LEBONVINCASHER
DISRAËL
AUBONGOÛTFRANCAIS
Source : lemonde.fr en ligne le 23 avril
La manne casher
Le vif succès à l'international ne se dément plus
A une quinzaine de kilomètres de Jérusalem, une petite route grimpe vers le domaine du Castel, serpentant à travers les collines ocre de Judée. Au loin, on aperçoit la mer Morte. Ce décor rappelle celui d’une bataille sanglante entre Juifs et Arabes qui eut lieu en 1948 sur le fameux site voisin de Latroun. Ce paysage d’oliviers est aussi le théâtre de scènes bibliques. A quelques kilomètres d’ici, sur le site d’Emmaüs, le Christ serait venu marcher après sa résurrection, rencontrant deux de ses disciples qui ne le reconnurent pas.
Selon la Bible, la Terre sainte produit du vin depuis des milliers d’années. Dans le Livre saint, les références à cet alcool sont nombreuses. Vers la fin du XIXe siècle, le baron de Rothschild est le premier à se lancer dans la production de vin et ouvre deux établissements vinicoles. Mais l’engouement des Israéliens pour le vin est assez récent et date des années 1980. Ces dernières années, les vignerons se sont multipliés et l’on compte aujourd’hui plus de 150 entreprises vinicoles. Ainsi, Israël a aussi sa Route des vins qui traverse la Judée, la Galilée et passe dans le désert du Néguev. Des panneaux avec une petite grappe de raisin indiquent les grandes caves où s’arrêter. Aujourd’hui, la consommation de vin est entrée dans les mœurs : les Israéliens en boivent régulièrement et les plus riches ont leur propre cave. Difficile pour autant de définir ou de qualifier ce vin puisque, à l’image de la société israélienne cosmopolite et aux origines diverses et variées, il a subi de nombreuses influences. Ajoutons à cela la multiplicité des terroirs et des microclimats : mer Méditerranée, désert du Néguev, oasis ou encore les collines de Judée. Jérusalem, la Terre sainte, Israël-Palestine… ces lieux évoquent mille choses mais pas forcément les grands vignobles. On peine alors à imaginer qu’en haut de ce chemin, dans le moshav Ramat Raziel (un village communautaire anciennement agricole) se trouve un excellent vignoble israélien. Classé parmi les 365 meilleurs du monde par les critiques Bettane et Desseauve, le Castel est, à en croire les œnologues israéliens, le meilleur vin du pays. “Domaine du Castel, grand vin, Jérusalem-Haute Judée, mis en bouteille au domaine” : les propriétaires ont choisi le français pour leurs étiquettes afin, sans doute, de rivaliser avec les plus grands vins du monde. Castel est une petite entreprise qui fait travailler douze personnes. Avec ses seize hectares, ses trois crus différents et ses 100 000 bouteilles par an, le domaine a connu un succès rapide. Succès que son fondateur et propriétaire, autodidacte, attribue au hasard… mais sa personnalité y est pour quelque chose.
Pantalon de velours, pull en cachemire et foulard, Eli Ben-Zaken a tout d’un grand propriétaire terrien bordelais. Du reste, il maîtrise parfaitement la langue française, en roulant un peu des “r”. Son histoire personnelle est riche et pleine de rebondissements. Né en Egypte dans une famille francophone, il part à 14 ans avec sa famille en Italie. Là, il suivra sa scolarité dans un collège anglais et terminera ses études d’interprète à Genève. En 1967, lorsque la guerre des Six Jours éclate, il décide de s’engager comme volontaire et s’apprête à rejoindre Israël. Mais il arrive après la bataille. C’est en 1970 qu’il s’installe en Israël. Eleveur de poulets pendant une dizaine d’années, il décide ensuite de monter un restaurant italien : le Mamma Mia de Jérusalem qui fermera en 2002 à cause de l’Intifada. “La gastronomie, le vin, les voyages en France, c’est à travers mes passions que j’ai décidé de m’intéresser de plus près au vin. J’avais envie de devenir un connaisseur.” Alors en 1988, Eli Ben-Zaken plante ses premières vignes, d’abord pour s’amuser, puis, quatre ans plus tard ce sont les premières vendanges. “Je voulais à tous prix savoir si notre vin en Israël était mauvais à cause du terroir ou de la technologie qu’on utilisait. Pour ça il fallait que j’en fasse moi-même l’expérience.” Son vin a immédiatement été apprécié, la suite a été rapide, Eli Ben-Zaken a alors dû décider s’il restait amateur ou s’il se professionnalisait.
