"LES MUSULMANS ET LE SEXE" de NADER ALAMI Editions GUMUS

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Recueil de Poésie en Hommage à Jenny Alpha

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Couv "LES PLEURS DU MÂLE" Recueil de Slams d'Aimé Nouma Ed Universlam

Couv "LES PLEURS DU MÂLE" Recueil de Slams d'Aimé Nouma  Ed Universlam


CAMILLE CLAUDEL Naissance d'une vocation parJeanne Fayard Rivages Editions

CAMILLE CLAUDEL Naissance d'une vocation parJeanne Fayard Rivages Editions
Sortie en librairie début mai 2013

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE

A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE PERDUE
de GISELE SARFATI Editions PLUMES et CERFS-VOLANTS

vendredi, février 25, 2011

REVOLTES
DESPEUPLESARABES
ETLECONOMIE
DANSTOUTCA?

Source : liberation.fr en ligne le 24 février



Printemps arabe:
le capitalisme est-il cynique?


Le printemps arabe (oui l'Histoire avec un grand "H" donnera surement un nom a posteriori aux événements en cours au Maghreb et au Machrek —j'avoue humblement avoir appris l'existence de ce second nom propre, j'en profite pour le recaser aussi sec— dans l'attente, j'utilise cette appellation) est en marche. Les supposément inamovibles Ben Ali et Moubarak ont du déménager précipitamment et Khadafi semble bien décidé à entamer un bras de fer sanglant avec son peuple. Laissons de côté la grande Histoire que je ne suis pas qualifié pour commenter (pas grand monde n'avait prédit ce qui allait se passer et bien malin qui peut prédire la suite). Mettons aussi à l'écart les turpitudes de la diplomatie française pour nous concentrer sur le sujet de ce blog: l'économie. Car ces pays avaient, ont et auront une économie avant, pendant et après la révolution. Son visage va sûrement changer à l'unisson des réformes de régime, certainement sur un tempo plus lent que ces dernières. Et la santé économique de ces Etats est loin d'être neutre: la paupérisation de larges franges de population (et notamment de jeunes éduqués) n'est pas pour rien dans ce printemps arabe. Et de l'avenir économique dépendra aussi certainement l'avenir démocratique.

Dans ce contexte, l'intervention des agences de notation a choqué l'opinion. Ces agences, vues comme la figure de proue des ectoplasmiques marchés, avaient déjà été vilipendées pour leur imprévision de la crise des subprimes et de la crise globale qui en a découlé puis pour leur rôle de pyromane dans la crise des dettes souveraines. Et voilà maintenant qu'elles ont le culot de dégrader les notations des nouveaux régimes post-dictatoriaux de la rive sud de la Méditerranée. On pressent que ceux-ci vont avoir un travail considérable pour remettre sur pied un nouvel ordre après 20 ou 30 ans de dictature et des types en costard derrière leur ordinateur à plusieurs milliers de kilomètres de là leur savonnent la planche. Plus grave, l'accusation portée est que les "marchés" préfèrent finalement une bonne vieille dictature stable à une jeune démocratie brouillonne et instable. Les marchés seraient donc les alliés de l'ordre, du conservatisme et l'ennemi du peuple. Le capitalisme serait cynique.


Petit rappel des faits

Le 14 janvier, après plusieurs semaines de manifestations et d'émeutes, Ben Ali quitte la Tunisie. Le même jour, Fitch décide de placer le pays sous «surveillance négative». Standard&Poor's fait de même le 18 janvier et dégrade d'autres indicateurs au-delà de l'emblématique "note pays". Le 19 janvier, Moody's franchit le rubicon et abaisse la note du pays. Au total, c'est bien la notation globale du pays qui a été détériorée mais aussi de plusieurs de ses banques.

