LESPARTISRELIGIEUX
ENISRAËL
ENPLEINEIMPLOSION
Source : le site jerusalemplustv
en ligne le 2 décembre
Il ne s’agit pas d’une péripétie politique interne à un petit parti israélien mais d’un véritable tremblement de terre qui peut affecter le gouvernement de Benjamin Netanyahou et sa politique. Le conflit qui a éclaté au sein du parti orthodoxe Shass est révélateur de lignes qui bougent dans la mouvance religieuse.
Un membre éminent du parti se rebiffe devant le comportement de son leader charismatique, trop vieux pour insuffler un élan nouveau et salvateur à une formation qui, installée dans un conservatisme stérile, risque de s’étioler. Toute une idéologie est remise en cause.
Tout est arrivé parce que le député et rabbin Haïm Amsalem, a osé défier le Conseil des Sages dominé par Ovadia Yossef, décideur et leader spirituel du parti, en conseillant aux jeunes de cesser d’étudier la Torah à plein temps en vivant d’aumône mais de s’engager dans la vie active en pratiquant un travail rémunéré, parallèlement à l’analyse des textes sacrés. Il s’élevait implicitement contre ses dirigeants qui n’offraient aux jeunes que la pauvreté comme avenir. Il a par ailleurs lancé un pavé dans la mare en estimant que les membres de son parti, pourtant créé pour défendre la communauté sépharade constituée en majorité de défavorisés, se comportaient en vassaux des ashkénazes en mimant leur comportement anachronique. Il a ainsi pris le risque de réveiller le fantôme du conflit intercommunautaire qui avait déchiré le pays dans les années 1960-1970.
A l’origine de la création
de l’Etat d’Israël
Les religieux conditionnent la vie politique en Israël, depuis sa création, parce qu’ils ont toujours participé aux coalitions au pouvoir. Tout malaise qui les secoue pourrait se répercuter sur le contour de la politique du gouvernement et l’avenir de l’Etat d’Israël. Contrairement à ce que ses détracteurs veulent faire croire, le rabbin Amsalem ne semble pas isolé et il pourrait agréger autour de lui un courant réformiste qui fera bouger les frontières politiques. Il a reçu de nombreux soutiens de laïcs qui louent son courage et qui approuvent sa démarche. Au sein même du parti, certains verraient avec plaisir le départ d'Elie Yishaï qui a concentré sur lui une opposition à ses méthodes musclées. Arie Dehry est en embuscade et attend à nouveau son heure.
Ce réveil identitaire risque d’entraîner une scission au sein du parti Shass. L’histoire des partis religieux israéliens tend à prouver que le judaïsme religieux est loin d’être monolithique et que les guerres entre factions n’ont jamais connu de répit. Les conflits conceptuels, fondés souvent sur des problèmes de personnes, ont laminé les partis politiques religieux historiques et la situation pourrait se renouveler à nouveau avec le Shass.
A l’origine, le parti Mizrahi, créé en 1902 en Lituanie, était la branche principale du sionisme religieux qui défendait l'idée d'un État juif fondé sur les principes du judaïsme orthodoxe. Son influence était moindre à l’époque pionnière qui faisait la part belle aux sionistes en majorité de gauche, issus des organisations révolutionnaires des pays de l’est, qui dominaient l’Organisation sioniste mondiale. Pour ne pas être en reste, une branche ouvrière, l’Hapoel Hamizrahi, avait été constituée pour donner une image sioniste à un mouvement qui défendait la pratique religieuse mais aussi le progrès social. Les premiers kibboutzim firent leur apparition autour d’un concept laïc et athée, paradoxalement en opposition avec l’aspect religieux. La fusion en 1956 de ces deux partis donna naissance au Mafdal ou parti national religieux (PNR).
