DEBATTONS
Le débat sur Religion et Laïcité lancé par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, lors de sa visite, le mois dernier, au Pape Benoit XVI, puis lors de son déplacement, la semaine dernière, dans les Pays du Golfe et tout récemment au cours de ses voeux aux corps religieux en début de semaine, n'en finit pas de susciter de vives polémiques à tous les niveaux de la société française. Elles rejaillissent, cette fois-ci, et c'est une première, jusque dans la sphère du judaïsme français.
Elle oppose les responsables du Mouvement des Juifs Libéraaux de France représenté par le Rabbin Fahri et le groupe de Rabbins consistoriaux réunis autour du Collectif d'Initiative Rabbinique que préside le Rabbin Mikaël Journo* Directeur de cabinet de l'actuel Grand Rabbin de Paris David Messas.
DIASPORABLOG PUBLIE L'INTEGRALITE DE CE DEBAT.
Le premier texte a été publié le 17 janvier dans la page Débats/Opinions du FIGARO et ,co-signé par les Rabbin Fahri, Serge Berkowitz, Célia Surget.
Le second vient d'être mis en ligne par le forum de ce même journal par un étudiant juif proche du CIR.
Judéité, laïcité, citoyenneté
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Par Daniel Farhi, Stephen Berkowitz et Célia Surget, rabbins du Mouvement juif libéral de France.
Disons-le d'emblée : malgré les vicissitudes de leur histoire au sein de notre pays (notamment l'antisémitisme de l'affaire Dreyfus et celui des années du nazisme), les juifs ont acquis un statut tout à fait satisfaisant et honorable, à l'égal des autres communautés confessionnelles. Dans le paysage laïc de la France républicaine, ils peuvent concilier, sans problèmes majeurs, leur fidélité à leur foi ancestrale et leur citoyenneté.
Les décisions du Grand Sanhédrin de 1807 avaient permis de sauvegarder à la fois la judéité, la laïcité et la citoyenneté de nos ancêtres du XIXe siècle. Aujourd'hui, au nom d'une laïcité mal interprétée, certains de nos coreligionnaires présentent des exigences peu conformes à l'esprit qui animait les rédacteurs du Grand Sanhédrin. Le Talmud lui-même avait déjà énoncé le fameux principe : Dina demalekhouta dina «a loi du royaume (de l'État) est la loi» , au nom duquel le juif est tenu de se soumettre à la loi civile de son pays dans la mesure où elle ne le contraint pas à des actes immoraux (meurtre, adultère, idolâtrie). Mais alors, comment comprendre les demandes de saisine de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), de la part d'associations juives ? Créée en 2004, la Halde a pour mission générale, rappelons-le, de lutter contre les discriminations prohibées par la loi, de fournir toute l'information nécessaire, d'accompagner les victimes, d'identifier et de promouvoir les bonnes pratiques pour faire entrer dans les faits le principe d'égalité. Il ne semble pas a priori que les demandes de saisine enregistrées ces derniers mois, en provenance des dites associations juives, entrent vraiment dans le cadre de discriminations ou d'atteintes à la liberté.
En France, chacun peut revendiquer son identité sans oublier sa citoyenneté. Ce qui est demandé à chacun est de s'intégrer à la communauté nationale, non de s'assimiler. Cette nuance est essentielle : elle est de nature à rassurer les membres de toutes les minorités nationales sur le fait que la République ne leur demande pas de disparaître culturellement ou religieusement, mais, tout en conservant leurs traditions, d'assumer une citoyenneté loyale et raisonnable.
C'est, nous semble-t-il, ce qu'avaient bien compris les membres du Grand Sanhédrin de 1807 ; c'est ce que certains ne semblent plus comprendre aujourd'hui, accumulant des exigences de moins en moins compatibles avec une véritable citoyenneté. Leur prise en compte par les pouvoirs publics irait à l'encontre de la laïcité française à laquelle nous sommes très attachés.
Quelques exemples recueillis dans le compte-rendu d'une visite du ministre de l'Intérieur et des Cultes, le 22 novembre dernier au Consistoire de Paris par le mensuel Information juive. Parlant des «préoccupations essentielles (…) pour la communauté juive», un des articles énonce entre autres : «la fiscalité des dons, la cacherout (…), les places dans les carrés confessionnels juifs dans les cimetières (…), le calendrier des examens pour les élèves et les étudiants juifs (…), la nourriture cachère dans les hôpitaux, les systèmes d'entrée de certains immeubles le shabbat…». Force est de constater, face à cette énumération, que la communauté juive émet là des exigences qui sont des formes de privilèges allant bien au-delà des règles d'une laïcité bien comprise. Si chaque minorité nationale devait s'en inspirer, il est à craindre que la vie du pays serait parcellisée et peu propice à l'intégration tant désirée par les pouvoirs publics. Faut-il rappeler, par exemple, que les carrés confessionnels dans les cimetières municipaux sont des dérogations, non un droit en soi ? Concernant les digicodes en bas des immeubles, il est inadmissible de vouloir en imposer l'arrêt le shabbat au prétexte d'une pratique orthodoxe de certains locataires juifs, et aux dépens de la sécurité et de la tranquillité du reste des occupants de ces immeubles.