Les réactions à cet abaissement de notation sont pour le moins dubitatives. Les politiques interrogés, sans trop se mouiller non plus, condamnent. Quant aux internautes, les commentaires associés aux articles sur le sujet sur le Net laissent peu de place au doute: les agences de notations sont abjectes, comme le sont les marchés. Le printemps tunisien éclot à peine que ceux-ci montrent leur vrai visage: peur du changement, préférence pour la dictature stable et insensibilité totale au peuple. On a même pu lire l'interview (sous couvert d'anonymat) d'un analyste d'une agence de notation dire que la dégradation de la note de la Tunisie était «honteuse». Si bien que le 17 janvier, Christine Lagarde se fend d'un communiqué où elle demande de la «retenue» aux agences de notation.


Cynisme ou rationalité ?

On peut effectivement être légitimement choqué par ces décisions. Mais il faut revenir au rôle des agences de notation. Celles-ci n'ont pas un rôle moral, cette composante n'entrant en quelque sorte pas dans leur "cahier des charges". Elles doivent évaluer le risque économique attaché à un pays. Les régimes dictatoriaux du sud de la Méditerrannée n'étaient certes pas des parangons de bon fonctionnement économique avec une corruption importante et une captation des richesses par les élites dirigeantes. On peut donc espérer que les nouveaux régimes vont permettre, à terme, d'améliorer le fonctionnement de ces économies. A terme. Mais, dans l'entre-deux, s'ouvre une période d'instabilité. Instabilité qui n'est pas forcément négative, elle peut être créatrice, productrice d'idée, d'avancées. Mais, sur un plan strictement économique, les agents (investisseurs notamment) qui suivent les recommandations des agences ont besoin de stabilité: des lois, de la fiscalité, du fonctionnement économique, du système bancaire. Il n'est guère contestable que les (r)évolutions en cours, à court/moyen terme, sont pourvoyeurs d'incertitude si ce n'est d'instabilité. La dégradation des notes, toute choquante qu'elle soit, a donc une vraie légitimité.

Par ailleurs, admettons qu'il y a effectivement du cynisme dans le comportement des agences de notation. Définissons-le comme un mode de pensée qui s'affranchit des normes sociales communément admises et ce que l'on pourrait appeler la "morale" (terme problématique car la morale est à géométrie variable, dans le temps et dans l'espace, ce qui pose problème pour raisonner à l'échelle planétaire). Donc, là où la morale (au moins occidentale) place tout en haut des valeurs les droits de l'homme, la liberté des peuples, la démocratie, gageons que les agences comme les marchés n'accordent pas de place à ces données pour ne retenir que la rationalité économique. Mais il est nécessaire de s'interroger sur la provenance de ce cynisme ainsi défini. Est-il propre à la sphère économique, à l'unisson du politique, ou est-il présent en chacun de nous (notamment via les médias qui sont à la fois relais et formateurs d'opinion)?


Cynisme du capitalisme
ou cynisme global ?

Comparons les révolutions tunisiennes et egyptiennes. J'ai rappelé comment les agences avaient réagi aux événements. Notons que les changements de notes étaient intervenus après le départ de Ben Ali, Standard&Poors et consorts ayant été très certainement surpris par la rapidité de la chute du dictateur, comme la plupart des commentateurs. En Egypte, la réaction des agences a été globalement la même si ce n'est que les agences ont bougé dès le 1er février, soit une semaine après le début des manifestations mais dix jours avant la fuite de Moubarak. Et pour la Libye, la réaction est encore plus rapide (bien que la Libye ait un endettement nul et même des réserves équivalents à 190% du PIB). Pourtant, ces changements de note ne semblent plus choquer ou, en tout cas, ne pas avoir la même caisse de résonance médiatique.

Essayons-nous à analyser le phénomène. La révolution tunisienne était certainement la plus "sympathique" vue de notre pays. Deuxième destination touristique pour les français, fort d'un passé commun (doux euphémisme) et d'une communauté établie en France, le pays a l'avantage de la proximité. La Tunisie présente un autre insigne avantage: la grande peur islamiste semble y être relativement absente, contrairement aux premières inquiétudes. Pas de barbus en tête de cortège, pas de Frères Musulmans à l'horizon. Enfin, et ça n'est pas faire injure aux Tunisiens, leur pays est petit (10 millions d'habitants), il ne possède pas de ressources convoitées (à part le soleil) et n'est pas au coeur d'enjeux géostratégiques.

