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Source : lacroix.com en ligne le 7 août
Certains magistrats s’inquiètent
d’une dérive « victimaire »
Il n’est plus rare que les parties civiles tentent de faire pression sur la justice pour mieux faire entendre leur voix. Il leur arrive même d’exiger, à la suite d’un drame personnel, l’adoption de nouvelles lois
Synonyme de sanction, le procès constitue aussi, pour les victimes, un nouveau départ. Ou du moins l’amorce d’une reconstruction. Voilà qui explique peut-être les pressions multiples qu’exercent désormais les parties civiles sur les magistrats afin d’obtenir un procès conforme à leurs desiderata.
C’est par exemple le cas, ces dernières années, des familles endeuillées par l’amiante. Indemnisées au plan civil, les « veuves de l’amiante » continuent de manifester afin d’obtenir un procès pénal. Et ce, malgré un premier non-lieu. « Les dommages et intérêts qui nous ont été versés ne nous suffisent pas. Il y a eu, selon nous, blessure et homicide involontaires. Les responsables doivent être condamnés, estime François Desriaux, président de l’Association nationale des victimes de l’amiante (Andeva). Nous avons besoin d’un procès pour comprendre l’enchaînement des responsabilités. »
Obtenir coûte que coûte un procès au pénal : le sujet fait polémique. Me Daniel Soulez-Larivière est de ceux qui mettent en question cette demande : « Dans les grandes catastrophes collectives, les victimes réclament avant tout un récit. Au risque de confondre, d’une part, le désir de voir un coupable condamné et, d’autre part, le fait de vouloir comprendre l’origine du drame. Ce sont pourtant deux choses bien distinctes. »
Pour d’autres victimes, la pression doit surtout s’exercer une fois la peine prononcée. On se souvient par exemple de la libération sans cesse repoussée de Lucien Léger, condamné à la réclusion à perpétuité (avec une durée d’épreuve de quinze ans) pour avoir étranglé un petit garçon en 1964. Alors qu’il était libérable depuis 1979, ses treize demandes de libération conditionnelle ont été refusées à la suite, notamment, des déclarations du père de la victime, qui promettait de tuer Léger à sa sortie. Résultat : la libération du « plus ancien détenu de France » n’est intervenue qu’en 2005, après la mort du père de l’enfant.
L'espoir de vastes réformes pénales
Comment se faire entendre en tant que victime, sans décider pour autant du sort à réserver aux coupables ? Comment réclamer justice, sans verser dans la vengeance personnelle ? Où se trouve la juste place de la partie civile dans la procédure judiciaire ? Peut-elle exiger un procès pénal ? A-t-elle son mot à dire lors d’une demande de remise de peine ? Doit-elle, comme l’a réclamé le mois dernier la famille Halimi, faire pression sur le parquet pour obtenir un procès en appel ? Autant de questions qui divisent les professionnels du droit.
Pour Robert Cario, criminologue et auteur de Victimologie (Éd. L’Harmattan, 2006), « la victime doit pouvoir être pleinement actrice de son procès. D’autant qu’en faisant entendre sa voix, elle participe à sa façon à la manifestation de la vérité. En revanche, si elle va au delà et exige de pouvoir contester le verdict ou une mesure de remise en liberté, elle outrepasse ses droits et tombe dans la revendication victimaire. » Une telle posture, à entendre le criminologue, dessert autant l’accusé que la partie civile : « En exigeant d’avoir son mot à dire une fois le procès achevé, cette dernière s’enferre dans son statut de victime. »
Certaines familles continuent ainsi de faire pression et ambitionnent même d’impulser, à partir de leur cas particulier, de vastes réformes pénales. Ainsi, face à l’émoi provoqué par le meurtre de la petite Karine en 1992, la « perpétuité réelle » a été introduite dans le code pénal pour les coupables de viols avec acte de barbarie sur mineurs de moins de 15 ans.
De même, après l’assassinat en 2004 de deux infirmières à l’hôpital psychiatrique de Pau ( Pyrénées-Atlantiques), le législateur a mis fin au non-lieu psychiatrique et institué la tenue d’audiences publiques pour les personnes irresponsables pénalement, dans le but de permettre aux victimes d’entendre un récit du drame.
Une opposition à la législation dans l'urgence
Le mois dernier, à la suite du procès du « gang des barbares », une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale pour mettre fin à l’automaticité du huis clos des procès impliquant des mineurs. Autant d’initiatives intervenues à la demande des parties civiles et dans la foulée d’affaires ayant bouleversé l’opinion.
Les lendemains de procès sont-ils, pour autant, le moment le plus adéquat pour légiférer? « Probablement pas, mais c’est la seule “fenêtre” dont disposent les victimes. C’est bel et bien lorsque les médias se focalisent sur une affaire particulière que le législateur se sent le devoir de répondre aux lacunes du droit pénal », assure Me Stéphane Maître.
Cet avocat, à la suite de l’affaire Tallineau en 2002, a fait évoluer la loi Kouchner sur les droits des détenus malades: une réserve a en effet été introduite dans le texte de loi, qui prévoit de refuser une demande de suspension de peine pour motif médical « dès lors qu’il existe un risque grave de récidive ».
Dans leur majorité, les professionnels du droit s’avouent plutôt rétifs au fait de légiférer dans l’urgence. C’est en tout cas le point de vue de Robert Cario : « S’attaquer, à la demande des victimes, à un point particulier du dispositif pénal sans réfléchir à l’équilibre global de notre système juridique peut se révéler très dangereux. »
Marie BOËTON
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