LIVRE
LECHOIX
DUPOINT
Source : lepoint.fr en ligne le 2 février 3012
publié à 0h
sur Diasporablog à 0h 22
Le billet de Patrick Besson
L'Israélien malgré lui
C'est un petit livre sur un petit garçon : le fils de l'auteur. Qui, sauf pour son père, a cessé d'être un petit garçon : 16 ans. Les ados n'ont plus de boutons mais un ordinateur sur lequel ils appuient pour faire sortir leur pus. Dans Facebook, il y a face : le site a remplacé l'acné. Le jeune Parisien, qui vit seul avec son père depuis une décennie, veut passer un an en Israël, dans une pension orthodoxe loin de Gaza. Le père est un juif non pratiquant et la mère divorcée a la cuisse goy légère. Ils cèdent. Naguère, les parents aidaient. Maintenant, ils cèdent. L'ouvrage - "Mon coeur de père" (Fayard, 16 E) - est le journal intime du papa : Marco Koskas. L'un des rares écrivains français (avec Patrick Modiano, Chloé Delaume, Eric Neuhoff, Ann Scott, Jean Echenoz, Emily King, Tierno Monénembo, Eric Holder et quelques autres) dont je lis les oeuvres à l'instant où je les trouve dans mon courrier ou en librairie. La merveilleuse "Position tango" (Lattès, 1990), le stupéfiant "Love and stress" (Laffont, 2002), le terrifiant "Avoue d'abord" (La Table ronde, 2007). Koskas est un combattant styliste. Il est resté cru comme un guerrier tartare. En trente ans d'exercice littéraire patient, il n'a pas cédé une fois au mauvais goût du jour. Le jour a mauvais goût, c'est pour ça qu'il faut lire la nuit, quand les imbéciles sont couchés. Je retrouve, dans "Mon coeur de père", la brutalité vague et l'âcreté certaine de Koskas. Ilsait être intime sans être intimiste, important sans être importun, charmant sans être charmeur. C'est un très bon écrivain français vivant.
Ce père plutôt athée et encore jouisseur, qui multiplie les rencontres paillardes sur Internet avec des juives de France, le voici face à la foi de son fils qui est le contraire de lui, mais qui est lui aussi, surtout quand cette tête en l'air se perd dans les aéroports Charles-de-Gaulle ou Ben-Gourion. C'est le sujet du livre, bientôt dépassé par son thème : la vision quotidienne, anodine, presque détachée, d'Israël aujourd'hui. L'information cache le fait et les nouvelles sont anciennes.
Pour comprendre quelque chose à quoi que ce soit, on doit commencer par arrêter d'écouter tout le monde. À Tel-Aviv (TLV) puis à Jaffa (Yafo), lors de séjours de plus en plus longs et de plus en plus abandonnés auprès de son fils religieux ronchon, les choses de la vie israélienne se précisent pour Marco, et donc pour son lecteur. Société du raffinement, de l'inquiétude, de la gourmandise, de la culpabilité. L'énergie solaire du désabusement gai. Koskas rencontre des artistes, des militaires, des chauffeurs de taxi. Il est séduit par leur patriotisme modeste qui consiste à accepter de vivre mal pour rester dans un pays dont ils se demandent s'il est entièrement à eux. Monde du remords et de l'interrogation. Ces journaux où il n'y a que des éditorialistes, comme si on ne pouvait jamais s'arrêter de réfléchir à tout. L'auteur, fatigué de toute une vie à Paris, émigrera-t-il ? "Je suis bien à Tel-Aviv en bras de chemise, même au mois de décembre." C'est l'Israélien malgré lui. Sa neurasthénie s'est évaporée chez Mersand, son café préféré à l'angle de Frishman et de Ben-Yehuda. Ce sceptique a trouvé l'endroit sur terre où on laissera douter de tout en paix chèrement acquise.
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