"LES MUSULMANS ET LE SEXE" de NADER ALAMI Editions GUMUS

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Recueil de Poésie en Hommage à Jenny Alpha

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Couv "LES PLEURS DU MÂLE" Recueil de Slams d'Aimé Nouma Ed Universlam

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CAMILLE CLAUDEL Naissance d'une vocation parJeanne Fayard Rivages Editions

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Sortie en librairie début mai 2013

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE
de GISELE SARFATI Editions PLUMES et CERFS-VOLANTS

lundi, mars 18, 2013


AUJOURD'HUI
ATOULOUSEUNANAPRES
MARCHEDUSOUVENIR
ENPRESENCEDUPRESIDENT
DELAREPUBLIQUE
Source : lemonde.fr en ligne le samedi 16 mars 2013



L'énigme Mohamed Merah



Par
Hélène L'Heuillet*,
philosophe et psychanalyste


On se souvient de la photographie choisie par de nombreuses chaînes de télévision : le visage au large sourire de Mohamed Merah, auteur, entre le 11 et le 19 mars 2012, du meurtre de trois militaires à Montauban, de trois enfants et d'un enseignant de l'école juive toulousaine Ozar-Hatorah. Plus que le crime d'intérêt, le crime pervers ou le crime passionnel, le passage à l'acte terroriste, en l'occurrence parfaitement affirmé et revendiqué, comporte une dimension énigmatique qui nous conduit à réfléchir sur les cas singuliers de ceux qui les commettent.

Qui était Mohamed Merah ? Bien entendu, il est impossible de dresser de lui un tableau clinique stricto sensu. L'éthique psychanalytique requiert, pour que soit posé un diagnostic, non seulement des paroles du sujet analysé mais que ces paroles soient adressées à un psychanalyste. Le terrorisme est par définition un champ où l'on n'entre pas avec les mots, mais dans lequel on s'engage plutôt à renoncer au langage. Malgré la diversité de ses formes, il est toujours "une propagande par les actes". Un terroriste qui parle n'en est déjà plus un, et les rares paroles de Mohamed Merah ne suffisent pas à se prononcer sur sa structure psychique.

D'où l'énigme. La seule personne avec laquelle Merah semble avoir vraiment échangé est la très jeune femme avec qui il a été marié dix-sept jours, entre décembre 2011 et janvier 2012. Mais celle qui disait l'avoir beaucoup écouté semble avoir éprouvé stupeur et perplexité quand il a, sans explication, divorcé. Est-ce à dire que le tueur de Toulouse ne nous donne rien à penser sur le plan psychologique et philosophique ?

La vie sociale ordinaire nous renseigne pourtant en elle-même, tant elle est déjà tissée et traversée par la vie psychique. Même si la singularité subjective du terroriste ne peut que nous échapper, elle nous pose cependant diverses questions. La première est celle de l'entrée dans la violence. Pour passer à l'acte violent, quand on n'agit pas sous le coup d'hallucinations - et il est sûr que ce n'était pas le cas de Mohamed Merah -, il faut s'entraîner. Cela ne vient pas tout seul, même pour celui qui a le goût du massacre.



DES SCÈNES D'ÉGORGEMENT ET DE DÉCAPITATION

Ne nous étonnons pas trop que la femme de Merah ait pu voir en lui un "bébé". La violence politique et la violence sexuelle ne vont pas nécessairement ensemble. Le psychanalyste Roland Chemama attire notre attention sur le fait que notre époque juxtapose aisément un discours édulcoré sur le sexuel - dont on a pourtant toujours connu la secrète violence - et une violence non érotisable, brute, débridée, traumatisante et issue du trauma. C'est à l'entretien de ce clivage que travaille l'apprenti terroriste.

Dans Paradise Now (2005), le réalisateur Hany Abu-Assad montre que, lorsque Saïd prend la décision de devenir shahid ("martyr"), il commence par emprunter les cassettes des testaments de précédents kamikazes. Merah a procédé plus banalement. On sait qu'il écoutait des bruits de détonations et regardait des scènes d'égorgement et de décapitation. Mais il jouait aussi de manière encore plus ordinaire à des jeux vidéo, "Need for Speed" et "Call of Duty". Si le premier permettait probablement une mobilisation pulsionnelle sans laquelle un passage à l'acte violent n'est pas possible (Merah était accro aux courses de voitures, pas seulement virtuelles), le deuxième nous renvoie aux seuils que la seconde guerre mondiale a fait franchir dans la violence, et dont le terrorisme contemporain hérite.

Même si les anciens terroristes du XIXe siècle ont ouvert la voie à une modalité de l'action politique à laquelle les adeptes modernes de la terreur sont à leur insu redevables, c'est après le deuxième conflit mondial que les bornes de l'assassinat politique ont été transgressées. Mais, sur ce point aussi, Merah interroge. Il a choisi ses cibles, les a repérées, filmées. Est-ce un retour en arrière dans l'histoire du terrorisme ? Il n'en est rien. Il ne faut de toute façon pas croire que le terrorisme aveugle ne "cible" pas. Il cible, mais de manière totalitaire, en politisant tout un chacun.

Passer dans la rue tel jour à telle heure peut s'avérer déjà politique. Il y a bien frappe aveugle, car l'attaque ne vise aucune personnalité de poids dont l'absence affaiblirait une politique, contrairement aux attentats des anarchistes russes contre les tsars ou à l'assassinat de Benazir Bhutto ou d'Itzhak Rabin. Mais si la frappe aveugle n'épargne personne, pas même les enfants, Merah est allé au-delà. L'extrême de la frappe aveugle se confond avec le ciblage le plus symbolique, celui des enfants.

