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Photo : Alain Azria
Source : lemonde.fr en ligne
le 17 mars 2012
"Si la laïcité se durcit et se radicalise,
les juifs seront les grands perdants"
Propos recueillis
par Stéphanie Le Bars
Joël Mergui est président du consistoire central depuis 2008. Il organise, dimanche 18 mars, le premier congrès des communautés juives de France. En clôture de cette Journée de la vie juive, une table ronde, intitulée "La laïcité menace-t-elle la liberté religieuse", réunira Claude Guéant, ministre de l'intérieur, Jean-François Copé, patron de l'UMP, Manuel Valls, porte-parole du candidat PS à la présidentielle, et Jean-Thomas Nordmann, représentant le candidat du MoDem, François Bayrou.
Déstabilisée par la polémique sur l'abattage rituel (animaux tués sans étourdissement préalable, selon le rite pratiqué dans le judaïsme et l'islam), la communauté juive est "blessée et inquiète", selon M. Mergui. Il appelle les responsables politiques à s'engager "plus fortement pour la préservation des pratiques cultuelles".
Dans quel état d'esprit se trouve la communauté juive après les débats sur l'abattage rituel et les propos du premier ministre, François Fillon, suggérant de réfléchir à une évolution de "ces pratiques ancestrales" ?
Elle est inquiète, profondément atteinte, blessée et en état d'alerte. Cette polémique renvoie un mauvais signal sur la capacité de la République à préserver une pratique religieuse. Or l'abattage rituel est le coeur de nos règles alimentaires. C'est un des fondements du judaïsme qui a survécu à toutes les époques, dans toutes les civilisations, à l'exception de la période nazie, au cours de laquelle la shehita (abattage rituel) fut interdite en Allemagne.
Depuis des siècles, tout en étant pratiquants, les juifs ont contribué à toutes les évolutions technologiques et scientifiques. Il n'y a aucune contradiction entre notre pratique religieuse, notre citoyenneté et notre contribution à la modernité.
Cette polémique a-t-elle produit des effets concrets ?
Nous constatons depuis quelques jours que des abattoirs commencent à pratiquer l'étiquetage de la viande, que d'autres ne pratiquent plus l'abattage rituel, qu'il est plus difficile d'écouler cette viande dans le circuit non casher, que d'autres pays se sont saisi de ce débat... Je crains qu'on ouvre la porte à une nouvelle forme de boycottage sous de nouveaux prétextes. J'espère que cette polémique va vite passer et qu'on va se rendre compte que l'abattage selon le rite juif ne fait pas plus souffrir les bêtes que les autres formes d'abattage.
Comment expliquez-vous l'irruption de ces thèmes dans les débats politiques ?
Jamais jusqu'à tout récemment ne s'étaient posées de questions sur l'abattage rituel, sur les dates d'examens pour les étudiants pratiquants ou sur l'existence de carrés confessionnels dans les cimetières. Des arrangements de bon sens ont toujours permis aux juifs de France de respecter leurs traditions religieuses. On est en train de perdre cet état d'esprit en raison d'une radicalisation de la laïcité. Or, si la laïcité se durcit et n'offre plus de souplesse, les juifs, dont les règles sont les plus strictes, seront les grands perdants.
Etes-vous les victimes collatérales des débats liés à l'installation de l'islam en France ?
L'organisation et l'intégration du culte musulman en France sont une nécessité. Et il n'est pas question que quiconque transfère une culpabilité sur nos concitoyens musulmans. Nous avons tous le droit à la liberté de culte individuelle ou collective dans notre pays. Sur beaucoup de ces sujets nous travaillons ensemble.
Comment qualifieriez-vous le climat actuel ?
Au début des années 2000, la communauté juive a fait face à une montée d'antisionisme qui a entraîné des actes antisémites. Après un retard de diagnostic, tous les responsables politiques ont rassuré les juifs de France. Aujourd'hui, face à une radicalisation montante de la laïcité, émerge une forme d'antijudaïsme. Après les atteintes physiques, les nouvelles inquiétudes des juifs portent, en profondeur, sur nos valeurs et notre identité. Comme il y a dix ans, cette situation va amener certains d'entre nous à se poser la question de notre avenir dans notre pays. Je n'ai pas une réunion avec des jeunes sans être apostrophé sur cette question fondamentale : "Que va-t-on devenir ?"
Or les discours récents des responsables politiques ne suffisent pas à nous rassurer ; ils sont troubles et illisibles. Les partis doivent prendre conscience qu'il ne faut pas favoriser ce durcissement de la laïcité susceptible de remettre en cause le judaïsme. Il leur faut s'assurer, avant de prendre une mesure, qu'elle ne lésera pas les pratiques de telle ou telle religion.
J'attends un message beaucoup plus clair et plus fort des candidats à la présidentielle pour garantir la préservation des identités et des pratiques religieuses. Que serait la France si les synagogues devenaient des musées ?
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