DERIDEAUX
SPECTACLE RECOMMANDE
PAR DIASPORABLOG
Vive la France
SPECTACLE de Mohamed ROUABHI
du 4 février
au 1er mars 2008
THEATRE GERARD PHILIPPE
de SAINT-DENIS (93)*
scène Roger Blin
Mohamed Rouabhi mise en scène, jeu, texte, images, scénographie
Jeanne Louvard assistanat à la mise en scène, dramaturgie, régie vidéo
Mylène Wagram jeu
Peggy Yanga chant
Bekhaa chant, jeu
Retour à la case départ
On dit souvent qu’on aperçoit quelque chose de quelqu’un à travers son oeuvre ou une partie de cette oeuvre. C’est sans doute vrai. On voit se dessiner les contours obsessionnels de l’auteur, l’apparente variété de ses thèmes qui ne sont en réalité qu’une seule et même trace sur le papier. Peu importe. On reconnaît certains mots, parfois des expressions entières
qui reviennent au fil des ouvrages. On a le sentiment au bout d’un moment qu’on partage à distance avec lui une certaine intimité. On finit toujours par se faire une idée de celui qui est derrière l’oeuvre et donc de l’image qu’il construit malgré lui dans l’imaginaire du lecteur.
Une image sur laquelle il n’a aucune emprise.
Une image qui finit immanquablement par emprisonner son sujet.
J’ai commencé à écrire du théâtre avec quatre pièces : De plein fouet, mis en scène par Gilberte Tsaï, Les Acharnés, Les Fragments de Kaposi et Les Nouveaux Bâtisseurs, mis en scène par Claire Lasne.
Il y a une certaine logique dans ces textes, une unité stylistique, même si elle commence à peine à se mettre en place. On
pourrait faire une étude et remarquer telle ou telle analogie. On pourrait comparer, analyser, extraire des situations ou des idées récurrentes. On pourrait enfin facilement dresser un « portrait » et une filiation littéraire, une appartenance à un mouvement, une famille. On pourrait aisément se faire une image rassurante, une image à laquelle on pourrait faire appel à chaque fois que l’on parlerait du « travail de Mohamed Rouabhi ».
Lorsque je regarde derrière moi sans nostalgie et que je me penche sur cette période, il n’y a cependant pour moi qu’un seul point commun entre tous ces textes, un seul visage derrière toutes ces histoires, un seul cadre à tous ces moments de solitude : l’appartement 422, au 27 de la rue Henri Longatte, à Drancy. Autrement dit, un des plus vieux foyers de travailleurs
immigrés de l’Ile de France, le Foyer Sonacotra de Drancy.
J’y ai vécu un peu plus de quatre années.
Je n’étais pas en résidence d’auteur.
Je n’étais pas en immersion pour apprendre le tamazight, le serbo-croate ou le bambara.
J’étais un des deux seuls français parmi 17 nationalités différentes.
J’étais également le plus jeune locataire et sans doute un des rares à savoir lire et
écrire une quelconque langue.
Je dus m’y résoudre et enterrer la moindre de mes vanités. Je n’étais pas comme on me voyait à travers mes pièces de théâtre éditées chez Actes Sud-Papiers, mais comme on a toujours vu ceux qui se sont couchés avant moi dans le lit de l’appartement 422 : un travailleur célibataire arabe.
Je n’étais pas ce que je croyais être à l’intérieur, mais ce qu’avec certitude je laissais paraître de l’extérieur.
J’ai toujours pensé alors que je finirais par raconter cette histoire. À ma façon.
L’histoire de ceux qui ont fait l’Histoire de France en filigrane. L’histoire de ceux qui se sont couchés un jour dans un lit loin de leur pays, loin de leur langue et de leur lumière.
L’histoire de ceux dont les noms et les visages se sont fondus dans l’asphalte du périphérique parisien, dans les galeries du métro au début du siècle, entre les grappes de raisin du sud de la France en septembre, dans les plaines de la Marne en 1917, sous les tonnes de béton du Stade de France ou du Musée des Arts Premiers, sur les bords du Lac Daumesnil pendant l’exposition internationale Coloniale de 1931 à Paris.
Dans un transformateur électrique à Clichy.
La France de 100 millions d’habitants. La plus grande France. La France de Poniatowski et de Sarkozy.
La France schizophrène, qui t’aime en 98 et t’expulse en 2006.
La France qui se bat.
La France qui se débat.
Retour à la case départ.
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Histoire(s) de France
Je ne me suis jamais intéressé à l’histoire de France enseignée à l’école, le peu de temps que je l’ai fréquentée. Il a fallu qu’elle s’intéresse à moi et pénètre dans mon quotidien pour que je comprenne enfin qu’elle n’était pas une matière figée dans le temps, mais une respiration continue qui forge les destins en aspirant et en rejetant les hommes au gré du vent. J’ai compris aussi que cette histoire officielle avait grugé bon nombre de ses auteurs et n’avait jamais reversé ce qu’elle devait aux ayant droits. Mais leurs descendants réclament maintenant que le nom de leurs aïeux figure sur la couverture du grand livre de la République.
Et ce n’est pas un besoin de reconnaissance, une quête identitaire ou l’exigence réparatrice d’une « repentance permanente » comme l’a odieusement affirmé Monsieur Nicolas Sarkozy.
Il s’agit d’assumer et de faire partager à tous les Français cet héritage commun, qui va de la colonisation à l’immigration et qui a permis à notre pays de devenir ce qu’il est aujourd’hui, avec tous ses défauts et toutes ses qualités. Un héritage commun qui doit servir à comprendre et construire, et non pas à ignorer et punir.
Un héritage du paradoxe. Le grand peuple français ouvrier qui ne veut pas différencier la sueur du Kabyle et celle du Lorrain et qui lutte au coude à coude pour l’émancipation de tous ses travailleurs. Le grand peuple français qui dans une crise aiguë de paranoïa s’invente un ennemi de l’intérieur et lève un moment le voile sur son côté obscur, le temps d’une élection.
otre haine à nous, enfants et petits-enfants d’ouvriers ou de soldats indigènes, fut le fruit du mépris viscéral que ce pays a témoigné à l’encontre d’une partie de sa population au sortir des années 70 jusqu’au début des années 90.
Nous étions indésirables car notre mère Patrie a fait des enfants partout dans le monde, des enfants qu’elle s’est refusée à reconnaître le jour où ils ont eu l’âge de parler et d’essayer de comprendre pourquoi on voulait les cacher alors que tout le monde savait qu’ils existaient !
Cette reconnaissance, nous l’avons désirée en vain. Le temps a passé et à présent il n’est plus question de cela.
Il s’agit de faire appliquer les lois et d’en exiger d’autres. Il s’agit de mettre côte à côte tous les Français et de constater,
malgré les APPARENCES, que la seule chose qu’ils ont en commun aujourd’hui, c’est d’être français et qu’être français, ce n’est plus appartenir à une quelconque idée de la France, mais à une réalité : l’héritage de 150 années de colonialisme et d’émigration.
*THEATRE GERARD PHILIPPE
Centre Dramatique National
59, Boulevard Jules Guesde
93 207 St Denis
Réservation : 01 48 13 70 00
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