On peut comprendre le désir de certains de vivre selon toutes les prescriptions de leur religion, mais ils doivent admettre que ce n'est pas possible dans un pays dont les coutumes et les lois ont été façonnées par des siècles de chrétienté et qui, de surcroît, se propose d'intégrer tant d'autres minorités. Il y a deux siècles, en acceptant la devise de la République Liberté, égalité, fraternité les juifs ont aussi implicitement accepté cette autre devise : Judéité, laïcité, citoyenneté.
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Les RABBINS libéraux ne peuvent se réclamer
du Grand Sanhédrin
Il faut savoir que la branche libérale du Judaïsme ne s'inscrit absolumentpas dans la logique du Consistoire Central qui découle du Grand Sanhédrintant cité. Ainsi, il me semble très étonnant que les autos-proclamés"Rabbin" libéraux qui n'ont pas fait l'école rabbinique (étape obligatoirepour être Rabbin en France et instituée par le Grand Sanhédrin justement)osent prétendre porter les valeurs du Judaïsme à la française.Mais en plus de ne pas respecter les principes issus du Grand Sanhédrin etdonc de ne pas être réellement membre de la communauté juive, il estmarquant de constater comme les auteurs s'excluent eux-mêmes de lacommunauté juive dans leur propos : "La communauté juive émet là desexigences qui sont des formes de privilèges allant bien au-delà des règlesd'une laïcité bien comprise." Ils ne cessent de parler des juifs à latroisième personne. Il apparait ainsi clairement que les libéraux ne sesentent pas membre de la communauté juive de France. Mais en plus de ne pas faire partie de la communauté juive ni dans les faitsni dans le cœur, les auteurs prétendent : "On peut comprendre le désir decertains de vivre selon toutes les prescriptions de leur religion, mais(...) ce n'est pas possible dans un pays dont les coutumes et les lois ontété façonnées par des siècles de chrétienté". Ceci est une assertion trèsgrave à mon sens. En effet, de tout temps les juifs ont réussit à respecterleurs préceptes où qu'ils soient et quels que soient les interdits locaux.Pourquoi cela devrait-il changer aujourd'hui ? Cette assertion selonlaquelle il est impossible de respecter tous les commandements juifs enFrance est tout simplement scandaleuse, et fausse en plus. En effet il est tout à fait possible de le faire, même si ça peut-êtrecompliqué dans certain contexte. Surtout, cela sous-entends que les juifsn'ont pas leur place en France s'ils veulent maintenir leurs coutumes. On sedemande pourquoi Ariel Sharon avait conseillé aux juifs de France des'installer en Israël ! Parce que quand un juif lit cet article, il se ditsoit qu'il doit renoncer à une bonne partie de son héritage millénaire, soitqu'il doit quitter la France rapidement.Quant à l'assertion selon laquelle "le Talmud lui-même avait déjà énoncé lefameux principe : Dina Demalekhouta Dina «la loi du royaume (de l'État) estla loi», au nom duquel le juif est tenu de se soumettre à la loi civile deson pays dans la mesure où elle ne le contraint pas à des actes immoraux(meurtre, adultère, idolâtrie).", il y a une légère erreur d'interprétationqui fausse le raisonnement. En effet, il y a bien un principe selon lequella loi du pays est la loi. Cela s'applique dans tous les cas sauf si la loicontraint à des actes interdits par la Torah, soit bien plus que de simples"actes immoraux". C'est pour cela que les juifs payent les impôts, saisissent les tribunaux oula Halde pour faire valoir leurs droits, font vivre le Consistoire Centralqui est une institution de la République, votent, respectent le code de laroute, ... En revanche, si la loi interdit aux juifs de manger cacher, onsort complètement du cadre de ce principe, même si manger cacher n'a rien àvoir avec la morale. Quant aux examens, un étudiant juif ne peut pas passer un examen le Samediou les jours de fêtes juives. Aujourd'hui, il arrive de plus en plussouvent, au nom de la laïcité, que des étudiants juifs (quelques foisbrillants) ne puissent passer un examen pour ces raisons et qu'ils doiventainsi redoubler en espérant que les examens tomberont à des dates plusfavorables l'année suivante. Il est certain que la situation peut continuer.La seule conséquence serait que certaines filières seront désertées par lesjuifs et que de nombreux juifs français iront en Israël. Alors, si lasituation pouvait changer, le judaïsme français en sortirai renforcé. Ainsi, la mouvance libérale s'inscrit en porte-à-faux complet avec le trèsrépublicain Consistoire Central découlant du Grand Sanhédrin et réelreprésentant de la communauté juive au sein de la République Française.Enfin, les juifs ont leur place en France et ce ne sont pas les rabbinslibéraux autos-proclamés qui les feront fuir vers Israël.
Emmanuel,
étudiant juif français.
Mikaël Journo est le Rabbin de Fontenay aux Roses dans les Hautes de Seine. Il pourrait briguer la fonction de Grand Rabbin de Paris lors des prochaines élections au Consistoire de France e au Consistoire de Paris.
Nous reviendrons sur ces élections dans les prochaines semaines.
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