Bref, la Tunisie était désignée pour être au zénith du capital sympathie. Ceci explique largement la réaction outrée face au comportement des agences. La seule ombre au tableau concerne d'autres agences, mais de voyages celles-là. Les JT ont, en fin de journal évidemment pour respecter les conventions, largement relayé les malheurs des voyageurs français qui ont été bloqués un ou deux jours à Hammamet et qu'il fallut rapatrier en France mais qui sont bien arrivés, fatigués mais soulagés, merci. Il a ensuite fallu, dans les éditions suivantes, parler également des annulations de voyage, de l'impact sur les voyagistes et les pauvres voyageurs à qui on allait, bien sûr, proposer une solution de remplacement. Cette place accordée à nos ressortissants qui, en l'espèce, n'ont jamais été menacés, est-elle plus ou moins cynique que le comportement des agences de notation ?

Pour l'Egypte, ce fut différent. Entre kermesse pacifique place Tahrir, ébaubissements devant la «révolution Facebook/Twitter» (quelle pub: «This revolution had been powered by Twitter») et incertitude, répression et peur d'une plus grande répression, le rôle des agences est passé inaperçu. C'est que l'Egypte n'est pas la Tunisie: c'est un grand pays, une relative puissance économique et surtout un pivot géostratégique. La peur de l'islamisme a ici un visage: Les Frères Musulmans. Et le fragile équilibre avec Israël né des accords de Camp David peut voler un éclat. Du sérieux, donc. Pas de place pour l'économie dans les commentaires politiques ou même journalistiques. Le seul chiffre à avoir été donné (et abondamment relayé) est le coût de 90 M$ du black-out Internet mis en oeuvre par le pouvoir. Le calcul a été réalisé par l'OCDE. Au-delà de la validité douteuse du calcul, personne n'a remis en cause la signification de ce chiffre. Que représente une somme pareille à l'aune d'un événement qui voit des millions de personnes en grève ou dans la rue pendant près de 3 semaines? Quel était le but de l'OCDE et des médias qui ont relayé l'information: donner une vraie information sur l'Egypte ou profiter de l'occasion pour ré-affirmer le primat d'Internet? Et ça, ce n'est pas un peu du cynisme ?

Enfin, la Libye. Bien entendu, les commentaires portent essentiellement sur les violences, la répression, le risque de guerre civile. Mais toute considération économique n'est pas absente. Les mouvements des agences sont passées inaperçus mais pas la hausse du baril qui est abondamment relayée et ce d'autant plus que le prix du gazole vient de repasser au-dessus des 1.30€ le litre en France. La Lybie n'est pas un énorme producteur à l'échelle mondiale mais l'Europe en est fortement dépendante (pour le pétrole mais aussi le gaz). Le pays représente 15% des importations de brut français si bien qu'Eric Besson a dû se fendre d'un communiqué pour rassurer le pays. Quand il s'agit de faire le plein, le cynisme qui sommeille en chacun de nous n'est jamais loin ... Et que dire de la France qui (à l'instar d'autres pays), a rétabli des relations diplomatiques avec Khadafi jusqu'à le reçevoir en grande pompe il y a 3 ans à Paris alors qu'il avait fait sauter un DC-10 d'UTA en 1989 avec 170 passagers à bord? Evidemment, il y avait à la clef l'approvisionnement en pétrole et des contrats pour Total. Realpolitik ou ... cynisme?

Au final, il me paraît difficile de dire que les agences, les marchés ou même le capitalisme est cynique. Certes, la rationalité économique ne s'embarrasse pas de considérations morales, mais est-ce son rôle? Surtout, l'économie n'est-elle pas à l'unisson du cynisme politique et parfois médiatique, eux-même alimentés par celui qui est en chacun de nous?

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