CHRONIC
Tunisie 2008 :
Une année riche en Mémoire
Par Ftouh Souhail
Sans nul doute qu’en Tunisie l’année 2008 était la plus riche en mémoire. Dernier rendez vous en date c’était il y’a quelques jours avec l’ouverture des journées du cinéma européen, qui se sont déroulées à Tunis entre le 20 novembre au 3 décembre 2008, marquée cette année par la présentation au public du film « Un Secret » de Claude Miller (1).
Le réalisateur Claude Miller explore les méandres de la culpabilité humaine, dans une histoire où se mêlent drame sentimental et extermination des Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale. Le film commence par une phrase sur l'écran: "Cette histoire et ses principaux personnages s'inspirent de faits réels". C'est en effet l'adaptation du livre, largement autobiographique, de l'écrivain Philippe Grimbert.
Cette adaptation du roman éponyme de Philippe Grimbert, "Un secret" est le treizième long métrage de Claude Miller qui plonge dans l'univers d'une famille française dont il décrit la saga des années 30 à nos jours. Le film raconte le voyage intérieur de « François », un enfant seul qui s'invente un frère et imagine le passé de ses parents qui n’a jamais connu. Le cinéaste explore dans ce film un secret de famille et l'histoire d'une passion amoureuse (2).
Le public tunisien a découvert, pour la première fois, que les victimes de la Shoah étaient eux aussi en proie, malgré les persécutions et l'étoile jaune sur la poitrine, aux démons de la passion amoureuse, même interdite, même taboue (3).
Le film Un « secret », est un mélange de suspense sentimental et de tragédie historique, il porte en lui une dimension historique et humaine qui permettra de montrer aux jeunes générations que le cinéma est aussi un lieu de mémoire. Nous ne pouvons ici que rendre hommage au Ministère Tunisien de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine pour son engagement en faveur la mise en valeur du souvenir de la Shoah.
Novembre 2008, on a connu aussi une autre manifestation tunisienne pour la mémoire la Shoah. Il s’agit de la présentation devant l’Institut du Monde Arabe à Parsis -et en avant première - du téléfilm de Ferid Boughédir, "Villa Jasmin", d'après le roman du réalisateur Serge Moatti : un film très émouvant, sur la mémoire des Juifs déracinés de Tunisie ... Monsieur Boughédir poursuit ainsi ce travail de mémoire, après "Un été à La Goulette".
A cette occasion étaient présents surtout son excellence monsieur Raouf Najjar, l'ambassadeur de la Tunisie, Monsieur Boughédir bien sure , les principaux acteurs, mais aussi Claude Nataf le président de la société d'histoire des Juifs de Tunisie et beaucoup de personnalités tunisiennes !
Octobre 2008, autre événement de mémoire : Des tunisiens ont pu découvrir pour la première fois un documentaire exceptionnel qui a été présenté à l'espace Rachi, à Paris, le 26 octobre 2008. "Mémoire d'enfants" présente la confrontation de jeunes élèves tunisiens du lycée Gustave Flaubert de La Marsa avec la réalité de la Shoah. Ce documentaire raconte le premier voyage de lycéens tunisiens (du lycée Flaubert de La Marsa) à Auschwitz.
C’était une première fois pour ces jeunes de découvrir les chambres à gaz et touts les méthodes horribles utilisés dans « solution finale ». La soirée de l'espace Rachi était pleine d’émotion, présentée par Francine Disegni, une ancienne du lycée Carnot de Tunis, elle s’est tenue en présence d’un conseillé spécial de son excellence, Monsieur Raouf Nadjar, Ambassadeur de Tunisie en France.
Avril 2008, Ahmed el-Abassi, représentant de la Tunisie dans l’Autorité Palestinienne, est intervenu lui aussi lors de l’ouverture de la conférence qui s’est tenue pendant trois jours à l’Institut Yad Ben Zvi à Jérusalem, et qui a eu pour thème « Le sort des Juifs d’Afrique du Nord pendant la Deuxième Guerre Mondiale. » En tout, 21 chercheurs d’Israël, d’Europe et des Etats-Unis ont participé à la Conférence. C’est la première fois dans l'histoire, qu'un diplomate tunisien prend part à un tel événement. Le porte-parole du Musée de l’Holocauste à Jérusalem s’est félicité de la présence officielle de la Tunisie: « Sa présence exprime sa solidarité pour le sujet et la reconnaissance des peines et souffrances qu’a endurées la Communauté juive tunisienne sous l’occupation allemande » (4).
