
La polémique née du jugement de Fofana et de ses complices illustre la communautarisation croissante des esprits. Voici quelques raisons pour lesquelles le deuxième procès risque d'être encore plus nuisible que le premier.
Voilà 48 heures, que, mû par une motivation elle-même suspecte à mes yeux, j’ai décidé de revenir sur la polémique née du jugement de l’affaire Fofana. Au moment de passer à l’acte, ma plume est trempée dans le plomb. Je l’évoque en préambule, dans une stratégie conjuratoire…
Mais aussi parce que ce plomb-là est au cœur du sujet. Qu’est-ce qui fait que l’évocation de l’affaire Fofana, la nécessité ou le désir de prendre position ou de réfléchir à voix haute sur ce procès procurent une étrange lourdeur, que l’on soit juif ou non ?
Elisabeth Lévy a évoqué le piège mortel de ce procès et de la polémique où chaque argument est réversible et où chaque position est critiquable.
Personnellement, c’est l’interview de Richard Prasquier dans Médiapart qui me fait réagir. D'abord, le Président du CRIF, Richard Prasquier, reconnait qu'il a, avant même la fin du procès, adressé des protestations en direction du pouvoir politique, plus précisément auprès de Michelle Alliot-Marie, d'un conseiller de l'Elysée qui pourrait être Patrick Ouart et du Parquet. Autrement dit, les pressions du CRIF ont commencé alors que la Cour n'avait pas fini son travail et que personne ne connaissait encore les condamnations!
Curieusement, le titre de l’article entre guillemets : Procès Fofana : «L’avocat général Bilger minimise l'antisémitisme», selon le Crif, ne fait pas référence à un propos tenu par le président du CRIF durant l’interview mais à celui qu’il avait dit au Figaro voici quelques jours.
J’ai été saisi d’une étrange sensation, comme si l’on voulait faire avouer à Philippe Bilger quelque chose. Non pas qu’il était, en tant que tel, antisémite. Mais plutôt qu’il était victime de son propre préjugé en distinguant un antisémitisme banal, non suivi d’actes répréhensibles, et un antisémitisme meurtrier qui fut sans doute celui de Fofana.
La distinction me semble en réalité logique. Élisabeth Lévy a raison de rappeler que personne ne songe à condamner à 22 ans de prison des jeunes antisémites, qu’ils soient ou pas de banlieue, de même que, au moment où le racisme faisait rage en France dans la foulée de la guerre d’Algérie, personne n’a proposé de mettre à l’ombre les Français qui traitaient leurs voisin de « sales bougnoules ».
Une distinction pédagogique ?
Élisabeth Lévy écrit que si cette distinction est évidente, elle ne doit pas être explicitée, car elle risque alors de banaliser l’antisémitisme comme « opinion ». Le risque existe. Mais il pose une autre question : le refoulement est-il une bonne façon de lutter contre la banalisation du mal ? En opérant la distinction entre les antisémites « pacifiques » et les antisémites « meurtriers », il me semble que Philippe Bilger fait, paradoxalement, œuvre de pédagogie : il tente de séparer les antisémites criminels, les Fofana et ceux qui rêvent de le devenir, d'avec les ressortissants d’origine arabe qui, révulsés par la politique d’Israël dans les territoires occupés, sont « au bord de l’antisémitisme » et se demandent s’il n’y aurait pas un lien entre ce qui se passe « là-bas » et ce qui se passe « ici » (la supposée omniprésence des Juifs dans les médias, leur supposé enrichissement, leur supposée impunité).
A l’inverse, quel est l’effet des protestations publiques véhémentes de Richard Prasquier (sans parler des agressions des jeunes juifs excités contre des Noirs) ? A quoi concourt l’Élysée en ordonnant à Michèle Alliot-Marie de faire appel du jugement ? A ressouder, précisément, ce qui ne devrait pas l’être. A donner une occasion aux Fofana d’hier et de demain de communautariser leur folie antisémite, de se transformer en victimes de l’oppression contre les Palestiniens et les Arabes.
L'appel, un fier service
à tous les Fofana de France
Au-delà de cette dimension pédagogique, les critiques de l'arrêt formulées par les organisations juives et la manifestation organisée ont rendu un fier service à Fofana. Elles mettent en valeur l’idée que « les feujs ont le bras long » puisqu’ils peuvent faire recommencer un procès dont l’issue les insatisfait. Les antisémites auront vite fait de transformer cet appel en une rhétorique assassine : « Imaginez, diront-ils, que la victime eût été un Arabe et les bourreaux un Français, voire un policier ? »
Mais surtout les interventions intempestives du CRIF – dont il faut répéter qu’il n’est en rien représentatif de l’opinion des Juifs de France – concourent à communautariser définitivement le débat autour du procès Fofana.
J’ai connu Richard Prasquier avant qu’il ne prenne la tête du CRIF. Il me paraissait bien plus intelligent et raisonnable que celui auquel il a succédé. Mais il faut croire que la fonction a fini par avoir raison de ses qualités et qu’il est devenu aujourd’hui l’otage de la fraction la plus hystérique de la communauté juive.
En réalité, quelle validité peut avoir une appréciation sur un arrêt dès lors que, pour des raisons indépendantes de la volonté de ceux qui l’ont organisé, le procès s’est déroulé à huis clos ? Exemple : les quelques organisations juives contestataires dénoncent la supposée mansuétude de la justice à l’égard des complices de Fofana, mais seuls deux des prévenus faisaient l’objet de l’accusation d’antisémitisme.
La justice ne reconnaît pas de crime collectif. Elle cherche au contraire à distinguer la responsabilité précise de chaque accusé(e). Or, il semble bien qu’il soit apparu, au cours des débats, que plusieurs des accusés ignoraient totalement le sort terrifiant qui allait être celui d'Ilan Halimi.
Il nous reste aujourd’hui à nous préparer au désastre dont a accouché le désastre Fofana : un nouveau procès, public celui-là, que Fofana ne manquera pas de « politiser » à sa façon. On risque alors de découvrir la pire face cachée de cette affaire : le fait que l’accusé a peut-être mâtiné sa barbarie d’antisémitisme pour le rendre moins impopulaire.
Lire aussi l'éditorial de Joseph Macé-Scaron dans Marianne. (quitte à débourser 2,5 €)
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