Epargner les enfants témoigna longtemps, dans l'histoire du terrorisme, de l'existence d'une "zone de neutralité", et même, comme Camus veut le croire dans Les Justes, d'une forme de morale. Mohamed Merah a "politisé" les enfants, dans le droit fil de l'antisémitisme d'Al-Qaida. Frappe aveugle également, et tout aussi paradoxale, est le choix de tirer sur des soldats de l'armée française. Les explications psychologisantes par le dépit de n'avoir pu en faire partie importent ici peu.


MERAH ATTAQUE UNE FORME D'INTÉGRATION

Albert Chennouf-Meyer, le père d'Abel Chennouf, abattu par Merah le 15 mars 2012, souligne, dans un livre récemment paru, Abel, mon fils, ma bataille (Editions du Moment, 168 p., 14,95 €), les proximités de son fils et de son assassin : proximité générationnelle, passions semblables pour le foot et les voitures, lien à l'Algérie. On pourrait ajouter un certain rapport à la guerre et à l'Afghanistan. En visant deux musulmans d'origines marocaine et algérienne, Merah attaque une forme d'intégration particulièrement réprouvée par l'islamisme terroriste.

En rupture déclarée avec le nationalisme, le terrorisme inventé par Ben Laden est transnational, non seulement dans son recrutement mais dans son esprit. Si ses partisans se donnent pour mission d'agir au niveau local, c'est précisément pour s'opposer à l'ouverture de sociétés qui tentent d'évoluer vers un multiculturalisme à peu près pacifié. De sa première victime au moins, Merah savait, puisqu'il lui avait donné rendez-vous, qu'il était musulman.

Le destin de Mohamed Merah aurait pu être différent. Il aurait pu choisir la voie de ceux qui, revenant en Algérie après l'Afghanistan, se retrouvent aujourd'hui membres d'AQMI, pratiquant un terrorisme de guerre. Il aurait peut-être aujourd'hui combattu l'armée française au Mali. Au lieu de cela, il a "fait le touriste", ainsi qu'il le raconte aux négociateurs du RAID avant l'assaut. Il a certes beaucoup voyagé en peu de temps, non seulement en Afghanistan et au Pakistan, mais aussi en Syrie, en Irak, et même en Israël. C'était sans doute plus qu'une couverture. Le voyage est ce dont on revient.

Merah a "choisi la France", pas seulement pour la soutenir lors de la dernière Coupe du monde de football, mais surtout pour récuser ces doubles de lui-même qu'étaient les jeunes soldats de Montauban. L'exemple de Merah nous enseigne aussi la complexité du kamikaze. Merah ne fut pas candidat à une action-suicide. Tous les membres d'Al-Qaida ne pratiquent pas l'attentat-suicide et la pratique de l'attentat-suicide n'est pas réservée à Al-Qaida. Pourtant, il n'a pas évolué vers un terrorisme de prise d'otages et de quête de rançon.

Toutefois, outre que même cette forme de terrorisme porte elle aussi la marque d'un nihilisme qui peut rendre méfiant sur sa capacité à négocier, la mort de Mohamed Merah nous montre qu'il était quand même pris dans le discours de l'attentat-suicide.

Après quatre heures de discussion avec les négociateurs du RAID durant lesquelles il semble près de la reddition, comme il arrive à la guerre, il se ravise. Les mots qu'il emploie alors - "J'ai pas peur de la mort. La mort je l'aime" - ne sont pas sans évoquer ceux de Ben Laden à un journaliste de CNN en 1997 : "Nous aimons la mort comme vous aimez la vie."

On a beaucoup discuté de savoir si Mohamed Merah était ou non "un loup solitaire". Au-delà d'enjeux judiciaires et policiers, c'est le sens du nouveau type de terrorisme inauguré par Al-Qaida qui est en question. Un de ses principes, formulé par Al-Zawahiri, le numéro deux présumé d'Al-Qaida en 2002, est l'individualisation du djihad, qui devient une obligation personnelle. Un des exemples les plus célèbres est le Shoe Bomber ("le terroriste à la chaussure") Richard Reid, qui avait projeté l'explosion d'un vol Miami-Paris le 22 décembre 2001. Cela n'empêche pas l'existence de réseaux et de filières, non seulement pour les contacts et le renforcement de la résolution, mais aussi pour l'argent. Un des grands chocs de l'affaire Merah en Midi-Pyrénées fut, outre la peur et l'horreur, la découverte de groupes salafistes jusque dans la paisible Ariège.

Se demander si Al-Qaida est en perte de vitesse, fini ou à cours d'argent n'a en fait pas de sens, car ce n'est ni un groupe ni un parti ni une organisation, mais bien, selon son sens littéral, une sorte de "base" du terrorisme contemporain, sur laquelle peuvent s'appuyer à la fois la myriade des groupes éparpillés dans le monde et des individus plus ou moins reliés à eux dans la décision de créer de la peur.

C'était cela aussi Mohamed Merah.



Hélène L'Heuillet,
philosophe et psychanalyste

*Hélène L'Heuillet
Elle écrit sur les mutations contemporaines du lien social. Elle est également membre de l'Association lacanienne internationale. Elle a publié "Basse politique, haute police" (Fayard, 2001), "La psychanalyse est un humanisme" (Grasset, 2006) puis "Aux sources du terrorisme, de la petite guerre aux attentats-suicides" (Fayard, 2009).





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