ISRAËL
ADEUX
FACES
Source : lefigaro.fr en ligne le 27 février
Deux Israël dos à dos
La chronique d'Alexandre Adler.
«Berechit bara Elohim », « Au commencement Dieu créa… » Comme chacun le sait, la Bible et plus précisément la Genèse ne commence pas par un A, mais par un B, pas par un aleph, mais par un beit. Or comme chacun sait que les lettres hébraïques sont aussi des chiffres, voici le destin d'Israël marqué par le signe du 2 et non du 1.
Si l'unité est réservée au Créateur, plus humblement Israël, et les Juifs d'aujourd'hui, en simples mortels, sont évidemment placés sous le signe de la dualité. Il y a eu deux dynasties, celle de Saül, puis celle de David, deux temples, à l'époque moderne des Ashkénazes et des Séfarades, pour ne pas parler d'Israël (l'État) et de la Diaspora.
Ainsi, il y a toujours eu également deux Israël : le premier, essentiellement laïque, tourné vers la modernité, qu'elle fût socialiste et soviétique dans les années 1950 ou néolibérale et américaine dans les années 1990, a toujours en tout cas tenté de mettre le messianisme traditionnel en marge, pour se concentrer sur la création d'un État viable, complexe, porté au compromis avec la communauté internationale, dont Theodor Herzl, le fondateur du sionisme politique, avait voulu faire un art.
L'autre Israël, même s'il a rejoint en cabine de troisième classe le projet sioniste, a pour lui de dévoiler les fondements véritables du projet, la fidélité à la parole de Dieu, l'ambition de rassembler sur une même terre tous les Juifs aujourd'hui dispersés à sa surface et la sauvegarde de l'intégrité d'un territoire peu ou prou défini par les frontières du dernier État juif indépendant, celui d'Hérode et de ses fils, qui pourtant ne brillaient pas par l'intensité de leur piété.
Car, il faut bien le comprendre, entre ces deux Israël, le clivage n'est pas entre religieux et laïques, bien que la divergence d'origine soit effectivement d'ordre religieux. Nombreux sont en effet les croyants qui sont aujourd'hui d'accord avec l'existence d'un État palestinien à côté d'Israël et dans des frontières viables et décentes, nombreux sont hélas les laïques qui ont suffisamment intériorisé le messianisme territorial pour le proposer aujourd'hui coupé de ses racines autrefois théologiques.
À quelque chose malheur est bon, le parti ethnocentrique russe Israël Beitenou d'Avigdor Lieberman a tout le moins pour avantage de montrer l'existence d'une force politique intransigeante qui n'a rien de religieux : les ouailles de Lieberman continuent à se demander pourquoi Poutine, qu'ils admirent tous, a pu régler le problème tchétchène par les moyens que l'on sait et pourquoi les Israéliens doivent tolérer chez eux des « culs noirs » qui les narguent. Élevés dans leur grande majorité dans la défunte Union soviétique, ils en ont gardé des talents artistiques et intellectuels considérables, mais une ignorance quasi totale des règles démocratiques, qui leur semblent aussi factices qu'elles le semblent aussi à la quasi-totalité des Arabes palestiniens.
Ces deux Israël s'affrontent à présent, une moitié contre l'autre presque exactement si l'on considère qu'à la gauche et au parti centriste Kadima de Tzipi Livni doivent aussi s'ajouter quelques élus religieux modérés et quelques députés arabes qui se considèrent réellement comme Israéliens. Pour peu que ce dualisme s'aggrave, comme entre 1940 et 1945, entre Ben Gourion et les nationalistes impénitents du Etzel et du Groupe Stern, et le danger s'accroît pour tout le peuple juif.
Il est incontestable que Nétanyahou a parfaitement compris les enjeux du moment actuel : bien qu'il existe une majorité parlementaire arithmétique pour un bloc des droites, qui refuse effectivement la création d'un État palestinien et son imparable conséquence, l'évacuation des deux tiers des implantations en Cisjordanie, Nétanyahou se refuse pour l'instant à le constituer, et marque sa préférence pour un gouvernement d'union nationale, avec le centre de Kadima certainement, peut-être même avec les travaillistes de Barak, dans le but évident de s'empêcher de réaliser son propre programme et de placer ainsi Israël en position d'accusé devant la communauté internationale, et surtout devant les États-Unis d'Obama.
En face, Tzipi Livni et le chef de l'État Shimon Pérès se demandent s'il ne vaut pas mieux placer le premier ministre désigné devant ses contradictions et lui faire assumer l'irresponsabilité des positions qu'il a cru devoir prendre dans la campagne électorale, quitte à repasser devant les urnes en catastrophe d'ici à un an ou un an et demi. Cette position a ses mérites logiques en temps de paix, mais dans une telle situation de tension régionale créée par la menace nucléaire iranienne et l'avancée politique du Hamas au sein de l'État palestinien en construction, cette posture est extrêmement dangereuse.
Mieux vaut un Israël confus, un peu hystérique, contradictoire mais uni dans une circonstance aussi grave. Il sera temps alors de voir si Nétanyahou doit s'avérer un souverain idéologue, dépressif et méfiant comme le fut Saül, ou bien un chef de guerre pragmatique, menteur, moderne et glorieux comme le fut le roi David qui, se reniant souvent, conduisit à la fin son peuple à bon port.
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