LAFFAIRESINE
ETLANTISEMITISME
Source : lemonde.fr en ligne le 25 juillet
L'ECRIVAIN ET CRITIQUE LITTERAIRE PIERRE ASSOULINE
REPOND AUX PROPOS D'ALAIN BADIOU
DEFENDANT LE CARICATURISTE SINE
CONTRE L'HEBDOMADAIRE "CHARLIE-HEBDO"
M. Badiou est un aigle
Un certain Alain Badiou me cherche querelle. Le fait qu’il soit natif de Rabat et moi de Casablanca n’en est pas la cause, nous ne sommes pas si sectaires (quoique, à la réflexion, les rbatis ne sont pas des gens comme nous). Rassurez-vous, je ne suis qu’un prétexte, son but à peine dissimulé étant de relancer par une vaine polémique qui n’abusera personne un pamphlet qui a rencontré un incontestable succès à la fin l’année 2007. On sait que ces choses-là ne durent pas. Les auteurs débutants ont du mal à se défaire de cette ivresse des sommets ; à 71 ans après une trentaine de livres savants, celui-ci, qui aime à se présenter comme “le philosophe français vivant le plus traduit et le plus demandé, et de loin” (excusez du peu) est tout sauf néophyte ; mais il se comporte avec la même fraîcheur tant il aimerait que cela ne cesse jamais. Il vient de publier à cet effet une tribune libre dans Le Monde.
Elle se veut en partie une réponse à un billet publié sur ce blog le 28 novembre dernier et consacré à son brûlot De quoi Sarkozy est-il le nom ? Huit mois après ! On voit par là que M. Badiou est du genre lent à la comprenette.
“M. Assouline est-il cultivé ?” se demande, le sourire en coin, du haut de sa chaire, le professeur émérite à l’Ecole Normale supérieure. Une question qui suinte un mépris mêlé de condescendance pour ceux qui n’ont pas la carte, et que jamais un intellectuel digne de ce nom ne s’abaisserait à poser. Mais là, je dois reconnaître qu’il appuie où ça fait mal car cultivé, je ne suis pas, justement, malgré mes efforts. Cela dit, lorsqu’on voit la constance avec laquelle cet ancien major de l’agrégation de philosophie vomit la démocratie et les valeurs républicaines tout en portant très haut celles du communisme totalitaire, on se félicite d’avoir été oublié par la culture. Si son maître fut Althusser, le mien fut Simenon. Après, il eut sa période Mao ; moi, mon moment Proust qui s’éternise pour mon plus grand bonheur. Mais entre le Petit livre rouge et A la recherche du temps perdu, je ne regrette pas d’avoir choisi le plus gros. Mes maîtres ne m’ont pas appris à penser mais à lire et à écrire. Ce qui m’autorise à m’interroger à la relecture de son texte : M. Badiou comprend-il bien le français ? Il est permis d’en douter malgré l’écart abyssal entre sa diplômité et notre ignaritude. Il semble qu’il rencontre quelques problèmes dans le maniement de la langue et dans l’intelligibilité des blogs.
Il lui aurait suffi d’activer le moteur de recherche interne de celui-ci et d’y programmer “Sarkozy” ; il y aurait découvert des articles nettement plus radicaux que sa nauséabonde zoologie, dans leur hostilité à l’endroit du candidat puis du président. Cela lui aurait évité de me singer en héraut du petit Nicolas et de mettre à côté de la plaque. Quant à l’injure de “professionnel de la délation”, je la lui ferai bien payer d’un euro symbolique devant la XVIIème chambre, juste pour voir comment elle tient la route, et si n’importe qui peut toujours dire n’importe quoi sous couvert de la critique ; mais nos tribunaux sont suffisamment encombrés et, de toute façon, ce n’est pas à eux que l’on demandera si les mots ont encore un sens.
Dans une autre tribune libre, publiée celle-là au début de l’année dans Libération, ce M. Badiou dénonçait déjà, dans un même élan poussif vers un inaccessible humour mâtiné de dérision, tout critique de son livre comme le porte-flingue de commanditaires invisibles. Il a remis ça hier dans Le Monde et en a même rajouté une couche. Le problème, c’est qu’il lit de travers. Je ne lui pas reproché d’avoir traité de rats “les socialistes entrés au gouvernement” mais les électeurs de Sarkozy. De même, je n’ai pas un seul instant évoqué, ni ne près ni de loin, “des juifs dans la généalogie de Sarkozy”, contrairement à lui. Il prétend n’avoir pas fait dans son livre “la moindre allusion au mot “Juif” alors que quelque part (je n’ai pas tout relu, il ne faut pas pousser), il met sur le même plan au registre des séismes mondiaux “Juifs livrés au massacre, Africains livrés à la police, enfants chassés des écoles” en un amalgame qui devrait faire bondir jusqu’au dernier des khagneux.
M. Badiou croit que je veux absolument faire de lui un antisémite. Même pas ! On connaissait déjà le juif imaginaire, catégorie brillamment conceptualisé naguère par Alain Finkielkraut. On découvre désormais avec M. Badiou l’antisémite imaginaire. Celui qui aimerait bien en être afin de tenir son rang au club des proscrits, la dernière posture intellectuelle appelée à devenir très tendance ; on peut être assuré qu’elle ne fera qu’ajouter à la confusion des idées s’agissant de ce que M. Badiou désigne comme ”le truc de l’antisémitisme”, expression destinée certainement à connaître une belle fortune. Maintenant je vous quitte, un livre autrement plus intéressant que ce bestiaire m’attend. Il est signé non de l’aigle d’Ulm mais de l’aigle de Meaux. Il n’est jamais trop tard pour se cultiver.
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