UNISRAELIEN
REBELLE
Source : lefigaro.fr en ligne
le 13 janvier
Dérives à Tel-Aviv
Par Bruno Corty
Septième livre traduit de Yehoshua Kenaz, l'une des grandes figures de la littérature israélienne avec Amos Oz et Aharon Appelfeld, ce recueil de nouvelles saisit, dès les premières pages, le lecteur qui se demande dans quel univers il vient d'entrer. Seule certitude: tout au long de ces neuf histoires, les personnages qu'on découvre sont la proie d'angoisses, de peurs diffuses. Ici, une femme est persuadée qu'une chair étrangère, «sauvage», pousse dans son corps. Clara est une réfugiée, une survivante de la Shoah, et cette chair qui l'envahit, prend possession d'elle, la dégoûte, car elle sait qu'elle est allemande. Ce déséquilibre déboussole la femme qui l'accueille chez elle et craint pour la sécurité de son jeune fils. Et puis, Clara est-elle vraiment ce qu'elle prétend être?
Quand la réalité vacille
Ailleurs, une sorte de croque-mitaine récemment libéré de prison a trouvé refuge dans les orangeraies. Pour les gamins du coin, le jeu consiste à s'approcher le plus possible des lieux, à le provoquer et à s'enfuir à toutes jambes. Jusqu'au jour où une odeur épouvantable et des cris de bête transforment le jeu en cauchemar. Chez Kenaz, l'angoisse est partout, surtout où on ne l'attend pas. Un homme se réveille et découvre qu'une de ses mains ne répond plus et qu'une partie de son visage est «tordue». Ailleurs, ce sont des serrures cassées, grippées, coincées. Des commerçants, des voisins disparaissent du jour au lendemain sans explication. Un ancien copain de régiment que vous avez retrouvé récemment semble ne vous avoir jamais vu…
Dans cet univers trouble, incertain, où la réalité vacille, il est logique de voir les personnages passer leur temps à se poser des questions pour tenter de se rassurer. Mais aux questions ne répondent souvent que d'autres questions. Du coup, certains dialogues prennent des allures surréalistes, loufoques. Dans ce Tel-Aviv intemporel, le quotidien n'est jamais banal. Quand on se rend à l'hôpital, c'est pour trouver les lieux déserts. Et quand un ami vous invite à voir un film érotique chez lui, la séance a lieu en présence de sa vieille mère clouée dans son fauteuil roulant, de sa femme et de son jeune fils. Avec Kenaz, une situation de départ bizarre en cache souvent une autre, encore plus bizarre. L'écrivain s'amuse à désarçonner son lecteur. Tout est question d'atmosphère. On passe vite du loufoque au dramatique, du sérieux au grotesque. Qu'il chronique le quotidien de soldats de l'armée israélienne («Infiltration»), ou celui des habitants d'un immeuble de Tel-Aviv ( «Paysage aux trois arbres», «La grande femme des rêves»), Yehoshua Kenaz semble suivre le réel au plus près mais c'est pour mieux montrer l'absurdité de la vie en Israël et en rire, sans méchanceté.
Chair sauvage
de Yehoshua Kenaz,
traduit de l'hébreu
par Rosie Pinhas-Delpuech,
Actes Sud, 222 p., 20 €.
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