Le Parti National Religieux
Le PNR, avant et après l’indépendance, a toujours été l’allié privilégié des socialistes du Mapaï puis des travaillistes au sein des différentes coalitions gouvernementales. Il prônait alors un réalisme incarné par une politique de modération, sur le plan religieux et nationaliste, à l’opposé de celle du premier ministre Ben Gourion, partisan de la manière forte et réputé pour son intransigeance. Parce qu’ils cherchaient avant tout le consensus, les religieux du PNR, qui avaient choisi la voie de la modernité, s’étaient séparés des ultra-orthodoxes qu’ils trouvaient trop conservateurs dans leur look et dans leurs idées. Ces derniers, les Harédim, étaient fortement inquiets de l’influence des laïcs dans tous les rouages de l’Etat et ils doutaient de la capacité du PNR à s’opposer à la mise à l’écart de la religion.
La Guerre des Six-Jours devait changer les rapports de force puisque le sionisme religieux se scinda en plusieurs tendances avec l’émergence d’un groupe des jeunes rebelles. Tous les partis sionistes, à l’exception des partis arabes et de l’extrême gauche, considéraient que toute la Palestine était la propriété de droit du peuple juif et rêvaient de ce qu’ils appelaient Eretz Israël alors que la droite laïque donnait aux territoires un intérêt sécuritaire uniquement.
La gauche sioniste en revanche avait senti le danger d’une annexion pure et simple de zones peuplés d’arabes qui modifierait l’équilibre démographique et l’identité juive de l’Etat. C’est pourquoi, le plan d’Ygal Allon de 1968 prévoyait l’annexion de seulement 30% de territoires non peuplés en incluant une bande le long du Jourdain pour les besoins sécuritaires d’Israël.
Les religieux ont donc dû prendre position entre ces deux conceptions antagonistes. Fidèle à ses alliances puisqu’il partageait le pouvoir, le PNR calquera sa position sur celle du parti travailliste sans faire preuve d’originalité. Mais la jeune garde commença à piaffer d’impatience devant sa volonté de donner une signification religieuse à tous les évènements. Les jeunes religieux insinuaient que la rédemption était proche et que la victoire de 1967 n’était pas due à Tsahal mais découlait de la volonté divine. Ils avaient donc pour mission de favoriser la venue du Messie en judaïsant toute la Terre Sainte. L’occupation des territoires devenait une obligation divine et non pas un choix politique ou sécuritaire. Ils bousculèrent leurs ainés au PNR pour imposer l’installation de juifs dans toute la Cisjordanie.
La politique des implantations
Les jeunes s’organisèrent en dehors des partis traditionnels et fondèrent, en 1974, le Bloc de la Foi (Goush Emounim). Ils décidèrent alors de coller au plus près des textes en s’éloignant de la modernité et en favorisant l’expansion de la natalité sur les nouvelles terres. Leur volonté de ne laisser aucun espace aux arabes les radicalisa et les éloigna de la gauche pour les rapprocher de l’aile droite du Likoud. Ils avaient peu de culture politique mais un objectif ambitieux de développer les implantations religieuses, souvent contre les ordres du gouvernement, et ils n’hésitèrent pas à créer des points de peuplement sauvages et illégaux.
Le PNR avait perdu le contrôle de ses jeunes et, pour leur donner satisfaction, il rompit son alliance avec les travaillistes, aux élections de 1977, pour se rapprocher du Likoud. A la recherche de voix nouvelles, il abandonna ses positions habituellement modérées pour s’engouffrer dans l’option du Grand Israël en devenant le porte-parole des habitants des implantations. Mais il avait amorcé tardivement un virage qui n’empêchera pas son influence de décroitre.
Le Likoud, qui était en embuscade, avait manœuvré avec opportunité politique en s’intéressant tout à coup aux communautés sépharades défavorisées dont certains dirigeants reçurent des places qui ne leur avaient jamais été proposées par les travaillistes. La communauté sépharade représentait la moitié de la population juive d’Israël et restait très attachée à la pratique religieuse. Mais les dirigeants du PNR, exclusivement d’origine ashkénaze, ne s’ouvrirent pas à cette moitié de juifs qui ont alors orienté leurs voix vers le Likoud. Par leur vote contestataire, ils avaient décidé de s’élever contre l’absence de représentants orientaux dans l’appareil politique du PNR. Cette erreur fut fatale à ce parti.
