PASSERELLE
Source : L'Arche n° 583, novembre 2006
Le dernier amour de Celan
par Alain Suied
C¹est lors de son voyage en Israël, en septembre 1969, que Paul Celan retrouva Ilana Shmueli, qu¹il avait connue dès l¹enfance à Czernowitz, etqui devait être son dernier amour. Depuis de longues années, Bertrand Badiouet Éric Celan s¹étaient engagés à publier leur correspondance, si éloignéedes clichés volontairement associés dans certains cercles parisiens àl¹¦uvre et à la vie du poète juif. Laurent Cohen, auteur d¹un essai surCelan (Éd. J.-M. Place, Paris) avait repris le flambeau. Mais la publicationde ce document exceptionnel survient dans une édition réalisée par BertrandBadiou et comportant la préface originale d¹Ilana Shmueli.« soulever le monde »À la fin de sa vie, Celan (1920-1970), méconnu à Paris où il vit ettravaille, offre à Ilana Shmueli ses derniers espoirs, ses ultimes brasséesd¹hébreu et de yiddish, ses souvenirs d¹enfance, et sa fidélité ensanglantéeà ses deux parents disparus dans les camps de travail allemands. On est loinde la polémique qui voulut me salir et me présenter comme un commentateur «communautariste » de CelanSLe temps et la réalité irréfragable ont fait leur ¦uvre : les lettres deCelan ici réunies portent la marque de son attachement au destin juif et àIsraël. Certains avaient voulu en faire douter, comme ce fut le cas avecl¹¦uvre de Kafka, détachée (faute d¹indications biographiques précises, ilest vrai) de la situation si complexe des Juifs pragois, admirablementdétaillée par Marthe Robert et reliée au c¦ur même de l¹¦uvre par ses soins(Seul comme Franz Kafka, Calmann-Lévy).La lettre ultime de Celan à Ilana Shmueli (12 avril 1970) comporte unecitation de Kafka : « Soulever le monde pour le faire entrer dans le pur,dans l¹immuable, dans le vrai », que l¹on peut entendre comme un cripoétique essentiel. L¹ensemble des lettres du poète comporte nombre de sesderniers poèmes. On y lit l¹attachement du poète aux amis israéliens quil¹avaient invité sur la terre qui représentait l¹idéal de son père.les racines juivesCette édition est qualifiée de « testamentaire » par Bertrand Badiou cequi semble pour le moins contredire l¹orientation donnée par ses soins àl¹édition des 'uvres poétiques de Celan. Ce « testament » est l¹ultimeévidence de l¹inanité de retrancher cette ¦uvre-phare du XXe siècle de sonitinéraire et de son vécu diasporiques.Comme ce fut le cas pour Kafka, la dimension universelle des textes n¹est enrien « diminuée » par cette simple constatation. L¹avoir pensé et affirmén¹était que préjugé, ignorance et posture idéologique meurtrissante.Le recueil de Celan Atemwende reparaît au même moment, en édition bilingue.Le traducteur évoque les « racines » culturelles juives de l¹auteur. Sesnotes (fournies) aux poèmes chargés d¹histoire et d¹actualité évoquent mêmele témoignage de Petre Salomon, récusé de manière inouïe par Mme deLestrange. Jean-Pierre Lefebvre avait été envoyé par cette dernière pour me porter la contradiction dans une émission d¹Alain Veinstein. À la fin del¹enregistrement, il m¹avoua trouver mes thèses intéressantes et me demandamon exemplaire de Kaddish pour Paul Celan (Obsidiane) qu¹il avait attaquésans l¹avoir lu. Le temps, toujours le temps !
1Paul Celan et Ilana Shmueli, Correspondance,
traduit de l¹allemand par Bertrand Badiou,
coll. La librairie du XXIe siècle,
Editions du Seuil, 280 pages, 22euros.Paul Celan,
Renverse du souffle,
traduit de l¹allemand et annoté par J.-P.Lefebvre,
Points Seuil, 275 pages, 7,50 euros.
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