Pour poursuivre l’aventure, il avait besoin de ses fils. Sans leur aval, il ne se serait pas lancé. “Une cave c’est du long terme. Je ne pouvais pas m’engager tout seul, il fallait que mes deux fils soient à mes côtés.” Aujourd’hui, Eytan est le maître de chai et Ariel le directeur financier. Ce dernier a étudié et travaillé deux ans en France, en Bourgogne, à Beaune dans une propriété viticole, tandis qu’Eytan a appris sur le tas.
Depuis sa fondation, le domaine du Castel s’est développé, notamment à l’international. “J’ai voulu multiplier les marchés, c’est plus sûr. En cas de crise dans un pays on peut facilement rebondir”, explique Eli Ben-Zaken. Ainsi, 40 % de la production part à l’étranger, surtout en France et aux Etats-Unis. Une bouteille de Castel se vend entre 20 et 35 euros, selon le cru. Le blanc est un chardonnay aux arômes fruités avec un goût d’amande grillée. Le rouge est une alliance de cabernet sauvignon, merlot et petit verdot. “Mes vins ont une influence française indéniable. C’est ce que j’aime, le style français.” Influence française certes, sans oublier que nous sommes au Proche-Orient. “Le terroir israélien est chaud, donc plein de soleil, d’épices, de garrigue, de sauge et de thym. Il y aussi l’influence de la mer car nous en sommes à 35 kilomètres. Et puis il y a l’altitude : 700 mètres.”
Son succès, le domaine du Castel le doit également à sa stratégie marketing. En 2003, le clan Ben-Zaken décide de rendre toute sa production casher à savoir conforme aux préceptes de la Torah, le livre saint des Juifs. Un moyen de cibler la clientèle juive du monde entier sans pour autant exclure les autres. Produire du vin casher ne change en rien ni la qualité ni le goût du vin. En revanche, cela a un coût financier non négligeable : toute la production doit être réalisée par des religieux, c’est-à-dire des juifs pratiquants qui suivent les préceptes de la Torah, portent une kippa, ne travaillent pas le jour de shabbat et se rendent à la synagogue. Ces employés sont les seuls à pouvoir travailler sur l’exploitation sitôt le raisin écrasé et ce, jusqu’à la vinification. Ils se voient délivrer par le rabbin un certificat de travail. Par conséquent, ni Eli, ni ses fils, n’ont le droit d’accéder aux caves seuls. Ils sont accompagnés d’un religieux qui ouvre les portes et qui veille à ce que personne ne touche aux barriques. Depuis 2003, les quantités de production n’ont pas augmenté. En revanche, la part d’exportation a grimpé en flèche. “Proposer du vin casher nous permet d’exporter davantage. D’ailleurs maintenant nous vendons toute la production dans l’année qui suit”, explique Ariel Ben Zaken.
Aujourd’hui, la famille Ben-Zaken estime avoir réussi son pari : acquérir une renommée mondiale. “Nous n’avons pas les capacités de produire plus. Nous sommes très contents avec nos trois crus, c’est plus facile de nous repérer et de nous connaître”, explique Eli Ben Zaken. Ainsi, le domaine du Castel peut s’enorgueillir d’avoir été le premier à poser le pied de vigne sur la terre de Judée, mais, rançon du succès, il doit maintenant faire face à 120 hectares de vignes concurrentes.
Constance de Bonnaventure
Revue de presse, panorama du monde, blog de lutte contre l'antisémitisme et le racisme, ouvert au dialogue, l'autre image d'Israël, la culture juive à la rencontre de toutes les cultures, le monde juif tel qu'il est.
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