Pourtant les juifs sépharades avaient tout fait pour gagner la confiance d’un parti qui les ignorait. Ils envoyèrent leurs enfants dans le système scolaire ultra-orthodoxe ashkénaze sans pour autant obtenir le droit d’avoir des candidats sépharades à des postes éligibles sur les listes du PNR. Devant ce refus, la jeune pousse décida de conduire sa propre liste en créant le Shass en 1984. Mais paradoxalement, cette création se fit sous l’égide d’un rabbin ashkénaze, le rabbin Shach, qui cherchait ainsi à imposer ses directives à des débutants et à limiter la casse de cette scission.
Inexpérience politique
et désordre interne
Les jeunes dirigeants du Shass ont su ratisser large puisque des sépharades laïcs se sont joints au mouvement en donnant au parti un rôle charnière dans les coalitions. Mais ils n’avaient aucune expérience politique ni économique puisqu’ils sortaient des écoles talmudiques. Alors, ils s’attachèrent les services de rabbins, vieux et dépassés, dont les lacunes politiques les conduisirent à de grandes erreurs. Certains furent éclaboussés par des scandales qui entrainèrent l’incarcération de dirigeants victimes de scandales financiers. Ces jeunes volontaires et ambitieux n’ont pas su s’affranchir du poids de leurs ainés et se plièrent aux diktats du vieux rabbin Ovadia Yossef, qui donna au parti une image de marque décalée par ses déclarations controversées, tout azimut.
Il attaqua à la fois les laïcs, les non-juifs et les arabes sans se rendre compte qu’il s’éloignait progressivement d’une partie de son électorat. Il ira jusqu’à toucher au tabou de la Shoa en déclarant en public que les jeunes victimes juives des camps de concentration étaient des âmes réincarnées qui avaient ainsi expié les fautes commises dans des existences antérieures. Lors d’un prêche, il avait voué aux gémonies le président Mahmoud Abbas et son peuple : « Que tous ces méchants qui haïssent Israël, comme Abou Mazen et tous les Palestiniens, disparaissent de notre monde, que la peste les frappe ! » Enfin, la haine à l’égard d’autrui n’a d’égale que son interprétation personnelle des textes sacrés : « les non-juifs ne sont nés que pour nous servir. En dehors de cela, ils n’ont aucune place dans ce monde sauf celle de servir le peuple d’Israël. »
Il est probable que certains dirigeants du Shass, qui avaient eu une responsabilité cultuelle à l’étranger comme le rabbin Amsalem à Genève, pouvaient difficilement accepter ces dérives qui les desservaient. Mais jusqu’alors nul n’avait eu le courage de s’opposer ouvertement au guide spirituel. La scission est à présent consommée mais un seul député a été au bout de ses convictions. Ces remous ne seront pas sans conséquences sur l’avenir d’un parti charnière qui, en explosant, reconfigurera le paysage politique.
Par ses prises de positions iconoclastes, le rabbin Amsalem se rapproche en fait, malgré ses idées orthodoxes d’origine, des nouveaux sionistes religieux, réfractaires à la tenue noire de l’exil héritée des schtétels polonais. En portant la kippa tricotée, ils symbolisent une idéologie combinant judaïsme et sionisme et défendent la compatibilité entre vie religieuse et vie citoyenne moderne. Ils affichent surtout leur grande motivation de servir l'Etat et Tsahal car ils estiment, contrairement aux orthodoxes, que l’Etat est sacré. Ils l’ont prouvé puisque de nombreux conscrits religieux s’enrôlent à présent dans les unités combattantes et que de nombreux généraux arborent la kippa à l’instar de l’adjoint du nouveau chef d’Etat-major, le général Yaïr Naveh.
Le Shass, comme le PNR, ont raté leur virage et c’est la leçon du clash du député Amsalem qui s’inquiète que le Shass ne perde définitivement ses troupes.
Par Jacques BENILLOUCHE
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire