LEDITO
DUQUOTIDIEN
MAROCAIN
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Source : lematin.ma en ligne
le 21 août 2011
De Tripoli à Damas
ou comment réapproprier l'identité
Ce qui se passe aujourd'hui en Libye et en Syrie s'apparente à une «fin d'époque», avec ses espérances, ses amertumes et turpitudes. Nous sommes à dire vrai déchirés, tiraillés et perplexes devant le déferlement d'images banalisées de guerre et de cliquetis. Comme un oracle, le vent du changement que tout le monde appelle de ses vœux se nourrit de pressions contradictoires, parfois même inquiétantes. La lucidité s'impose, notamment au niveau de l'analyse de ce faisceau d'événements où se croisent à coup sûr intérêts de puissances étrangères, groupes de pression, où se déploie aussi la «main» obscure de certains groupes.
Le monde arabe, longtemps assoupi et impavide, semble désormais se réveiller aux échos fracassants des armes, certes…Mais, surtout, à l'idée que deux pays que l'on disait bétonnés sont en train de basculer. La Libye et la Syrie sont-elles aujourd'hui autre chose que le reflet d'un miroir ? Un miroir aux alouettes plus exactement, où surgissent une complexité politique et sociale et, évidemment, le sort nouveau qui leur est réservé. Un sort scellé, faute de démocratie, par le peuple.
Elles vivent les dernières heures d'une histoire, celle d'un régime dont l'originalité est qu'il aura duré pour l'un et l'autre pas moins de quarante-deux ans. L'interchangeabilité n'aura en définitive rien changé ! Le président Bachar al-Assad est le fils choisi « sui generis » par son défunt père avant sa disparition. Seif al-Islam, en Libye, est d'ores et déjà intronisé avant terme par son père et n'a cessé de jouer un rôle plus que prépondérant, eu égard aux institutions, au peuple et vis-à-vis de l'étranger. En Libye comme en Syrie, la filiation est devenue paradoxalement monarchique, inventant ses propres « modus operandi », imposant ses propres et étranges règles. Royaumes présidentiels ? C'est peu dire, en effet, que la transmission du pouvoir en ces pays – et l'Egypte nous en donne la réelle et triste démonstration – obéit à un népotisme anachronique. Ce n'est pas médire, non plus, que de rappeler la hargneuse attitude que leurs gouvernements affichaient autrefois à l'égard du Royaume du Maroc, qualifié de « monarchie décadente », pointé du doigt voire méprisé… Il est vrai que, dans la foulée du discours marxiste-léniniste en vogue dans les années soixante-dix et quatre-vingt, c'est-à-dire jusqu'à la chute du Mur de Berlin en 1989, le monde était soumis au rédhibitoire langage manichéen qui départageait les pays entre communisme et libéralisme. Les pays arabes n'échappaient pas, loin s'en faut, à ce réductionnisme conceptuel.
Les conséquences au niveau des institutions, de la gouvernance et des options seront d'autant plus dramatiques que toute opposition, quelle qu'elle fût, était bafouée, combattue violemment et réprimée. En Syrie, le parti au pouvoir, implanté « manu militari » sur les décombres du Baath et l'héritage de Michel Aflaq, a incarné une main de fer sous Hafez al-Assad dont l'implacable mépris à l'égard des autres constituait le trait saillant du régime. Un espoir, furtif et ténu, a pourtant surgi à l'arrivée de son fils que l'on créditait des vertus d'ouverture et de décrispation. En Libye, la « révolution populaire » a « mangé ses propres hommes » ! La gestion folklorique n'était pas aussi folklorique que cela en donnait l'air ! Et pour cause ! L'économie, l'enrichissement dépendant constamment de la manne pétrolière, une « Nomenklatura », maniant le verbe enflammé et le bâton de terreur a grossièrement pris le relais des idéaux populaires. Elle a confisqué la richesse nationale tout simplement. Le pays est demeuré dépendant, largement dépendant de l'extérieur et des importations, y compris pendant les longues années de l'embargo qui lui fut imposé après que le gouvernement libyen fut impliqué et confondu dans les attentats de Lockerbie qui avaient fait près de 300 morts… Le pouvoir militaire n'ayant de cesse de se doter d'armes et de dépenser des bagatelles de milliards de dollars dans des gabegies, la conséquence est que la Libye manque d'infrastructures et d'équipements nécessaires, autrement dit de l'essentiel basique.
Une lame de fond protestataire traverse depuis quelques mois maintenant les deux pays, dont les dirigeants, aveuglés, caparaçonnés et accrochés au pouvoir, n'ont d'autre réponse aux attentes et aux revendications exprimées du peuple qu'une sanglante répression. Leur comportement illustre ni plus ni moins à la fois une démesure désapprouvée par la communauté internationale et une sourde inconscience face au changement qui est aujourd'hui la seule et intangible réalité dans ces pays. Sauf changement immédiat, la démocratie, qui incarne « le moindre mal » selon Winston Churchill, a encore du temps devant elle avant d'être acceptée et mise en œuvre par les pouvoirs en Syrie et en Libye. Son prix ? La volonté de composer des responsables, à tout le moins celle de changer leur méthode de gouverner. Faute d'un tel changement, compte tenu également de la pression internationale et régionale qui se fait chaque jour plus forte et insistante, la Syrie et la Libye connaîtront des moments encore plus dramatiques qui les jetteront dans la guerre civile.
Ce n'est pas une légitimité contre une autre, c'est désormais la légitimité populaire contre l'irascible ploutocratie de dirigeants qui ont confondu intérêt familial avec intérêt de la nation. Le peuple, en dépit des afféteries cérémonieuses que ces mêmes dirigeants ont cru imposer, entend « historiser son présent », comme suggérait autrefois Jacques Berque. Du passé bafoué, des aspirations démocratiques réprimées, des attentes inassouvies, les peuples syrien et libyen font à présent le motif indépassable et prosaïque de colère et de révolte. Il faut espérer, toutefois, qu'une fois leur légitimité reconnue et leurs aspirations respectées, leurs substrats réappropriés, les deux peuples ne basculent pas dans le redoutable et pervers processus d'instabilité, propre à être instrumentalisé par des forces obscures qui sont d'ores et déjà à l'œuvre !
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