Durant trois jours, la conférence a abordée le sort des Juifs d'Afrique du Nord pendant la Seconde guerre mondiale. Ahmed el-Abassi, représentant de la Tunisie auprès de l'autorité palestinienne, avait apporté lors de cette conférence internationale sur l'Holocauste un témoignage édifiant sur le sort des Juifs tunisiens, sous l’occupation allemande.
Autre manifestation de mémoire, un mois plus tard, près de 500 personnes se sont retrouvées le 20 mai 2008 à Yad Vashem pour célébrer le 65e anniversaire de la libération de Tunis (qui historiquement a eu lieu de 7 mai 1945). Cette initiative revient à Claude Sitbon, historien du judaïsme tunisien (5). Cette année la célébration avait une dimension supplémentaire car on rééditait « Le Pinkas hakeliloth de Tunisie et de Libye ». Ce livre compare l’histoire de toutes les communautés de ces deux pays. Est-il besoin de rappeler que ce sont les deux seuls pays en Afrique du Nord qui ont subi la présence nazie. Aujourd’hui on sait que ces communautés faisaient partie de « la solution finale ». Dans ces deux pays, les convois étaient prêts à partir et les camps commençaient à se remplir mais les américains sont arrivés à temps. Est ce la chance !!!
Cette année encore, on a célébré le soixantième anniversaire de Moncef Bey : septembre 2008, une cérémonie était organisée au cimetière du Djellaz à Tunis, pour rendre hommage un homme des plus courageux dans l’histoire contemporaine de la Tunisie. Ce Roi éclairé a régné dans une période exceptionnel de l’histoire de la Tunisie. Alors que les Allemands s'installaient dans le pays, en novembre 1942, les six mois de tous les dangers commencent et les juifs de Tunisie se sont trouvés seuls à la merci de l'armée allemande. Mais le Bey de Tunis avait une attitude courageuse dans cette période sombre de l’histoire de notre pays. Moncef Bey n’a pas favorisé la moindre propagande antijuive comme le firent les autorités de Vichy. Il n’a pas non plus entendu les sirènes du sinistre Mufti de Jérusalem et il a déclaré à plusieurs reprises ne faire « aucune différence entre ses fils tunisiens qu’ils soient juifs ou musulmans ».
Tout ce dynamisme autour de la mémoire de la Shoah demeure une composante essentielle de notre avenir. Il montre surtout la maturité de la Tunisie. Parce que chaque jour des voix ignobles s’élèvent encore dans le monde pour nier la réalité de la shoah ou appellent à perpétrer de nouveaux génocides, la Tunisie sous la direction clairvoyante du Président Ben Ali semble refuser la banalisation du mal et de l’antisémitisme qui est un poison lent. L’avenir commun des juifs et des arabes, exige que nous nous rappelions, car il n’y a pas d’avenir sans mémoire et l’histoire elle-même est la memoria futuri de demain.
Souhail Ftouh, Tunis
Citoyen du Monde
(1) Les journées du cinéma européen étaient organisées par la Délégation de la Commission Européenne en Tunisie, les Ambassades des Etats membres de l’Union Européenne avec la collaboration du Ministère Tunisien de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine.
(2) Rappelons aussi que Claude Miller, le réalisateur du film, est issue d’une famille juive qui a aussi beaucoup souffert pendant la guerre. Né en 1942 il n'y a pas beaucoup de survivants dans sa famille: la plupart de ses oncles, tantes et grands-parents ne sont pas revenus des camps de concentration. Enfant puis adolescent, il fut hanté par cette histoire traumatisante.
(3) Le long métrage s'est mérité déjà le Grand Prix des Amériques lors de la 31e édition du Festival des films du monde de Montréal (FFM) où il était présenté en avant-première mondiale. Le film a récolté aussi 11 nominations pour les César 2008 dont Meilleur film et Meilleur réalisateur, un bel hommage à Claude Miller. Un secret ", le treizième long métrage du cinéaste français Claude Miller, est disponible en format DVD depuis le 4 mars 2008.
(4) Extrait d’un article paru le 6 Avril 2008, dans la rubrique ‘Daily Israel Report’ d’Arutz Sheva, traduit par Claude Lesselbaum.
(5)Claude Sitbon sociologue, spécialiste des juifs de Tunisie et auteur de nombreux ouvrages à ce sujet, notamment « Regards sur les juifs de Tunisie » ; Attal Robert ; Claude Sitbon , Edité par Albin Michel.
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
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