LASHOAH
ENCM2
Source : lefigaro.fr en ligne le 15 février à 20h 51
sur Diasporablog à 00h 20
La Shoah ne doit pas être
détachée de l'histoire
Pour Michaël Prazan,
écrivain et documentariste*,
«la Shoah ne doit pas devenir le substitut d'une quelconque pédagogie».
Il était facile à Nicolas Sarkozy d'annoncer devant la communauté juive, à l'occasion de la rencontre annuelle du Crif, cette curieuse proposition «d'éducation à la Shoah» en classe de primaire. Que chaque élève revête l'identité symbolique d'une petite victime juive du génocide.
Une idée qui pourrait paraître saugrenue ou maligne, à laquelle la communauté juive ne peut pas s'opposer, et probablement inspirée par le Mémorial de l'Holocauste de Washington. Le visiteur y est invité à prendre à l'entrée du musée la reproduction du passeport d'une victime de la barbarie nazie. Le passeport, muni d'une photo, d'un état civil et d'une courte biographie, permet une identification et une individualisation de cette abstraction que représente le chiffre de six millions de morts.
Une bonne idée, donc. Sauf que le visiteur effectue là une démarche volontaire, d'abord en se rendant au mémorial, ensuite en se servant, ou non, de la reproduction du document. Imposer une telle démarche par la loi, au nom d'une prétendue vocation pédagogique, est à la fois absurde, et dangereux. A fortiori quand elle est réservée à un très jeune public, facilement impressionnable, et qui n'a pas encore clairement intégré la notion de temporalité que nécessite l'apprentissage de l'histoire.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire, ayant moi-même été enseignant durant dix ans en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne : on n'enseigne rien par la Shoah. La Shoah en tant que telle, le massacre abominable et sans précédent de millions d'innocents, ne dit strictement rien et n'a pour effet que de traumatiser les enfants ou de reléguer l'événement dans une unicité absurde et morbide, qui n'aurait pas de conséquences ni effets sur l'histoire. Ou, et il ne faut pas le négliger, de créer un sentiment d'exclusion et un ressentiment du fait «qu'il n'y en a que pour les Juifs» (la valeur normative de notre société ayant tendance à être celle d'une identification victimaire). En effet, à quoi bon une telle mesure, qui ne dit rien, n'enseigne rien, et ne produira rien, à un moment où la France parvenait tant bien que mal à panser ses plaies de la flambée d'antisémitisme contemporaine de la seconde intifada, et d'une plongée mémorielle douloureuse (aux relents parfois nauséabonds, émis de toutes parts) dans son passé esclavagiste et colonisateur ?
La Shoah ne doit pas être un événement détaché de l'histoire, dont la fonction première serait lacrymale ou seulement persuasive. Car, dans ce cas, elle devient abstraite et absconse, un absolu mortifère, «une religion de substitution», comme l'écrit Emmanuel Terray. Or, si l'on veut que la Shoah nous enseigne quelque chose, à nous, et pas seulement aux enfants car l'envisager comme elle se doit pourrait, plus qu'une visite sur la Lune, être un grand pas pour l'humanité , si l'on veut qu'elle soit signifiante et qu'elle oriente notre compréhension du monde et de l'humain, elle doit être placée dans un cadre qui est celui de la civilisation humaine, appréhendée dans les rouages complexes qui l'ont autorisée, comme par les éléments historiques, idéologiques, sociaux et culturels qui ont abouti à son application. Bref, la Shoah doit être interrogée et enseignée en cours d'histoire, non pas devenir le substitut d'une quelconque pédagogie.
* Dernier ouvrage paru :
Le Massacre de Nankin 1937.
Entre mémoire, oubli et négation (Denoël).
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
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